Textes liturgiques (année A) : Dt 8, 2-3.14b-16a ; Ps 147 (147 B) ; 1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58
L’Église vit de l’Eucharistie, tel était le titre de la dernière encyclique de Jean-Paul II en avril 2003, cette affirmation n’exprime pas simplement une réalité sociologique, reconnaissant dans le rassemblement des chrétiens le lieu primordial de la vie ecclésiale. Il veut surtout nous inviter à percer le mystère de foi qui rassemble les chrétiens et qui est vécu et exprimé dans la célébration eucharistique. Il y a, nous dit-il, dans la célébration de l’Eucharistie comme une synthèse du cœur du mystère de l’Église, spécialement par l’accueil quotidien de la présence du Seigneur à ses côtés pour la faire vivre et l’envoyer en mission. Et dans son homélie de clôture des JMJ de Cologne en 2005, Benoît XVI nous redisait que Jésus s’est fait pour nous pain pour soutenir et nourrir notre vie intérieure, et pour devenir une union entre celui qui est reçu et celui qui reçoit.
L’Église vit de l’Eucharistie, car c’est par la vie de Jésus que nous sommes sauvés, et chacun de nous, nous sommes appelés à entrer dans cette vie eucharistique c’est-à-dire ce chemin de sainteté en mettant nos pas dans ceux de Jésus. L’Église vit de l’Eucharistie, car elle a pris naissance dans la vie de Jésus. La vie de Jésus est Eucharistie par l’offrande de lui-même qu’il fait au Père, toute sa vie étant action de grâces et accomplissement des œuvres de Dieu, accueil et réalisation de la volonté de son Père. C’est pourquoi l’Eucharistie est indissociable de la vie même de Jésus et spécialement de son mystère pascal. D’ailleurs l’institution de l’Eucharistie se réalise à la veille de l’offrande pascale, en ce Jeudi saint où il anticipe le don de son corps et de son sang par l’offrande du pain et du vin. Dans l’institution de l’Eucharistie au cénacle, Jésus rassemble tout le contenu des gestes des paroles qu’il va poser durant son triduum pascal, le contenu de l’Eucharistie condense et anticipe le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus.
Car si Jésus suit les rites d’Israël quant à la célébration d’un repas pascal, par la suite, le repas de Jésus au Jeudi saint apporte quelque chose de totalement nouveau. Car il ne rend pas simplement grâce à Dieu pour les bienfaits passés et spécialement la libération d’Égypte, il remercie pour sa propre exaltation à venir qui se réalisera dans le mystère de la croix. « Faisant du pain, son corps et du vin, son sang, nous dit Benoît XVI, Jésus anticipe sa mort, il l’accepte au plus profond de lui-même et la transforme en un acte d’amour. Ce qui de l’extérieur est une violence brutale devient de l’intérieur un acte d’amour qui se donne totalement. » Au-delà du processus de transformation du pain et du vin dans son corps et son sang, le Christ réalise la transformation de la violence inhumaine en don d’amour, puis la résurrection réalisera à la transformation de la mort en vie. Ce processus de transformation n’a été possible que parce que la personne de Jésus a voulu entrer dans le mystère d’amour de son Père et répondre par son amour à la violence qui lui a été faite.
Il s’agit donc pour nous de configurer notre vie à l’action de grâce du Christ Jésus, en entrant dans son Mystère pascal. Cette exigence de conversion découle de la réalité même du mystère eucharistique. En effet, Jésus n’a pas institué l’Eucharistie en disant seulement ceci est mon corps, ceci est mon sang. Mais il a dit, ceci est mon corps brisé, ceci est mon sang répandu. Donc, le Jésus de l’Eucharistie, c’est le Jésus de la passion, c’est un homme couvert de sang, de boue et de crachats qui nous offre sa vie. L’Eucharistie est un sacrement de mort à soi avant d’être un sacrement de vie. Et c’est parce qu’il est d’abord sacrement de mort qu’il peut être ensuite un sacrement de vie pour nous. Selon l’enseignement même de Jésus, c’est celui qui perd sa vie à cause de moi et de l’Évangile qui la sauvera.
Jésus dans l’Eucharistie récapitule l’obéissance à son Père, son Mystère pascal, il dit oui à la volonté de Dieu qui lui demande de donner sa vie pour ses frères et sœurs. Ce oui est avant tout un oui d’obéissance. De tout son être, Jésus désire vivre, il aime la vie plus qu’aucun homme, de lui-même, il ne veut absolument pas mourir comme il le dit au jardin des oliviers. Mais cette obéissance qui lui coûte la vie n’est pas une simple résignation comme si, après de longues heures de lutte dans la prière pour tenter de faire changer d’avis le Père, il s’avouait vaincu. Non, c’est une obéissance amoureuse. C’est par amour du Père et des hommes qu’il dit ce oui crucifiant pour lui. Plus que lui-même, il aime le Père et pour lui tous les hommes. Et c’est une obéissance eucharistique, car c’est par amour et dans l’action de grâces, qu’il dit son oui au Père.
Eh bien, ce oui d’obéissance amoureuse et eucharistique, Jésus me demande de le faire mien. Quand Jésus nous dit de faire ceci en mémoire de lui, c’est moins la répétition d’un rite que l’entrée dans son obéissance confiante envers son Père. Il a dit oui, il a donné sa vie pour ses frères. Voilà ce qu’il a fait et voilà ce qu’il nous demande de faire. Je dois, comme lui, devenir un donné, un oubli total à la volonté de Dieu, en obéissance amoureuse et eucharistique envers Dieu et par amour pour mes frères et sœurs. Et voilà pourquoi St Jean peut remplacer le récit de l’institution de l’Eucharistie par le lavement des pieds.
Dans l’Eucharistie, je mange son corps livré, je bois son sang répandu, je m’unis à Jésus, je deviens un avec ce Jésus qui est un donné, je fais mien son oui d’obéissance amoureuse et eucharistique. C’est en accueillant celui qui s’est livré, c’est en désirant devenir moi-même un livré que j’entre réellement dans l’Eucharistie de Jésus. Communier au Corps et au Sang du Christ sans vouloir entrer dans l’Eucharistie de Jésus, cela ne produira jamais aucun effet dans ma vie. Chaque fois que j’avance pour communier, je pose un geste qui signifie « oui à ta volonté Seigneur », un oui d’obéissance, d’amour et de reconnaissance. Manger ce corps brisé, boire à ce sang versé, c’est munir à son oui, c’est dire oui avec lui à toutes les volontés de Dieu sur moi. L’Eucharistie est donc un appel pour chacun de nous. Jésus nous appelle à venir joindre notre oui d’obéissance à son oui à lui pour le salut du monde. Ainsi, la messe prendra tout son sens dans notre vie : entrer dans la Pâque de Jésus, cette Pâque qui au quotidien se vit d’abord dans l’humble service fraternel.
En comprenant ainsi le mystère de l’Eucharistie, nous pouvons comprendre l’unification de toute notre vie spirituelle autour d’une attitude de vie eucharistique : ce que je célèbre dans la liturgie est l’attitude que je veux avoir dans ma vie quotidienne et dans ma prière : dire un oui à Dieu notre Père, devenir une louange par toute ma vie, une louange de gloire dirait Élisabeth de la Trinité.