Homélie dim.31° TO : Notre Seigneur Jésus-Christ serait-il anticlérical ?

Textes liturgiques (année A) : Ml 1, 14b – 2, 2b.8-10 ; Ps 130 (131) ;1 Th 2, 7b-9.13 ; Mt 23, 1-12

Notre Seigneur Jésus-Christ serait-il anticlérical ? Cela se pourrait. De fait, Jésus de Nazareth n’appartient pas à la tribu de Lévi et n’hérite donc pas des attributions sacerdotales juives liées à une descendance. Certes l’épître aux Hébreux considérera Jésus comme grand prêtre mais c’est selon un sacerdoce nouveau, profondément différent du sacerdoce ancien. Bref Jésus issu, de la tribu de Juda, est un Juif laïc. Il a médité l’Ecriture et connaît les mises en garde de Dieu contre les prêtres qui manipulent la Loi et les fidèles. Nous en avons un exemple dans la 1re lecture. Le pape François insiste beaucoup sur le danger de cléricalisme dans l’Eglise et avoue : « Quand j’ai face à moi quelqu’un de clérical, je deviens automatiquement anticlérical. Le cléricalisme ne devrait rien avoir à faire avec le christianisme. » Et il précise sa pensée afin de montrer que c’est un danger qui ne concerne pas que les clercs : «  Il est fréquent que les curés cléricalisent les laïcs et que les laïcs demandent à être cléricalisés. Il s’agit d’une complicité pécheresse. » Le cléricalisme est donc un péché. Péché en tant que ceux qui sont ordonnés au service du bien des fidèles agissent en réalité pour être l’objet du service des autres.

Or Jésus est clair : « ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. » Le fondement de toute communauté chrétienne est l’identité commune d’enfants de Dieu et donc de frères et sœurs. Le Concile Vatican II a été clair sur ce point dans sa constitution sur l’Eglise en évoquant d’abord le mystère du peuple de Dieu qui englobe tous les baptisés, avant de décrire les dons faits à l’Eglise : la hiérarchie et les charismes. Ce qui est premier, c’est la commune dignité baptismale et tout don particulier lié à une mission doit être reçu comme un moyen pour mieux servir les autres. L’attitude cléricale est la négation de cette vérité évangélique et tous, clercs et laïcs, devons nous le rappeler mutuellement ; nous sommes responsables les uns des autres.

En fait, il faut maintenant préciser que l’attitude de Jésus dans l’évangile n’est pas exactement anticléricale puisque les scribes et les pharisiens ne sont pas des prêtres à la différence de leurs adversaires saducéens. Ce sont des laïcs formés théologiquement et experts de l’Ecriture et de la Loi. Jésus ne remet pas en cause leur compétence puisqu’il dit de faire confiance à leurs paroles. En revanche, il dénonce chez eux leur hypocrisie et la façon dont ils utilisent leur savoir théologique au profit d’un pouvoir social leur assurant prestige et reconnaissance. Voilà peut-être une tentation qui nous rejoint davantage, quelle que soit notre situation. N’y-a-t-il pas en chacun de nous une tendance secrète à tout récupérer à notre profit en vue de notre promotion ?

Nous recevons de Dieu, de l’Eglise ou d’autres personnes, un don fait pour le bien des autres et voici que nous le détournons pour nous faire valoir, quitte à écraser les autres ! Là est le péché, dans ce détournement du don de Dieu. Dieu donne gratuitement et sans mérites de notre part pour que nous servions nos frères et sœurs. Et nous, nous mettons la main sur ce don pour attirer subtilement les regards, exercer un pouvoir et briller. C’est ce que nous voyons dans l’histoire sainte du peuple d’Israël : une fois, installé dans la terre promise, le peuple oublie Celui qui donne et cherche à devenir le meilleur peuple par ses propres forces. Il en est de même dans toute vie humaine, collective ou personnelle. Quand nous oublions le Donateur, quand nous ne prenons pas le temps de nous rappeler que tout est grâce, nous devenons de petits dictateurs en puissance et nous trahissons le don de Dieu, consciemment ou pas.

Il peut être salutaire frères et sœurs de faire le point sur nos petites prises de pouvoir dans chacun de nos environnements : familial, communautaire ou professionnel. Quand est-ce que nous cessons de servir pour tout ramener à nous ? En nous souvenant que l’autorité est également un service des autres. Si Jésus éveille l’esprit critique des foules avec autant de force, c’est pour que chacun soit adulte dans sa manière de commander, comme d’obéir, afin que le corps des croyants grandisse dans la paix et l’harmonie.

Et c’est la 2e lecture qui nous aide à entrevoir ce que peuvent être des relations communautaires vécues dans la lumière évangélique. D’une part, saint Paul présente son attitude pastorale avec des traits maternels : « nous avons été pleins de douceur avec vous, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons.  » Mais il va plus loin : « Ayant pour vous une telle affection, nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies. » L’autorité se vérifie par la charité pastorale qui peut aller jusqu’au don de sa vie pour la communauté et qui suppose un engagement et un travail quotidien. Paul ne ménage pas sa peine pour édifier la communauté de Thessalonique. D’autre part, nous est décrite l’attitude exemplaire des fidèles : « quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » Ce regard de foi des croyants fait que ceux-ci ne s’arrêtent pas à la personne de Paul en s’attachant à lui de manière trop humaine. Ils discernent la parole du Christ dans les mots de l’apôtre. Et c’est bien cette obéissance de la foi qui dépasse toute attitude servile qui rend libre. Voilà une obéissance chrétienne, intelligente et exigeante, qui prévient tout abus de pouvoir en s’en remettant à Dieu de manière ultime. C’est aussi l’attitude de simplicité du petit enfant du psaume, à condition de ne pas verser dans l’infantilisme.

« Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. » Quelle que soit notre place dans l’Eglise ou la société, nous avons tous à grandir à l’école évangélique du service. Seule l’humilité de Jésus peut être notre boussole. Lui qui a passé sa vie à servir mais aussi à parler avec autorité. Mais dans chaque attitude, Jésus ne faisait que dire et faire ce qui plaisait à son Père. Il en est ainsi pour nous. Plus nous serons reliés intérieurement à ce que veut notre Père des cieux, plus nous serons ajustés aux autres et au temps présent. Que l’Esprit de Jésus nous soit donc donné en ce jour ; qu’il renouvèle en notre cœur notre capacité d’écouter la voix de Dieu et la joie du service. Amen

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau - (Couvent d’Avon)
« Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé. »
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