Textes liturgiques (année A) : Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88 (89) ; Ap 1, 5-8 ; Lc 4, 16-21 ; Ex 12, 1-8.11-14 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
« La nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : ‘Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi.’ » Dans la 2e lecture, saint Paul nous transmet ce qu’il a lui-même reçu des premières communautés chrétiennes : la mémoire d’un paradoxe. Paradoxe de passivité et d’activité souligné également par l’évangile : passivité puisqu’on parle de la nuit où Jésus était « livré », trahi, piégé ; activité puisque Jésus savait que son heure était venue, qu’il n’a pas fui mais qu’au contraire il a anticipé sa trahison en l’annonçant et en livrant lui-même son propre corps et son propre sang. Le mystère de la liberté du Christ éclate en ce dernier repas où Jésus se livre avant même qu’il soit livré par Judas. Car le propre de l’Amour est de saisir toutes les occasions, mêmes contraires, pour faire le bien et donner de l’amour. Et ce don de l’amour passe concrètement par le corps.
En ce jeudi saint le Seigneur nous dévoile en profondeur le sens du corps humain, un corps fait pour le don. Notre corps nous est donné pour que nous le donnions à notre tour. Et nous entrons ici au cœur du mystère de l’Eucharistie instituée en ce jour. L’Eucharistie est le mémorial du corps de Jésus livré jusqu’au bout. Qu’est-ce que le Fils de Dieu a fait de son corps ? Il l’a reçu en entrant dans le monde, comme la fête de l’Annonciation nous l’a rappelé. Il a épousé un corps humain reçu de sa mère. Ce corps a grandi au cours de son adolescence. Et c’est dans son corps que Jésus a commencé à annoncer le Royaume de son Père, supportant l’effort et la fatigue, la soif et la faim. Puis ultimement, Jésus s’est offert dans son corps pour accomplir sa mission dans la souffrance et la mort. Il nous a livré son corps et son sang comme gage de sa présence et comme force pour que nous-mêmes nous fassions comme lui. Car Jésus n’a pas dissocié le don de son corps du soin qu’il a pris du corps des autres. Il a guéri tant de corps blessés ou abîmés par la maladie voire la mort avec Lazare. Et en ce jour solennel, il a lavé les pieds de ses disciples, manifestation corporelle spectaculaire d’un corps qui se penche et qui se met au service de son prochain. L’Eucharistie unit donc bien la célébration et le service de la vie, la messe et le lavement des pieds.
Vivre l’Eucharistie est bien un acte profondément corporel ; il nous engage à participer corporellement à la célébration (donc en présentiel et non par media interposés) ; il nous permet de former avec les autres le corps du Christ ; il nous rappelle que le corps reçu du Seigneur nous envoie pour prendre soin de notre corps comme celui du prochain. Nous avons donc besoin de retrouver aujourd’hui le sens d’une vie chrétienne incarnée, qui engage notre corps à tous les niveaux pour dépasser ces spiritualités désincarnées ou égocentrées. La vie spirituelle ne concerne pas que notre tête ou notre affectivité. C’est tout notre être, corps et âme qui doit s’engager à la suite de Jésus. La pâque du Seigneur ne se vit pas de loin mais à travers une plongée de tout notre être dans l’eau pascale, symbole de mort et de vie. Notre foi a donc besoin de gestes corporels concrets qui se manifestent dans les célébrations comme dans les services de la vie. Interrogeons-nous donc en ces jours saints ? Que faisons-nous avec notre corps ? Comment est-il accueilli dans notre vie ? Comment est-il engagé dans le service du Seigneur, dans la prière personnelle et communautaire, dans le service du prochain mais aussi dans le repos dominical ?
Demandons la grâce de nous réapproprier le don de notre corps pour le mettre au service de la vie et de l’amour. Que le corps du Christ reçu en cette sainte nuit revivifie nos corps et les livre pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Amen