Textes liturgiques (année A) : Ez 37, 12-14 ; Ps 129 (130) ; Rm 8, 8-11 ; Jn 11, 1-45
« Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu. » Cette confession de foi de Marthe avant même le signe opéré par Jésus souligne l’importance de ce chapitre 11 de l’évangile selon saint Jean. Nous l’avons entendu dimanche dernier avec la guérison de l’aveugle-né et la réaction des pharisiens : la tension monte et atteint un seuil critique. Au point que les disciples ne comprennent pas pourquoi Jésus retourne en Judée et prend le risque de se faire lapider ; et Thomas d’ajouter que tous ils sont prêts à mourir. Jésus se rend donc auprès d’un mort, tout en risquant d’y ajouter sa propre mort. Mais à travers cet épisode, c’est tout le mystère du Christ qui nous est dévoilé, avec une richesse particulière. Jésus y apparaît bien comme l’Homme-Dieu, pleinement homme et pleinement Dieu.
La divinité du Fils est indiquée à travers plusieurs attitudes : Jésus attend deux jours après l’annonce de la maladie de Lazare et presque de façon provocatrice, se réjouit de ne pas avoir été là au moment du décès ; il se présente à Marthe comme la Résurrection et la Vie en personne ; enfin au moment de réaliser le retour à la vie de Lazare, Jésus exprime sa certitude inébranlable d’être exaucé. La parole de Jésus est efficace et redonne vie à son ami Lazare. Nous sommes ici sur un sommet de la révélation avec le signe le plus éclatant qui soit de la divinité de Jésus. Si la guérison d’un aveugle-né attestait déjà que cet homme venait de Dieu, désormais Jésus se révèle comme participant de la divinité même du Père.
Mais c’est aussi dans ce passage que l’humanité de Jésus nous est dévoilée avec le plus de force, à travers son lien d’amitié avec Lazare, Marthe et Marie. Oui, Jésus a eu des amis et a noué des relations privilégiées avec cette famille. Il s’est senti chez lui à Béthanie, dans cette maison accueillante. Et cette amitié profonde nous dévoile les entrailles humaines de Jésus : le décès de Lazare qui semblait le laisser indifférent en réalité le bouleverse, en communion avec les autres et provoque en lui à deux reprises des émotions fortes, au point que Jésus se met à pleurer. Ses larmes sont d’ailleurs interprétées par les observateurs comme un signe d’affection. Quel précieux passage d’évangile où nous découvrons le Christ ému et touché par la souffrance, au point de pleurer. Certes les autres évangélistes ont montré des scènes où Jésus était saisi aux entrailles par la détresse des foules et décidait donc de parler ou de guérir. Mais ici il y a en plus une note d’intimité ; Jésus est touché par la mort d’un proche. Et ainsi Jésus se rend si proche de nous dans nos expériences de deuils et d’épreuves. Jésus n’est pas indifférent et étranger à cela ; il l’a traversé et nous a montré que la mort n’a pas le dernier mot.
Voici donc devant nos yeux le mystère de Jésus, pleinement Dieu et pleinement Homme. Il est à la fois le Tout-Autre et le Si-Proche, le Très-Haut et le Très-Bas, le plus intime et le plus insaisissable. Et ce mystère de Jésus s’offre à notre foi. Car tous les signes opérés par Jésus dans l’évangile sont des appels à la foi. Il le dit clairement aux disciples : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. » Il le redit en priant son Père : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Et il demande à Marthe de croire en lui : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Et de fait après le retour à la vie de Lazare, « beaucoup de Juifs (…) crurent en lui. »
Le signe est tellement éclatant que nous pourrions penser que la foi s’impose d’elle-même. Il n’en est rien puisque les versets qui suivent nous racontent que c’est précisément ce signe qui endurcit mystérieusement le cœur des Pharisiens et précipite leur décision de faire mourir Jésus. La foi, c’est donc un choix. C’est d’abord et toujours un don de Dieu mais ce don peut être accueilli ou pas. C’est à nous de choisir. Pour reprendre le langage de saint Paul dans la 2e lecture, nous avons à décider selon quel principe nous voulons vivre : celui de la chair ou celui de l’Esprit. Il n’y a pas de 3e voix… "Vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit."
Il nous faut choisir sous quelle emprise nous voulons nous placer : ou bien celle de la chair qui correspond à notre vieil homme, notre moi égoïste ; ou bien l’emprise de l’Esprit qui est en réalité une alliance de liberté. L’emprise de la chair, c’est la vie dans nos tombeaux, ces petits cercles étroits dans lesquels nous enfermons nos vies. On y sent le renfermé, la mesquinerie, le calcul, la médiocrité et tout cela finit dans la mort. L’emprise de l’Esprit, c’est le contraire : c’est une sortie, l’ouverture du tombeau, le fait d’être délié de ses entraves, l’expérience d’aller librement. L’Esprit qui habite en nous nous régénère et nous donne d’être de vrais vivants, mus non pas par nos intérêts mais par le Bien et le Vrai. Celui qui croit au Fils, celui qui vit selon son Esprit demeurant en lui fait éclater l’étroitesse des tombeaux pour goûter l’air pur de l’évangile. Il est uni à Celui qui est la Résurrection et la Vie et a déjà vaincu la mort. De quoi aurait-il encore peur ?
« Le Maître est là, il t’appelle » dit Marthe à sa sœur Marie. C’est ce même appel que nous pouvons entendre aujourd’hui personnellement. Jésus est là et appelle chacun de nous à croire et à le suivre. Quittons donc les diverses emprises présentes dans nos vies, débarrassons-nous de nos idoles pour aller nous placer sous le Souffle libérateur du Dieu vivant. Lui seul est le chemin, la vérité et la vie. Comme Lazare, Marie et Marthe, choisissons Jésus comme Ami.