Textes liturgiques (année C) : Is 66, 10-14c ; Ps 65 (66) ; Ga 6, 14-18 ; Lc 10, 1-12.17-20 ; Lc 10, 1-9
L’Evangile nous invite à prendre la suite de Jésus et de proclamer la proximité du Règne. Il ne s’agit pas seulement de proclamer le Règne, mais sa proximité par des signes ; pas seulement par des paroles, mais par des actes, par une proximité avec les souffrances physiques ou spirituelles des personnes rencontrées. Le Règne de Dieu est proclamé lorsqu’il est rendu proche, lorsque le Christ est rendu proche de chacun ou chacune d’entre nous. La parole de la proclamation doit se poursuivre au cœur de la vie des hommes. Non pas seulement des mots, mais des actes qui aident l’homme à se relever de sa souffrance, à donner sens à sa vie. Nous sommes les dépositaires d’un fabuleux trésor et nous avons à en témoigner, à partager ce que cela a fait, a provoqué en nous. Nous avons à être les témoins de cette lumière.
Il y a, devant le flot de personnes blessées par la vie, des communautés qui se créent pour permettre à la vie de Dieu de se faire chemin de guérison, il y a des personnes qui se donnent, donnent de leur temps pour aider d’autres à se mettre en route, des parcours Alpha aux aumôneries d’hôpitaux. Tout un monde est en route et appelle d’autres à se mettre dans leurs pas. Jésus appelle et envoie. A chacun de trouver sa place et à rendre les communautés vivantes. C’est d’autant plus urgent dans cette période où l’Église est appelée à se réformer. Il n’est pas possible d’annoncer la proximité du Règne des Cieux sans montrer les signes du Dieu qui sauve. Non pas qu’il s’agisse de nous transformer en thaumaturges, Matthieu, un autre évangile, montre que cela est plein d’ambiguïté : Mt 7, 21 « Ce n’est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux. 22 Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? En ton nom que nous avons chassé les démons ? En ton nom que nous avons fait bien des miracles ? 23 Alors je leur dirai en face : jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. »
Quoi ?! Je puis faire du bien et ne pas être ami de Dieu ? Cet envoi en mission ne fait pas de nous des humains infaillibles, mais nous emmène en même temps à creuser plus loin cette lumière qui a commencé à se faire jour en nos cœurs et à en extirper les obscurités. Il s’agit bien de se mettre au service de la vie, de travailler à la venue du royaume par notre engagement et d’abord par la transformation personnelle que demande la suite du Christ. La bonne volonté ne suffit pas, car elle est portée aussi par des ambiguïtés. Notre cœur s’est éveillé à la lumière du Christ, mais il est aussi habité par une part d’ombre que la suite du Christ viendra mettre au jour. Partir en mission, oui, mais d’abord pour un travail sur soi, parce que la rencontre de l’autre m’oblige à travailler sur moi si je veux être crédible. Le texte que je viens de citer est à la fin des chapitres 5-7 qui correspond chez Mathieu à l’enseignement du Christ pour qui veut se mettre à sa suite, c’est en s’ajustant à ce qu’il y a là d’écrit que l’on fait la volonté de Dieu. Le texte est exigeant, il demande du temps à lire, à comprendre, mais il est comme la lumière de l’étoile qui nous guide dans la nuit. Car c’est d’abord là, en chacun d’entre nous, que commence le règne, ce chemin de libération de notre cœur qui se fait jour et qui n’est jamais acquis. C’est difficile de laisser en nous une porte ouverte au changement, de laisser une autre lumière, un autre point de vue se tracer un chemin au cœur de nos certitudes. Car la multitude des croyants ouvre à une multitude de points de vue dans la manière même de servir le Christ. Et, ici, seul a raison celui qui aime. Et Jésus nous envoie au milieu des loups, avec notre propre part d’ambiguïté aussi. Car il serait trop simple de se situer comme un petit agneau sans tache au milieu de personnes perverties.
Les hommes sont plus complexes que ce que nous révèle la seule lecture de notre récit qui paraît somme toute un peu caricatural ou qui renvoie aux films mettant en opposition les bons et les méchants et évidemment nous croyons être tous du côté des bons. Pas si simple quand nous commençons à regarder notre cœur… Et par delà toute notre bonne volonté, il y a aussi des espaces en nous qui résistent à la lumière. Et l’échec de nos missions peut être lui aussi porteur d’une vie plus grande, car plus abandonnée au Seigneur qui est le seul Sauveur. Ce n’est pas notre bonne volonté qui sauvera le monde, c’est Dieu en nous, c’est l’espace qui se libérera en nous pour que Lui puisse agir. C’est peut-être l’enjeu de notre engagement à la suite du Christ que de le découvrir, toujours plus profondément. L’Église est appelée à continuer l’œuvre du Christ, à témoigner de sa présence au cœur de l’humanité, cette Église sainte, sainte de la présence de son Dieu en elle, mais aussi pécheresse de tout le poids d’humanité qui pèse sur elle. Elle a besoin, c’est chacun d’entre nous, de la force de l’Esprit pour l’aider à dépasser ses propres contradictions et continuer sa mission.