La Présence de Dieu - (Homélie 26/04/20)

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques : Ac 6, 8-15 ; Ps 118 (119) ; 1 P 1, 3-9 ; Jn 20, 19-31

Comment peut-on être parfaitement informé de tout et ne rien comprendre ? Cléopas fait un résumé exact de ce que l’évangéliste Luc a raconté jusqu’à la Passion : Jésus est bien de Nazareth ; il fut un prophète en parole et en acte ; il exerçait sous le regard de Dieu une mission envers le peuple, mais les chefs religieux l’ont condamné à mort et crucifié. Les deux disciples connaissent parfaitement l’histoire de celui qu’ils ont suivi. Pourtant, ils sont incapables de le reconnaître et expriment leur déception ; sa mort a anéanti leur espoir de voir la délivrance d’Israël ! Désabusés, ils restent fermés à un mystère qui dépasse ce qu’ils sont capables d’imaginer. Pourtant, des événements étranges ont eu lieu : la découverte du tombeau vide par des femmes, confirmée ensuite par des hommes. Il y a même des anges qui le disent vivant ! Mais rien ne bouge.

Alors l’inconnu les réprimande vivement pour leur manque d’intelligence et leur lenteur à croire. Il ne leur reproche pas de ne pas le reconnaître. Il ne leur en veut pas non plus de ne pas avoir cru aux annonces qu’il avait faites au sujet de sa passion et de ne pas pouvoir en conséquence interpréter ces événements. D’une certaine manière, l’accusation est plus radicale : ils n’ont pas cru les oracles des prophètes ! C’est pourquoi ils sont dépourvus de l’intelligence nécessaire à la compréhension, non seulement de Moïse et des prophètes, mais encore de toutes les Écritures ! Ces juifs fervents s’avèrent réfractaires au mystère de l’Alliance de Dieu avec leur peuple. Alors le Ressuscité entreprend de les éclairer à partir des Écritures sur la nécessité de son passage par la souffrance pour accéder à la gloire. Les Écritures ont été constituées pour l’essentiel à la suite de l’exil à Babylone, quatre siècles avant le Christ. La foi juive en un Dieu unique est née dans le contexte dramatique de cet exil. Le peuple a perdu sa terre, son roi et son Temple et ainsi donc tous les gages de l’accomplissement des promesses de Dieu. Jusque-là, Israël vénérait un seul Dieu, mais sans nier l’existence des dieux païens. Son exil aurait dû le conduire à reconnaître la supériorité de ces divinités païennes victorieuses du Dieu juif. Mais Israël continue à croire en la fidélité de son Dieu. Assumant la pleine responsabilité de sa défaite, il découvre alors le caractère unique de ce Dieu qui l’accompagne sur la terre de son exil. Sa foi au Dieu unique est née de cette contradiction entre l’espérance d’un salut politique et la réalité d’une catastrophe nationale. Loin de désespérer, Israël acquiert la certitude que Dieu reste non seulement son Dieu, mais qu’il est le seul Dieu véritable, dont l’action s’accomplit toujours et partout, au ciel et sur la terre. Les prophètes dénoncent alors le néant des idoles forgés par le désir humain. La foi d’Israël est la foi d’un peuple qui ne confond pas Dieu avec ses désirs, mais pénètre plus profondément son mystère chaque fois que son espérance est déçue. La Croix du Christ se situe ainsi dans la droite ligne de cette révélation du Dieu unique  : croire aux oracles des prophètes et comprendre toutes les Écritures, c’est pouvoir reconnaître la fidélité de Dieu jusque dans un échec aussi absolu que celui de la crucifixion.

Les deux marcheurs sont encore loin d’une telle foi, mais quelque chose s’éveille dans leur cœur : ils demandent à l’inconnu de rester avec eux. Lors du repas, bien qu’étant l’invité, Jésus joue le rôle du maître de maison : il prononce la prière et partage le pain comme il le fit juste avant sa passion. « Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. » Il n’y eut pourtant ni prodiges, ni effets spéciaux, mais la simplicité d’un geste : la présence de Jésus est devenue évidente jusque dans l’invisible. Le compte rendu des deux disciples aux onze apôtres se résume à cette reconnaissance lors de la fraction du pain. Par-delà le désastre, celle-ci révèle une fidélité capable de traverser la mort. Le Ressuscité les remet ainsi en route sur le chemin de la foi, d’une foi qui n’est pas fondée sur des espoirs humains, mais sur la fidélité de Dieu à son Alliance. Ainsi, notre foi peut-elle être éprouvée par des drames personnels, des scandales ecclésiaux ou une pandémie mondiale. C’est le moment favorable pour reconnaître à la lumière des Écritures la présence du Ressuscité et vivre de sa Vie. La fidélité de Dieu culmine à jamais dans le don qu’il nous fait de son Fils sur la Croix. Dans la mémoire du Crucifié, un simple geste de partage éveille notre cœur au vrai visage de l’Amour.

Fr. Olivier-Marie Rousseau, ocd - (couvent de Paris)
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