L’idolâtrie de la liberté (Ho 13°dim TO - 26/06/22)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : 1 R 19, 16b.19-21 ; Ps 15 (16) ; Ga 5, 1.13-18 ;Lc 9, 51-62

« Toute la Loi est accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Pour celles et ceux qui ont du mal à se souvenir de leur catéchisme, voici une affirmation précieuse donnée par saint Paul dans notre 2e lecture. Ce commandement qui était déjà présent dans la Torah mais limité aux relations internes au peuple d’Israël prend une nouvelle dimension avec l’ouverture du salut aux nations. C’est l’appel à l’amour inconditionnel que Jésus a incarné jusqu’au bout de sa vie. Saint Paul cherche à faire comprendre aux chrétiens de Galatieen quoi consiste la liberté chrétienne. Tout baptisé a été libéré par la mort et la résurrection du Christ mais la liberté est toujours un appel à grandir. Elle ne doit pas être un « prétexte pour votre égoïsme » alerte saint Paul. Cette interpellation est très importante pour notre époque marquée par une certaine idolâtrie de la liberté. Bien sûr la liberté est une valeur fondamentale comme le concile Vatican II l’a redit avec force ; et d’ailleurs cette liberté est en fait un don de Dieu. Dieu nous a créés comme des êtres libres, à son image et à sa ressemblance. Nous ne sommes pas des êtres totalement déterminés et voués à une fatalité ; notre libre-arbitre n’est pas une illusion. Nous sommes capables de collaborer librement à l’œuvre de Dieu.

Mais dans la logique chrétienne, la liberté n’est jamais un absolu. Elle est toujours relative à la charité. Est libre non pas celui qui fait ce qu’il a envie mais celui qui choisit ce qui est véritablement bon. « Aime et ce que tu veux, fais-le » résume avec force saint Augustin. C’est parce que l’amour de charité oriente mes décisions, que je peux m’y engager avec confiance. Une liberté qui reste centrée sur elle-même ne mène pas très loin et certainement pas à un bonheur durable. La liberté véritable est dans le don. Voilà pourquoi Paul affirme : « mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. » Celui qui a été libéré de l’emprise de ses pulsions peut se donner pour aimer et accomplir la Loi. Celui qui a reçu le cadeau d’une liberté véritable est rendu capable d’un amour fort et à partager aux autres.

C’est exactement ce que fait Jésus au long de l’évangile : la liberté qu’il a reçue de son Père, il la met au service des autres. Il ne l’utilise pas pour s’éclater et passer du bon temps, comme le diable le suggère dans ses tentations, mais il se donne à travers elle. L’extrait de l’évangile que nous avons entendu se situe un peu après l’épisode de la Transfiguration et une nouvelle annonce de la Passion de Jésus. « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem. » Pour accomplir parfaitement la loi dans l’amour, Jésus sait qu’il doit aussi accomplir le temps, c’est-à-dire rester à l’écoute des évènements et de son cœur pour discerner le moment de l’engagement plus ferme pour aller vers sa mort et sa résurrection. Aussi conscient des enjeux de ce temps, le Christ prend sa liberté en mains et décide de faire face à sa mission. Il ne le fait pas à moitié mais avec le « visage déterminé », traduction de l’expression : ‘il durcit sa face’ faisant écho au serviteur souffrant évoqué par Isaïe 50. Durcir sa face, c’est mobiliser ses énergies au point que cela se voit même sur le visage ! C’est une expression physique de la détermination intérieure. Nous en avons peut-être déjà fait l’expérience : certains visages nous disent d’eux-mêmes ‘pas de négociation possible’… Par cette attitude, Jésus nous montre qu’aimer, ce n’est pas une question d’abord de sentiments mais d’engagement. Jésus aime son Père et il le lui prouve en s’engageant avec force dans son chemin. De même, ne pensons pas prétendre aimer Dieu si nous faisons le contraire de ce qu’il nous demande. Aimer suppose du courage, et disons-le parfois une certaine violence pour dépasser notre paresse, notre lâcheté ou notre petit confort. Nous pourrions le vérifier dans l’enseignement de sainte Thérèse d’Ávila qui affirme qu’aimer suppose de la détermination, des efforts et de la persévérance. On n’aime pas sans souffrance et sans patience, sans décision de nous engager dans un vrai combat spirituel qui va nous secouer.

Devenir disciple de Jésus pour aimer son prochain comme lui-même a aimé n’est donc pas une partie de plaisir. C’est un chemin de transformation. Jésus est tranchant avec ceux qui pensent que le suivre peut se faire sans détachement ni renoncement. « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. » L’école de l’amour offerte par le Christ implique un engagement ferme et sans retour. Sinon l’apprentissage de l’amour ne se fera pas vraiment. Si l’appel d’Elisée par Elie préfigurait l’appel des disciples par le Christ, nous voyons que l’urgence n’est pas la même. Jésus insiste sur la priorité du Royaume sur toute chose. Deux personnes lui demandent une permission en utilisant le mot « d’abord » : « permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père » et « laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » Jésus n’est pas un gourou inhumain mais il démasque nos priorités ambigües ou nous fausses excuses pour le suivre plus tard. Or c’est aujourd’hui que les temps sont accomplis et que le Seigneur nous invite à le suivre, pas demain, après avoir fait ceci ou cela…

Frères et sœurs, nous pressentons combien l’amour que le Seigneur veut nous enseigner est exigeant. Cela demande de l’énergie et de la force et c’est pourquoi il nous faut nous investir à fond dans cet apprentissage. En effet c’est parce que nous apprenons à aimer le Seigneur de toute notre force que la force nous est donnée ensuite d’aimer notre prochain comme nous-même ; c’est-à-dire comme nous-mêmes avons été aimés par ce Jésus qui a donné sa vie pour nous. Ce choix de l’amour du prochain est en fait toujours un choix de l’amour de Dieu et donc d’un sain amour de nous-même. Ainsi se vit l’accomplissement véritable de la loi et aussi de notre humanité. Seul l’amour accomplit toute chose : la loi, le temps et notre humanité. Cet accomplissement humain est d’ailleurs très bien décrit dans le psaume 15 : « Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! » Celui qui apprend le chemin de la vie à l’école du Seigneur et qui choisit de ne pas avoir d’autre bonheur que Lui fait l’expérience d’une joie qui déborde et est contagieuse pour les autres. Voilà comment notre liberté s’accomplit dans l’amour. Alors décidons de marcher dans cette direction sous la conduite de l’Esprit Saint. Qu’il nous mène ainsi ensemble jusqu’à la joie parfaite. Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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