Homélie Jésus Christ Roi de l’Univers

Textes liturgiques (année A) : Ez 34, 11-12.15-17 ;Ps 22 (23) ; 1 Co 15, 20-26.28 ; Mt 25, 31-46

L’actualité nous présente chaque jour son cortège de drames liés à une injustice dont la violence semble sans limite. Le scandale de l’esclavage pratiqué en Lybie met en grand jour le phénomène omniprésent dans le monde de l’exploitation de l’homme par l’homme. Le cynisme de ces situations constitue un excès dans le mal qui dépasse de beaucoup les situations de maladie, de pauvreté, d’exil ou d’incarcération mentionnées par l’Evangile. Face à la barbarie des hommes, nous pouvons être saisis par le dégoût, la colère, le découragement, voire le doute quant à l’avenir de l’aventure humaine.

Seule la révélation d’un excès d’amour infiniment plus grand que celui du mal peut fonder une espérance. L’Evangile nous promet dans ce domaine une surprise inouïe. Le fait d’en avoir été avertis par une parabole ne l’atténuera pas, tant cela est humainement inimaginable. Nous pouvons facilement concevoir que nous serons dépassés par la vision de Dieu, mais quelle surprise plus déroutante sera celle causée par la vision de l’homme image de Dieu. Dieu s’est identifié en son Fils à chaque personne humaine et de manière privilégiée aux plus pauvres. Il s’est uni à l’humanité souffrante moyennant la mort d’amour de son Fils et sa résurrection depuis la profondeur de nos enfers. La surprise du Jugement tient à cette identification du Christ avec tout homme en perdition.

Bien que ce soit inimaginable, nous sommes appelés à discerner en toute personne vulnérable la dignité de celui pour qui le Christ a donné sa vie. Il ne s’agit pas d’accomplir des actions d’éclat ou de faire des miracles. Les œuvres de miséricorde les plus simples peuvent constituer une véritable rencontre du Christ. Jésus nous en donne solennellement sa parole d’honneur : « Amen je vous le dis ! … Toutes les fois que … » : cela tient à ce que Jésus a établi avec les plus petits d’entre les hommes la plus forte des solidarités, celle de la fraternité. C’est fondamentalement le mystère même de l’Incarnation dont il s’agit ici. Dieu s’est fait homme pour être le frère de tout homme et spécialement de ceux qui ont le plus besoin de son salut. Nous sommes appelés à rencontrer le Christ en tout homme pour qui il a donné sa vie.

Le cœur de cet Evangile réside dans cet étonnement suscité par l’affirmation du Christ concernant sa présence en toute personne en souffrance : « Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu … ? Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? ». L’acte tout simplement humain qui consiste à se laisser saisir par la compassion face à la souffrance d’autrui est une expérience de Dieu. L’homme, croyant ou incroyant, qui se penche sur un petit de ce monde pour le secourir, non pas par une générosité calculée, mais gratuitement, par un élan du cœur, s’entendra dire au jugement dernier : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. » Cependant, les chrétiens sont appelés à reconnaître que cette dignité inouïe de l’être humain est fondée sur celle du Fils de Dieu lui-même. C’est le Christ qu’il rencontre dans la personne pauvre de quelque manière que ce soit !

Que dire alors de l’objection faite couramment à cet amour chrétien ? : « le pauvre attend d’être aimé pour lui-même, plutôt que pour l’amour du Christ ». Pour être vrai, un tel amour ne peut pas venir de nous. L’amour seul du Christ en nous peut rejoindre l’autre en vérité à travers sa vulnérabilité, sa faiblesse et ses limites humaines et nous le faire découvrir comme unique. Non seulement ce pauvre sera reconnu dans sa valeur personnelle d’enfant de Dieu, mais il pourra percevoir qu’il est aimé de Dieu lui-même, par une union intérieure avec le Christ venu le rejoindre. Si nous avons à reconnaître le Christ en l’autre, c’est le Christ et non pas nous-même que nous devons lui apporter. Pour vivre un tel amour, il nous faut en demander la grâce, celle de laisser le Christ aimer en nous afin que nous puissions le rencontrer dans un mouvement de compassion sincère pour la souffrance d’autrui. Le Règne de Dieu s’accomplit dans notre monde souvent si inhumain chaque fois que des hommes se laissent habiter par cet amour de Dieu pour l’homme. Que le Seigneur nous fasse la grâce d’aimer notre prochain de cet amour dont Jésus l’aime. Qu’il nous communique son Esprit Saint pour qu’il vive ainsi en nous plus que nous-même pour le salut de notre prochain !

fr.Olivier-Marie (Couvent de Paris)
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