Homélie dim.23e TO :Espérer contre toute espérance

Couvent de Paris

Textes liturgiques (année A) : Ez 33, 7-9 ;Ps 94 (95) ; Rm 13, 8-10 ; Mt 18, 15-20

Qu’est-ce que l’Église ? qu’est-ce que l’assemblée chrétienne ? La parole du Seigneur Jésus en ce jour nous permet d’avancer plus profondément dans la découverte du mystère de l’Église, et donc d’approfondir notre propre expérience de la vie en Église.

Par l’exemple du frère qui a commis un péché contre un autre, le Seigneur met l’accent sur la dimension du pardon qui doit habiter toute communauté chrétienne : tout faire pour gagner son frère, tout faire pour le ramener sur le chemin du salut du Christ, lorsqu’il s’égare. Il vaut la peine d’être patient, de prendre le temps pour éclairer un frère sur ses égarements et, comme mon frère qui a péché peut être dur d’oreille, et comme je peux aussi moi-même avoir un langage maladroit ou des façons de faire inappropriées, deux autres tentatives suivent le premier échec de réconciliation. Après être allé rencontrer seul à seul celui qui m’a offensé, je prendrai avec moi deux ou trois témoins, puis je solliciterai le secours de l’assemblée de l’Église. Évidemment, il ne s’agit pas d’aller chercher les plus beaux parleurs pour convaincre celui qui se fourvoie, ni de demander au groupe de faire pression sur celui qui s’égare. Ces tentatives successives s’appuient sur un acte de foi : l’acte de foi en la présence de Celui qui est là lorsque nous sommes réunis en son nom. «  Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux . Si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. »

Mais la fermeture de cœur, les entraves que le péché peut installer dans notre cœur, sont telles qu’il est malheureusement possible de ne pas parvenir à s’ouvrir à cette présence salvatrice du Christ qui demeure au milieu des siens. Il est possible de ne pas accueillir, de ne pas accueillir d’emblée, la présence du Sauveur. Il est possible (c’est dramatique, mais c’est possible, car ni Dieu ni la communauté ecclésiale ne forcent jamais notre volonté ni notre liberté), il est possible de ne pas être réunis avec ses frères au nom du Christ, il est possible de ne pas parvenir, de ne pas parvenir d’emblée, à se mettre d’accord avec ses frères pour demander au Père la grâce du salut. Alors, le Seigneur déclare : « S’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain ». « Elle est dure cette parole », pourrions-nous avoir envie de dire… À moins qu’encore une fois, ce ne soit moi qui sois dur d’oreille… Bien sûr, en entendant le Seigneur nous donner cette injonction, nous allons spontanément nous imaginer qu’il nous invite à sereinement exclure la brebis galeuse, à nous résoudre à excommunier l’un de nos frères et à lui faire rejoindre le clan des autres, les païens et les publicains que nous méprisons et avec qui nous n’avons pas de liens.

Pourtant, le Seigneur Jésus ne nous demande jamais de vivre quelque chose que lui-même n’a pas vécu en plénitude. Et comment s’est-il comporté lui-même avec les païens et les publicains ? Saint Matthieu lui-même nous l’a raconté, dans un passage de son évangile qui pourrait être un récit autobiographique : « Jésus vit un homme assis à son bureau de publicain, et il lui dit : « Suis-moi » ». Lorsqu’il se trouve à table avec ce dernier et ses amis, le Seigneur déclare : « C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. Je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs ». L’attitude que Jésus adopte donc vis-à-vis des publicains, c’est une attitude de miséricorde. Il les considère avec une miséricorde inconditionnelle, comme le bon médecin ne peut se résoudre à ne pas parvenir à guérir son patient malade.

Quant aux païens, là encore, l’évangéliste nous a déjà rapporté la manière de faire de Jésus, par exemple lorsqu’il a rencontré la femme cananéenne qui le suppliait de délivrer sa fille possédée par un esprit mauvais. Jésus, après avoir commencé par freiner ses ardeurs (« Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ») s’est en quelque sorte laissé déplacer par elle et a admiré sa foi : « O femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ton désir ! » Là, l’attitude que Jésus adopte vis-à-vis d’une païenne, c’est la disponibilité à être surpris par le jaillissement de la foi qui surgit là où l’on n’aurait pas imaginé. Alors, considérer un frère en errance «  comme un païen et un publicain », c’est sans doute, être, comme Jésus, capable d’espérer contre toute espérance, être capable de porter un regard de foi sur les obscurités qui nous entourent, recevoir la grâce d’être veilleur, éveillés dans la foi pour pouvoir aider dès que possible un frère, une sœur, à se délier de ses entraves.

Frères et sœurs, demandons aujourd’hui au Seigneur, pour nous-mêmes et les uns pour les autres, la grâce de la foi, cette foi dont le Pape François disait, dans sa première encyclique, que « la foi non seulement regarde vers Jésus, mais regarde du point de vue de Jésus, avec ses yeux : elle est une participation à sa façon de voir » (Lumen Fidei 18). Que le Seigneur façonne en nous un regard qui ressemble toujours plus à son propre regard, afin que nous portions, sur les personnes et sur les événements, un regard d’espérance, fondé sur la confiance en Celui qui est réellement présent et agissant au milieu de nous lorsque nous sommes assemblés en son nom !

fr. Anthony-Joseph de S. Th. de Jésus - (Couvent de Paris)
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