Textes liturgiques (année A) : Ac 1,1-11 ; Ps 46 (47) ; Ep 1, 17-23 ; Mt 28,16-20
Si nous avons des difficultés à méditer ce mystère de l’Ascension du Seigneur Jésus, les textes de l’Écriture choisis pour cette année ont de quoi nous rassurer. D’abord, l’évangile nous dit : « Quand les disciples virent Jésus, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. » Il n’y a pas que Thomas qui s’est posé quelques questions ; certains, même face au Ressuscité eurent des doutes, ce qui ne les a pas empêchés de se prosterner. Preuve que ce n’est pas parce qu’on a des questions ou des doutes qu’il faut arrêter de pratiquer sa foi ; il faut accepter de cheminer et de chercher. De plus, dans la 1re lecture, saint Luc nous montre que les apôtres n’avaient pas tout saisi du plan de Dieu : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Même après la Résurrection, ils ont encore du chemin à faire pour devenir des témoins du Christ. En tout cas, Jésus aurait pu se demander s’il faisait bien de partir : laisser des disciples avec autant de doutes et de mauvaises compréhensions du message, était-ce bien responsable ? N’était-ce pas prendre un risque considérable qui pourrait gâcher trois ans de travail apostolique ? L’Ascension est-elle un périlleux départ ?
Nous voyons le choix que fait Jésus : il décide de partir en faisant deux choses. D’une part, il envoie les disciples en mission comme l’illustre la finale de l’évangile de Matthieu : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples. » D’autre part, il les remet à la grâce de l’Esprit Saint : « c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. (…) Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Jésus n’est pas un leader religieux qui se serait donné une mission comme un gourou. Cette mission, il la reçoit du Père et il peut donc partir pour que le Père envoie son Esprit achever l’œuvre commencée par le Fils. La mission va donc continuer avec ces pauvres hommes limités et pécheurs, mais poussés par le Saint-Esprit, l’Esprit du Père et du Fils. Le mystère de l’Ascension, c’est donc déjà une profonde marque de confiance de Jésus : confiance de Jésus en son Père qui enverra l’Esprit ; confiance en cet Esprit-Saint qui poursuivra la mission commencée par lui ; confiance dans les disciples qui se laisseront convertir et envoyer en mission. Jésus choisit ainsi de se retirer au lieu d’occuper le terrain de façon anxieuse. Cela peut nous interroger sur nos capacités personnelles à faire confiance à Dieu et aux autres quand nous sommes appelés à transmettre une mission ou une responsabilité. Choisissons-nous vraiment la confiance ?
Jésus sait quant à lui que sa mission est maintenant de rejoindre le Père. Son Ascension n’est pas un épisode personnel de sa vie et qui ne concernerait personne d’autre. Le Christ entre dans le Ciel comme « tête de l’Eglise qui est son Corps » comme le dit la 2e lecture. Il ouvre l’accès à l’éternité à tous ceux et celles qui le suivront car c’est avec son humanité que le Fils rejoint le Père. Désormais au Ciel, il y a un corps humain, une humanité glorifiée et qui en appelle d’autres. Le mystère de l’Assomption de la Vierge Marie célèbrera la réponse personnelle d’une créature qui a suivi le Christ jusqu’au bout ; et en espérance c’est l’illustration de toute l’humanité appelée à être assumée dans son corps pour rejoindre l’éternité. Ainsi dans le mystère de l’Ascension du Seigneur, nous contemplons donc notre nature humaine transfigurée et glorifiée, introduite auprès de Dieu.
Désormais il y a en Dieu une part de nous-mêmes : le mystère de l’Incarnation a été accompli jusqu’au bout et cela change tout. Il n’y a plus de séparation entre Dieu et l’humanité : le Christ est le chemin, l’échelle qui relie le ciel et la terre, notre humanité en chemin et son humanité déjà glorifiée auprès du Père. Voilà pourquoi Jésus est parti : c’est à la fois parce que le Saint-Esprit poursuivrait sa mission ici-bas mais aussi parce qu’il fallait qu’il ouvre la porte du paradis à notre humanité. Il en était sorti comme pur esprit en venant sur terre et il en revient chargé d’un corps, certes glorifié mais marqué des traces sa Passion d’amour. Jésus a désormais ouvert tout ce qui était fermé dans notre humanité pécheresse : de nos tombeaux jusqu’à nos désespérances. Aussi saint Paul nous invite-t-il : « que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel. » Oui le mystère de l’Ascension du Seigneur est bien un mystère de l’espérance !
Et justement pour entrer dans l’espérance, il nous faut changer notre manière de voir. Nous sommes appelés à regarder l’invisible. Sinon nous ne pouvons pas comprendre le dernier verset de l’évangile de Matthieu : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Cela semble contradictoire avec l’Ascension qui est une séparation mais en réalité c’est une invitation à vivre une relation différente au Christ. Il est réellement parti auprès du Père et il est réellement présent autrement à nos côtés par la grâce du Saint-Esprit. Il nous invite donc à vivre le mystère d’une communion avec lui dans l’invisible. Nous le savons pourtant avec le Petit Prince de Saint-Exupéry : « L’essentiel est invisible pour les yeux. » Le mystère de l’Ascension nous appelle à arrêter de confondre la réalité à ce que nous en percevons par nos sens. La réalité ne se réduit pas au spectacle de ce monde ; elle est bien plus grande et profonde. Mais on n’accède à cette grandeur et à cette profondeur par la foi et l’espérance, donc avec des actes libres. Nous avons à décider chaque jour d’envisager la réalité avec cette dimension invisible mais ô combien réelle de l’éternité. Car bien des choses passeront sur cette terre mais le Ciel de Dieu ne passera pas et sa parole est fiable. Nous pouvons comme les apôtres avoir des questions et des doutes mais surtout choisir de persévérer dans la foi et l’espérance. Car c’est cette persévérance qui nous conduira d’étonnement en surprise pour découvrir combien Dieu nous appelle à de grandes choses.
Or saint Paul nous dit que pour cette persévérance, nous avons l’énergie suffisante : « que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez (…) quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. » Nous recevons donc frères et sœurs par la grâce du baptême et de la confirmation la même puissance de vie qui a opéré et la Résurrection du Christ et son Ascension. Nous n’avons donc pas besoin de vitamines supplémentaires mais nous avons à croire que nous avons ce qu’il nous convient pour vivre notre vie telle qu’elle est, avec des questions et des difficultés certes, mais dans la foi et l’espérance. Le Seigneur Jésus est avec nous et ne nous abandonne pas.
Forts de ces rappels, rendons grâce pour le don de la foi et entrons maintenant avec l’Eglise et la Vierge Marie au Cénacle pour nous disposer à être renouvelés dans la grâce de la Pentecôte. Que l’Esprit de force fasse de nous des témoins joyeux du Ressuscité ! Amen