Nouvelles de Bagdad (mars 2009)

à l’occasion d’une visite du Provincial

Compte-rendu de la visite de notre frère provincial à Bagdad, en remerciement pour tous ceux qui nous aident à soutenir notre mission.

Chers Frères et Sœurs dans le Christ,

Vous êtes nombreux à porter dans la prière et à aider économiquement notre mission d’Irak. J’avais confié ce voyage à la prière de beaucoup d’entre vous, ainsi qu’à l’intercession de Thérèse de Lisieux dont les reliques avaient réussi à traverser l’espace aérien iraquien interdit à tout avion civil au temps de l’embargo. J’ai expérimenté de fait combien le Seigneur conduisait ce voyage et je me suis senti porté par la prière de beaucoup au point que cette expérience a véritablement dépassé mes attentes. Je viens donc vous partager cette visite effectuée en notre couvent de Bagdad du 24 janvier au 5 février 2009.

Frères Hilal et Imad en formation au Liban

Je suis arrivé à Beyrouth le mercredi 21 janvier au soir, accueilli par nos frères libanais d’Hazmieh. Les liaisons aériennes internationales avec Bagdad se limitant à quelques pays du Proche et Moyen-Orient, le passage par le Liban s’avère obligatoire. Je bénéficie pour cela de la généreuse coopération des Frères Carmes du Liban, cette étape me permettant de rencontrer aussi nos deux frères iraquiens en formation à Mu’haesrah, Hilal et Imad. Le frère Ghadir, Prieur de Bagdad, est venu lui-même à Beyrouth m’y rejoindre pour m’accompagner. L’accès de l’aéroport de Bagdad étant strictement réservé aux voyageurs, c’était la seule manière de pouvoir m’aider à franchir les formalités de passage. Nous devions prendre l’avion dès le lendemain matin, mais ce vol fut annulé et reporté au samedi 24. Nous avons mis à profit ce contretemps pour rencontrer Hilal et Imad dans le beau cadre du couvent de Mu’haesrah qui domine la Méditerranée à une altitude de 500 mètres. Le temps ensoleillé nous a permis de faire une belle promenade, luxe dont Ghadir est habituellement privé dans une ville où il ne peut sortir qu’en voiture.

Le voyage lui-même s’est passé sans encombre. La route de l’aéroport à Bagdad est pratiquement une autoroute. Les palmiers qui en faisaient la splendeur au temps de Saddam ont été tous abattus par les américains pour des motifs de sécurité. Nous longeons sur au moins dix kilomètres l’interminable camp militaire de l’armée américaine encerclé par une succession d’éléments de béton agrémentés de fresques évoquant les paysages et la culture de l’Irak. Ces blocs de béton sont devenus un élément omniprésent de l’architecture urbaine à Bagdad, servant à protéger les bâtiments officiels, les lieux publics, les check-point … Nous sommes arrêtés sur la route par un interminable convoi de poids lourds chargés de ces mêmes blocs, convoi précédé et suivi par les chars de l’armée américaine. Ceux-ci ne sont identifiables que par un très discret macaron du drapeau US sur le pare-brise, les américains veillant à être discrets, mais la taille imposante de ces engins permet facilement de les distinguer de ceux plus modestes de l’armée iraquienne. Le trajet est encore allongé par le fait que nombre d’avenues sont interdites à la circulation, ce qui contraint à de multiples détours.

Couvent des Carmes de Bagdad

Je suis arrivé au couvent en même temps que quatre jeunes venus d’un village du nord de l’Irak pour discerner leur vocation. Cela me permettra de rencontrer chacun d’eux et de faire avec Ghadir un premier discernement. Avec les trois Frères de la communauté, les deux jeunes vivant au couvent depuis septembre dernier et ces quatre regardants, nous étions dix au couvent, situation plus qu’exceptionnelle qui ne reflète pas la réalité actuelle. Après le repas, Thomas m’a fait visiter le couvent, une jolie construction en brique jaune des années 50 réalisée dans le style traditionnel. Ce bâtiment d’un étage est un quadrilatère avec un cloître intérieur à deux niveaux et un petit jardin central. De taille modeste, il est très agréable. Une église adjacente au couvent peut accueillir deux cents personnes. Les frères ont réussi à bien entretenir le couvent, mais le plafond de l’église menace ruine du fait de diverses explosions dans le quartier et de la chute d’un mortier en 2005.

Mgr Jean Sleiman, Archevêque des latins de Bagdad et carme, devant partir en voyage, je lui ai rendu visite dès ce premier jour. La cathédrale est située de l’autre côté du Tigre dans la partie plus ancienne de Bagdad, tandis que le couvent se trouve dans une partie plus récente de la ville à proximité des immeubles gouvernementaux et de ce qui est devenu ainsi la fameuse zone verte. Cela signifie que l’essentiel des activités de Ghadir nécessitent qu’il traverse le Tigre, opération toujours délicate en raison des incertitudes du trafic. Deux ponts sont ouverts à la circulation, le troisième étant réservé à l’armée. Il est fréquent qu’ils soient bloqués par des convois officiels. La durée du trajet peut ainsi aller de ¼ d’heure à deux heures. Après avoir concélébré à la messe présidée par le Père Jean, j’ai pu le rencontrer longuement ensuite dans son évêché.

Le lendemain dimanche, j’ai commencé à rencontrer chacun des trois frères, Manuel, Thomas et Ghadir, constatant combien les uns et les autres étaient usés par ces années éprouvantes. Le Père Manuel Hernandez, en raison de la l’usure de sa santé, a regagné depuis sa Province d’origine, la Castille, après cinq années données au service de la mission d’Irak. La messe dominicale a lieu en fin d’après-midi pour permettre aux chrétiens qui travaillent d’y participer. Le dimanche est en effet un jour ouvrable en Irak. Ce fut un moment très émouvant tant la liturgie est belle et recueillie, bénéficiant de la participation d’une chorale et de plusieurs instrumentistes. Une centaine de personnes y participent, ce qui est beaucoup moins que par le passé. Cela tient d’une part à l’émigration de chrétiens hors d’Irak, mais aussi au fait que la traversée du Tigre étant difficile et parfois dangereuse, les chrétiens qui venaient au couvent depuis l’autre rive ont cessé de le faire. Il y avait ce dimanche au violon un virtuose musulman qui vient fréquemment jouer au couvent pour la messe par amitié pour les chrétiens. Vivre une célébration d’une telle qualité tant au plan esthétique qu’à celui de l’intériorité dans un pays si éprouvé m’a fait percevoir la profondeur de foi vécue. Je fus habité par un immense sentiment de gratitude pour ce qui m’était ainsi donné.

J’ai rencontré personnellement les deux jeunes vivants au couvent et désirant s’engager au Carmel. Rafed avait déjà fait un essai il y a deux ans. A ma demande, le Père général l’a autorisé à prononcer à nouveau des vœux après la période probatoire nécessaire. Nous en avons fixé la date au 8 septembre prochain, car je prévois de passer le mois de septembre en Irak. J’ai également accepté au Postulat James l’autre jeune vivant au couvent. Nous l’avons signifié aux laudes de la fête de la Présentation au Temple au cours desquelles je lui ai imposé le scapulaire de Notre Dame du Mont Carmel. Ce fut un signe d’espérance au cours de ce séjour.

Je suis retourné plusieurs fois dans le quartier de la cathédrale pour rencontrer les groupes fondés par Ghadir assurant aussi à deux reprises une conférence que Ghadir se chargeait de traduire. Ce fut d’abord ce groupe de jeunes femmes consacrées dans le monde que Ghadir a fondé il y a une dizaine d’années. Elles sont quatorze en tout et six d’entre elles habitent ensemble dans l’un de nos couvents proche de la cathédrale. Elles ont un métier et vivent à la manière d’un institut séculier. J’ai rencontré plusieurs groupes de spiritualité et en particulier une trentaine de personnes désireuses d’entrer dans l’Ordre séculier du Carmel.

J’ai visité le Centre Saint Joseph. Après l’invasion américaine de 2003, une organisation chrétienne œcuménique à prédominance protestante a financé la réalisation d’un centre de formation chrétienne dans les locaux de la cathédrale latine. Le frère Ghadir a été chargé par Mgr Sleiman de la direction et de l’animation de ce Centre qui emploie onze personnes. En avril 2008, cet organisme a décidé de se retirer, estimant qu’il ne pouvait pas suffisamment intervenir dans les orientations du Centre, ce qui nécessite de trouver 4000 euros par mois pour assurer la vie de ce lieu unique en son genre pour les chrétiens de Bagdad. Un institut de formation y offre chaque samedi une journée de cours touchant à la vie spirituelle, à la Bible, à la christologie, à l’animation pastorale et même à la philosophie. Outre Ghadir, un prêtre chaldéen, un dominicain et des laïcs en assurent les enseignements. Différentes rencontres proprement spirituelles sont aussi proposées dans ce cadre, tels que des groupe de prières, des soirées liturgiques, des rencontres de jeunes, des soirées des familles, des récollections. En outre, ce Centre travaille à la réalisation d’un site internet de l’Eglise latine en langue arabe destiné à tous les chrétiens en vue d’offrir des éléments de formation et une nourriture pour la foi et la vie spirituelle. Il comporte une salle informatique équipée de onze ordinateurs permettant aux personnes d’accéder au web ainsi qu’une bibliothèque de prêt, une librairie, une cafeteria, quatre salles de cours et une chapelle.

Une promotion de laïcs formée au Centre Saint Joseph de Bagdad

J’ai pu mieux percevoir aussi durant ce séjour ce que Ghadir avait vécu durant ces années et ce qu’il continuait d’assumer. Il a de multiples fois encouru un risque mortel, la dernière datant de la veille de notre départ où une voiture a explosé 30 secondes après qu’il l’ait dépassée. Les démarches qu’il doit faire auprès de chefs tribaux pour sauver les intérêts de la mission, les menaces diverses, l’accueil des pauvres souvent imprévisible sont autant de sources de stress qui s’ajoutent à toutes les complications de la vie quotidienne. Tout cela pèse sur sa santé et je lui ai demandé de venir passer un mois en France pour se soigner et pour se reposer un peu. Pour ma part, j’ai pu percevoir un climat de menace encore sensible malgré une amélioration réelle de la sécurité à Bagdad où il n’y a plus que deux ou trois attentats par jour en moyenne ! J’ai entendu deux explosions depuis le couvent. Le bruit de l’aviation est permanent. J’ai observé par exemple depuis la terrasse du couvent deux hélicoptères iraquiens faisant d’interminables cercles à basse altitude au point que j’aurai pu saluer le militaire qui de la porte ouverte dirigeait sa mitraillette vers le sol si ce geste ne risquait pas d’être interprété comme une agression. Le climat de peur est tel que les militaires tirent pour un rien, même si dans ce domaine les américains sont nettement plus dangereux que les iraquiens, plus soucieux sans doute de leurs compatriotes. Lors de mes déplacements, outre les problèmes d’embouteillages qui témoignent de ce que les bagdadi osent à nouveau sortir de chez eux, j’ai été témoin du passage ahurissant d’un convoi d’une cinquantaine de véhicules officiels tout neuf et d’une blancheur éclatante n’ayant à leur bord que leur chauffeur. Ils ont forcé le passage sur l’un des ponts du Tigre au milieu d’un imbroglio de voiture au milieu duquel nous étions immobilisés depuis un quart d’heure. Sur fond de bruits de sirènes, nous avons assisté à une course de policiers hurlant des ordres incompréhensibles. Bloqués dans l’embouteillage, il nous fallait immédiatement libérer le passage. Après un quart d’heur d’agitation hystérique, la police a réussi à ouvrir une voie sur le pont et nous avons vu défiler à toute vitesse ce convoi qui avait certainement une mission extrêmement urgente à accomplir.

L’état lamentable de la ville témoigne aussi de cette situation dégradée. Des travaux gigantesques de réfection du tout-à-l’égout n’ont réussi qu’à transformer la moitié des rues de Bagdad en un invraisemblable bourbier. Devant le couvent lui-même les fuites d’eau occasionnées ainsi sur le réseau public obligent le Prieur à faire venir lui-même une entreprise de plomberie pour les réparer, sans quoi l’adduction d’eau cesserait purement et simplement. Des tranchées de près de deux mètres sont laissées sans protection de sorte que j’ai vu une voiture qui s’y était encastrée de nuit en l’absence d’éclairage public. Pour accéder à la cathédrale, il faut rouler au pas dans des conditions plus difficiles que sur une piste de la brousse africaine. Depuis cinq ans de libération par l’armée américaine, aucune amélioration n’a été apportée à la distribution d’électricité assurée de 2 à 5 heures par jour seulement. Il en va de même du réseau téléphonique toujours surchargé. La liste pourrait être longue de cette incurie qui fait que les effets des sommes énormes versées par les Etats Unis pour la reconstruction et des rentes de la production pétrolière n’apparaissent nulle part.

Lors de notre chapitre provincial en avril 2008, notre frère Ghadir, prieur de Bagdad, nous présente la situation de sa communauté dans un contexte dramatique

Il n’en va pas de même de la communauté qui consacre la moitié de son budget pour l’aide aux pauvres. Outre une allocation hebdomadaire à une centaine de familles pour les dépenses de première nécessité, les frères financent des traitements coûteux. J’ai ainsi vu un jeune musulman traité pour une leucémie venir, accompagné de sa mère, chercher ses médicaments pour le mois. Durant mon séjour, ils se sont aussi occupés de faire des démarches pour faire venir un jeune de 20 ans vivant dans le nord et souffrant d’un angiome dévorant la moitié de son visage. Ce jeune porte cette lésion depuis sa petite enfance et ses parents n’ont rien fait pour le faire soigner, laissant la tumeur prendre des proportions monstrueuses.

Au cours de ce séjour, outre la visite à Mgr Jean Sleiman, que j’ai retrouvé au Liban lors de mon passage retour par ce pays, j’ai rencontré également Mgr Emmanuel Delly, Patriarche des chaldéens et la veille de mon départ le Nonce apostolique, Mgr Francis d’Assise. Cet homme de nationalité indienne m’a fait une forte impression par la qualité de son accueil, sa simplicité, sa profonde bienveillance et son souci de travailler au bien de l’Eglise malgré la gravité de la situation tant du pays que des églises elles-mêmes divisées. Heureux de voir que l’Ordre se souciait de sa présence en Irak, il m’a dit qu’il me ferait rencontrer l’Ambassadeur de France lors de mon passage en septembre prochain en vue de faciliter nos relations.

Pour l’avenir immédiat, Ghadir demeure à Bagdad avec Rafed et James, Thomas étant actuellement à Bassorah pour s’occuper de l’Eglise que nous avons là-bas et y aider un prêtre chaldéen. En juin, Ghadir viendra en France pour se soigner et se reposer. Durant ce temps, le Père Raymond Abdo, provincial du Liban se propose de venir à Bagdad pour tenir la mission et en découvrir la réalité. Les liens de coopération avec la Province du Liban s’intensifient en effet. Très généreusement, le Père Abdo cherche les moyens de nous aider. Cela n’est pas le moindre des signes d’espérance pour l’avenir.

Pour conclure ce récit, le fruit de ce voyage a été la naissance d’une conviction à savoir qu’il y avait un appel du Seigneur à maintenir cette humble présence carmélitaine au sein de ce monde musulman quelles que soient les difficultés. J’ai perçu combien la présence chrétienne avec la grâce propre que le Carmel y apporte était importante pour l’avenir du christianisme au sein d’un Islam en crise qui ne résistera pas indéfiniment aux remises en cause de la mondialisation économique et culturelle. Beaucoup de musulmans s’interrogent sur leur religion et des conversions ont lieu plus ou moins ouvertement surtout dans le Kurdistan où règne plus de liberté. Il en sera comme de la chute du mur de Berlin. Ce qui adviendra, la nouveauté de Dieu, surprendra nécessairement tous ceux qui n’auront pas persévéré silencieusement dans la confiance et l’espérance. Parti ainsi avec le sentiment qu’il s’agissait pour moi de donner le signe d’une proximité fraternelle au sein d’une situation sans avenir, je suis revenu avec la conviction que si nous faisons le peu qui est en notre pouvoir aujourd’hui, un renouveau sera possible demain. C’est dans cette confiance et sûr de la fidélité de votre soutien que je vous assure de ma communion fraternelle dans le Christ,

Avon, le 25 mars 2009

Fr. Olivier-Marie ROUSSEAU, o.c.d., Provincial de Paris.

APPEL AUX DONS

Les personnes souhaitant soutenir financièrement le Centre Saint Joseph et notre couvent de Bagdad peuvent adresser leur don à :
Procure des missions carmélitaines
Couvent des Carmes
1 rue Père Jacques
77210 AVON

(Chèque libellé à l’ordre de la « Procure des Missions Carmélitaines »)

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