Traverser les nuits de la foi

La foi chrétienne est une relation avec Jésus tel qu’il nous est présenté par les Écritures et la Tradition, elle n’est pas une réalité figée : elle est en constante évolution, de l’ordre du chemin ou de la route. Notre vie de foi n’est donc pas semblable à une autoroute toute tracée, avec un GPS qui nous dirait à l’avance le déroulé et les détails du trajet. Elle ressemble plutôt à une marche à pied en montagne. Il y a des montées et des plats, des passages faciles et d’autres moins, des jours ensoleillés et d’autres marqués par la pluie, le brouillard ou l’obscurité. Avez-vous déjà marché de nuit ?

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I - Comme une marche de nuit

La difficulté de la marche de nuit est que, à moins d’être bien éclairé ou accompagné, je ne vois pas où je mets les pieds. J’avance donc à tâtons, je ne distingue plus les panneaux de direction, je perds progressivement la notion de l’espace voire du temps et je me sens seul. Je crois parfois me perdre et me demande même si je ne suis pas retourné en arrière. Quand des saints parlent de « nuit de la foi », ils décrivent d’abord leur expérience concrète à partir du symbole de la nuit. Si la vie de foi ressemble le plus souvent à une belle journée lumineuse, en compagnie de Celui qui est la « lumière du monde », elle peut parfois prendre la forme d’une marche dans la nuit : expérience de ne plus ressentir la présence de Dieu, sensation d’isolement, de vide intérieur ou de souffrance sans cause, perte du sens de la vie, etc. Bref, la nuit est, pour le croyant, l’expression d’une expérience négative marquée par le sentiment de la perte, de l’éloignement ou de l’absence de Dieu. C’est une épreuve d’abord intérieure.

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II - Les nuits selon saint Jean de la Croix

C’est saint Jean de la Croix qui a le mieux parlé de cette épreuve, notamment dans son ouvrage intitulé la Nuit Obscure qui décrit l’expérience passive de la nuit, celle qui nous tombe dessus sans qu’on l’ait vraiment choisie ou anticipée. Il parle en fait de deux nuits, en cohérence avec sa conception anthropologique : l’être humain est composé de trois « niveaux » concentriques, les sens qui nous relient au monde (corporéité, affectivité), l’esprit (intelligence, volonté, mémoire) et puis le « centre de l’âme » ou ce que la Bible appelle le cœur profond (lieu inviolable où Dieu demeure). La « nuit des sens » met à l’épreuve notre sensibilité et l’oriente vers plus d’intériorité, vers une relation plus simple et plus gratuite avec Dieu. Au niveau de la prière, elle fait entrer dans une prière plus dépouillée et plus simple que Jean de la Croix appelle « contemplation » ou « simple attention amoureuse à Dieu ». La « nuit de l’esprit » est une épreuve plus profonde et plus âpre qui atteint celui qui s’est déjà donné sérieusement à Dieu. Si le fruit de la première nuit est une transformation de ma relation à Dieu, la deuxième est une transformation de tout mon être en Dieu. Cette dernière est plus radicale, au sens de ce qui touche aux racines et au sens qu’elle opère une véritable déification de l’être humain appelé à vivre de la vie divine de la Trinité.

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III - Me laisser dérouter par Dieu

Cependant cette description générale ne doit pas nous tromper. Puisque la nuit est de l’ordre de l’expérience, elle a quelque chose de singulier et il sera difficile de parler de la nuit de la foi comme une notion universelle. Puisque de plus, ma relation au Christ est unique, marquée par tout ce que je suis (mon éducation, mon histoire, mon psychisme, etc.), mes expériences de nuits seront uniques aussi. Il y a donc des nuits de la foi, celle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, celle de Mère Teresa, etc. En tout cas, les « nuits de la foi » sont des expériences éprouvantes et déroutantes pour le croyant. Éprouvantes car douloureuses et car elles mettent à l’épreuve la qualité de notre foi pour la purifier et la rendre plus forte, plus gratuite et plus aimante. Déroutantes car elles ébranlent nos représentations de Dieu et de la vie. Être dérouté, c’est précisément quitter sa route et … peut-être en trouver une meilleure ! C’est ici que nous retrouvons l’image de la marche de nuit : marcher de nuit en montagne sans l’aide d’une lampe ou d’un guide est dangereux et laisse présager bien des chutes et des égarements. Les écrits de saint Jean de la Croix peuvent servir de lumière pour traverser ces épreuves et comprendre comment le Seigneur nous y révèle des chemins nouveaux et inconnus, beaucoup plus beaux que les précédents : « Je conduirai les aveugles par des chemins qu’ils ignorent. » (Is 42,16) Encore faut-il se laisser conduire, non marcher en tête dans le noir !

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IV - L’intelligence de nos expériences à l’école des saints

« Ô Seigneur, regarde tout ce que le manque de connaissance nous fait souffrir dans ce chemin spirituel ! » (4es Demeures 1,9) Cette exclamation de sainte Thérèse d’Avila dit bien qu’il importe de former notre intelligence à la vie de foi et à ses étapes. Les écrits spirituels des saints nous aident à prendre de la distance par rapport à nos expériences personnelles et à mettre des mots sur ce que nous pouvons vivre de flou ou de difficile. Mais surtout ces textes, avec l’accompagnement spirituel, nous permettent de bien interpréter ces expériences. Par exemple l’anthropologie chrétienne de Jean de la Croix m’invite à faire la différence entre mon ressenti de l’absence de Dieu et le fait de son absence : je sais dans la foi qu’Il est là. Ainsi, contrairement à ce que l’on dit trop légèrement, les souffrances pendant « une nuit de la foi » ne sont pas un abandon de Dieu mais au contraire la trace du travail de son Esprit au fond de moi-même. Dieu est en train de convertir mon être mais cela est si profond que cela ressemble à … une opération chirurgicale !

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V - Comme une bûche en train de s’enflammer

Jean de la Croix utilise une image éclairante (Nuit obscure II,10) : l’être humain est comparable à une bûche de bois que la flamme de l’Esprit veut transformer en feu d’amour, donc en Lui-même. Mais quand le feu attaque le bois, il l’obscurcit avant de le rendre incandescent ; cette phase négative risque d’être mal interprétée comme un enlaidissement spirituel tandis que c’est le signe d’une transformation en cours. On pourrait presque dire que plus l’obscurité de la nuit est forte, plus elle annonce une sublime aurore de lumière. Jean de la Croix rend compte de cette obscurité de la nuit par le fait que la foi est une lumière éblouissante pour notre intelligence, en raison de la différence abyssale de nature entre Dieu et l’homme et du péché qui blesse notre humanité. Mais n’oublions pas, s’il y a nuit, c’est en tant que passage vers le plein jour, vers la lumière qui ne finit pas. L’homme est destiné à devenir Dieu par participation, et ce dès cette vie humaine, même si cela ne sera pleinement accompli que dans l’éternité. La nuit a une portée purificatrice : elle nous prépare à nous unir à Dieu et à trouver pleinement le sens de notre vie. Elle a aussi une portée apostolique comme participation à la Passion de Jésus. La longue « nuit de la foi » de Mère Teresa en est un cas saisissant : sentiment intérieur de l’absence de Dieu mais foi constante et croissance dans la charité. La nuit est féconde pour celui qui la traverse mais aussi, à travers lui, pour l’Église.

Traverser les nuits de ma vie Il n’y a pas de solution facile pour bien vivre les épreuves de la foi que sont les nuits, mais des attitudes fondamentales : persévérer dans la confiance aveugle en la bonté aimante de Dieu, bonté qui excède notre intelligence ; faire mémoire des grâces passées reçues de Lui pour corriger notre imagination qui risque de confondre le ressenti et le réel ; lire des textes spirituels sur le sujet pour former notre intelligence ; parler à un accompagnateur spirituel, même si cela peut être très difficile. Mais le plus décisif est de répéter sans cesse avec saint Paul : « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment … rien ne pourra me séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Rm 8, 28-39)

Pour approfondir ce sujet délicat et lire la Nuit obscure de Jean de la Croix, l’ouvrage introductif le plus accessible est W. Stinissen, La nuit comme le jour illumine, Ed. du Carmel, Toulouse, 2005.

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