Suivre Jésus : de Simon à Pierre (Ho 3° dim. Pâques - 1/05/22)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Ac 5, 27b-32.40b-41 ; Ps 29 ; Ap 5,11-14 ; Jn 21,1-19

« Suis-moi. » Cet appel de Jésus adressé à Pierre peut nous sembler étrange. Il arrive comme une parole testamentaire du Christ pour Pierre alors qu’il nous semble que cette adresse relève plutôt du début du cheminement des disciples. « Venez à ma suite et je vous ferai devenir des pêcheurs d’homme » (Mc 1, 17) dit par exemple Jésus à Simon et André dans l’évangile de Marc, repris par Matthieu. Certes, mais nous sommes ici dans le 4e évangile, selon Jean, où la rencontre entre Jésus et Pierre est racontée bien différemment. C’est André le 1er qui rencontre Jésus et amène son frère à ce rabbi. Et Jésus de lui dire : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Pierre. » (Jn 1, 42) Mais il ne lui dit pas explicitement « suis-moi ».

Aussi, cet appel explicite à le suivre, Simon-Pierre a dû l’attendre longtemps. Et il ne semble pas avoir compris pourquoi cet appel solennel ne venait pas. Il a même voulu le provoquer et l’anticiper au moment du lavement des pieds et de l’annonce de la trahison de Judas. Souvenons-nous, quand Jésus annonce son grand départ, Pierre demande : « ‘Seigneur, où vas-tu ?’ Jésus lui répond : ‘Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard.’ Pierre lui dit : ‘Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai ma vie pour toi !’  » (13, 37) « Tu me suivras plus tard. » Jésus savait bien ce qu’il disait. Le temps n’était pas encore venu pour Pierre de suivre vraiment son Maître. Il fallait pour cela l’expérience de la Passion et de la Résurrection de son Seigneur.

« Nous ne nous connaissons pas nous-même » affirme régulièrement sainte Thérèse d’Avila dans ses écrits (cf. 1res Demeures 1,2). Le cheminement de Pierre l’illustre à merveille ; il n’y a aucun doute sur sa générosité et sa sincérité à vouloir suivre son Maître. Mais il n’a pas encore assez conscience du fait que tout en lui n’est pas orienté vers cette suite de Jésus. Il a besoin, comme chacun de nous, de faire l’expérience que nous ne pouvons pas être disciples sans être d’abord des sauvés. Pierre doit plonger dans l’abime qu’il y a parfois entre nos paroles et nos actes. Nous disons au Seigneur que nous sommes prêts à le suivre et à donner notre vie pour lui ; et voilà que les circonstances concrètes attestent le contraire. Sommes-nous des menteurs et Pierre, avec nous ?

Probablement, non. Mais nous découvrons que tout notre être n’est pas unifié et dirigé vers le Royaume. Il nous faut mesurer cette division intérieure pour nous en remettre à l’œuvre de salut du Seigneur. Si, comme Pierre, nous fondons notre suite du Christ sur nos capacités, nos talents, notre bonne volonté, nous ferons fatalement l’expérience amère que cela ne tiendra pas. La seule chose qui tient et qui nous fait tenir, c’est la Parole de miséricorde. Cette Parole de miséricorde nous sauve et nous restaure, comme ce fut le cas pour Pierre.

« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ?  » Cette triple question adressée à Pierre n’est pas une manière perverse pour Jésus d’enfoncer Pierre dans le souvenir amer de son triple reniement. Il n’y a aucun reproche du Ressuscité envers ceux qui l’ont trahi. Ce dialogue est au contraire le moyen adéquat pour refonder une confiance à partir de l’amour et non des capacités humaines de Pierre. Jésus ne lui demande pas : es-tu capable de me suivre maintenant, je te donne une 2e chance ? Ce n’est pas cela. Mais désormais, il te faut compter sur mon amour plus que sur toi-même.

C’est ce que semble comprendre Pierre qui répond par trois fois en s’appuyant sur le savoir de Jésus. « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Le ‘toi’ du Christ passe avant le ‘moi, je’ de Pierre. Ce n’est plus Pierre qui vit mais le Christ qui vit en lui et cela change tout ; la traversée pascale a retourné Pierre. Son savoir propre sur lui-même s’est effondré. Son vieil homme est mort et a été crucifié avec le Christ. C’est un nouvel homme qui apparaît sur le lac de Tibériade. Si la scène ressemble à l’appel des premiers disciples au chapitre 5e de Luc, les dispositions de Pierre sont radicalement différentes. Désormais, il sait qu’il ne peut plus s’appuyer sur sa générosité et son dynamisme pour servir le Seigneur ; il doit toujours prendre appui sur la Parole de miséricorde : « Suis-moi. »

Alors Simon, fils de Jean devient vraiment Pierre. La 1re parole de Jésus adressée à Simon au début de l’évangile s’accomplit. Il devient Képhas, pierre sur laquelle son Eglise va être édifiée. Il va pouvoir prêcher avec une assurance déconcertante et défier le Conseil suprême : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » Désormais Pierre sait que sa prédication ne peut s’appuyer sur lui-même ; il ne peut pas se donner en modèle puisqu’il a renié trois fois celui qu’il prêche. Mais son amour pour Jésus est plus fort que son amour propre. Aussi il ne craint pas qu’on se moque de lui et qu’on lui renvoie ses incohérences passées. Il n’est plus là pour se mettre en avant. Bien au contraire il est rendu capable de se donner en témoin de la miséricorde : devenir disciple comme Pierre, ce n’est donc pas rêver d’une vie chrétienne rectiligne et fluide, sans accrocs ni chutes  ; c’est accepter de marcher à la suite du Christ, en sachant qu’il nous faudra nous laisser sauver par sa grâce. Plus nous aurons conscience de notre identité de pécheur pardonné, plus nous serons des disciples missionnaires féconds. Nous pourrons alors, comme Pierre, nous laisser guider là où nous n’avions pas prévu d’aller puisque désormais c’est l’Esprit Saint qui nous mènera et non pas notre intérêt personnel.

« Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Que cette ultime confession de foi et d’amour de Pierre soit pour nous une boussole pour notre vie chrétienne. Dans la prière, redisons notre désir d’aimer et de suivre Jésus ; et reconnaissons aussi que notre vie n’est jamais à la hauteur de ce désir, afin de recevoir grâce et miséricorde pour avancer aujourd’hui. Faisons nôtres les paroles du psaume : « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie !  » Alléluia !

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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