Textes liturgiques (année A) : Si 15, 15-20 ; Ps 118 (119) ; 1 Co 2, 6-10 ; Mt 5, 17-37
Peut-être avez-vous comme moi l’impression d’avoir reçu un bon coup de massue sur la tête ?… Car qui peut sortir indemne des paroles tranchantes du sermon sur la montagne ? Qui peut dire qu’il ne sent pas menacé par le tribunal ou la géhenne en songeant aux insultes proférées ou à sa convoitise secrète ? Et peut-être que les catéchumènes présents parmi nous se demandent s’ils ont emprunté le bon chemin… Nous pourrions ici emprunter les mots des auditeurs de Jésus dans l’évangile de Jean après le discours sur le pain de vie : « elle est rude cette parole, qui peut l’entendre ? » (Jn 6,60) Et encore, nous ne sommes pas encore au cœur du sermon de Jésus qui nous parlera dimanche prochain de l’amour des ennemis… Comment donc frères et sœurs accueillir ces paroles du Seigneur pour nous ?
D’abord en les situant dans leur contexte, en prêtant attention à ce qui précède et à ce qui suit… Ce qui précède, nous l’avons entendu il y a deux dimanches : c’est la proclamation des béatitudes. Ce qu’on appelle dans l’évangile de Matthieu le sermon sur la montagne est introduit par une invitation au bonheur : Heureux ! Jésus ne nous annonce pas un malheur mais une bonne nouvelle qui nous propose un chemin de bonheur. Et Jésus parle d’expérience puisqu’il décrit dans les béatitudes ce même bonheur qu’il vit comme Fils de Dieu. ‘Heureux ceux qui comme moi font la volonté du Père et entrent ainsi dans son Royaume’. Or faire sa volonté, ce n’est pas se contenter d’une pratique formelle et extérieure de la Loi, comme pouvaient le faire certains pharisiens ; c’est aller à la racine. Jésus accomplit la Loi en la radicalisant, c’est-à-dire étymologiquement en la ramenant à sa racine. Et sa racine, c’est l’appel à la sainteté, au bonheur divin. La Loi de Dieu n’est pas un obstacle à notre bonheur ; c’est précisément le contraire. Elle est une invitation au bonheur ; simplement ce bonheur n’est pas celui que nous avons dans nos têtes. C’est un bonheur révélé ; non pas un bonheur fruit d’une sagesse humaine et élaboré par elle mais un bonheur inouï que seul Dieu peut dévoiler. Saint Paul le dit à sa manière aux chrétiens de Corinthe : « ce dont nous parlons, c’est de la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, établie par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire. (…) Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation. »
Dans le Christ nous recevons la plénitude de la révélation et s’ouvre devant nous un chemin de sagesse. Il s’agit bien d’un chemin comme nous le dit le psaume : « Heureux les hommes intègres dans leurs voies qui marchent suivant la loi du Seigneur ! » Nous retrouvons ici cette invitation au bonheur liée à une marche pour accomplir la loi divine. Le bonheur proposé par Dieu n’est pas une expérience fugace liée à la possession de tel ou tel bien ; il est la traversée de cette vie avec la conscience d’un Amour qui nous tient et ne nous lâche pas. C’est parce que je me sais aimé infiniment et gratuitement par Dieu que je peux répondre à son amour. Voilà déjà un point fondamental de conversion : nous fonctionnons souvent dans le sens inverse : nous pensons ‘il faut que je fasse telle ou telle chose pour que Dieu m’aime’. Or Dieu ne nous a pas attendu pour nous aimer. Il nous aime déjà ; et c’est parce qu’Il nous aime qu’il peut nous demander des choses ; c’est parce que nous recevons son amour que nous sommes équipés intérieurement pour mettre en œuvre ce qu’il nous demande. Laissons-nous donc d’abord aimer par Dieu dans la prière pour pouvoir déployer une vie qui soit dans la ligne de l’évangile. Sinon nous ferons l’expérience de notre incapacité et de notre faiblesse.
C’est d’ailleurs le deuxième aspect du contexte : il faut lire les chapitres 8-9 de l’évangile de Matthieu qui suivent sur le sermon sur la montagne. Après cette prédication solennelle, les foules sont impressionnées par l’autorité de ce rabbi pas comme les autres mais elles doivent se dire que ce chemin est impraticable pour elles. Alors Jésus va pratiquer 10 miracles, essentiellement des guérisons pour montrer qu’en effet par nous-mêmes nous ne pouvons pas répondre à l’appel de Dieu ; nous ne pouvons pas mettre en œuvre sa loi d’amour. Mais avec sa grâce reçue dans la prière et les sacrements, notre humanité pécheresse est restaurée et nous pouvons nous engager sur le chemin de l’amour inconditionnel. « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle » avec la grâce Dieu, pourrait-on préciser. Nous pouvons emprunter les chemins de Dieu car nous savons que les chutes ne seront pas des obstacles à notre bonheur ; la miséricorde nous sera livrée chaque jour pour nous relever et avancer dans la profondeur des béatitudes.
Cependant, frères et sœurs, tout cela appelle notre foi et notre liberté. Comme Ben Sira le disait dans la 1re lecture : « La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. » Le Christ ne nous traite pas en marionnettes mais nous invite à poser un choix chaque jour, avec un oui clair. « Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’, ‘non’, si c’est ‘non’. Ce qui est en plus vient du Mauvais. » Ou bien nous croyons que Dieu est Dieu et qu’il sait ce qu’il nous demande ; ou bien nous en restons à un dieu humain, un peu pervers sur les bords qui chercherait à nous coincer. Or Jésus ne nous parle que d’un seul Dieu, son Père qui veut sauver tous les hommes et qui en paye le prix. Dieu a payé le prix de notre bonheur sur la Croix : de quel argument supplémentaire avons-nous besoin pour croire que son appel au bonheur n’est pas un traquenard ?
Laissons donc le Seigneur faire en nous ce qu’il veut faire et suivons-le sur les chemins de la vraie vie. Redisons avec le psaume : Seigneur, « sois bon pour ton serviteur, et je vivrai, j’observerai ta parole. (…) Ouvre mes yeux, que je contemple les merveilles de ta loi. » Amen