Un retournement intérieur (Ho 31°dim TO - 31/10/22)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Sg 11, 22 – 12, 2 ; Ps 144 (145) ; 2 Th 1, 11 – 2, 2 ; Lc 19, 1-10

Nous avons tous écouté les lectures de l’Écriture selon la sélection et l’agencement du lectionnaire. Dans le silence qui en a jailli, qu’avons-nous entendu de la Parole de Dieu ? Lire les Écritures afin d’entendre la Parole de Dieu, tel est le défi de chaque liturgie de la Parole et le secret de vitalité de nos célébrations eucharistiques ! Peut-être, il est vrai, croyons-nous connaitre Zachée : qu’a-t-il encore à nous dire ? Il évoque, pour certains, les coloriages, aujourd’hui fatigués par le temps, de leur catéchisme représentant le publicain grimpé dans son arbre. D’autres, plus récemment, ont suivi les « Parcours Zachée » qui, stimulés par la décision de ce dernier de donner aux pauvres et de réparer au quatrième, déclinent la doctrine sociale de l’Église avec le souci d’articuler au quotidien vie de foi et engagement dans la société. La liturgie de la Dédicace des églises – autre acte de réception de notre évangile – fait retentir le « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison » comme s’accomplissant dans la maison du Seigneur quand l’Église y célèbre la liturgie. Si les auteurs du Carmel ont relativement peu commenté cet épisode, Élisabeth de la Trinité et Thérèse de Lisieux ont donné au verbe « descendre » une résonance toute particulière : entrer en notre abîme intérieur selon la sainte dijonnaise, dans une attitude de dépouillement et de pauvreté précise la docteur de l’Église. Et nous aujourd’hui, qu’entendons-nous de la Parole de Dieu ? Je voudrais développer deux axes, l’axe du temps et l’axe de l’espace en méditant la conversion comme l’heure de Dieu et le lieu du cœur comme défi de notre vie spirituelle. Premier axe, l’évangile est un récit de conversion (littéralement de retournement) qui manifeste le primat de la grâce. Zachée monte dans son arbre mais le Seigneur l’invite à descendre et c’est à terre que le Seigneur le rejoint : « celui qui s’élève est abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé ». Zachée voulait voir Jésus et finalement c’est Jésus qui portera son regard sur lui. Zachée veut connaitre Jésus mais c’est ce dernier qui révèlera qui est Zachée, fils d’Abraham, révélant ainsi sa dignité que rien, pas même le péché, n’a pu entamer. Jésus s’invite mais, si c’est Zachée qui le reçoit, c’est bien Jésus qui l’accueille dans son pardon. Zachée cherche Jésus mais la finale de l’évangile précise bien que c’est le Fils de l’homme qui est venu chercher celui qui était perdu. Toutes ces inversions manifestent le retournement radical et absolument gracieux qu’offre l’évangile. Le livre de la Sagesse méditait déjà ce primat de Dieu. « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout » : sa toute-puissance, tant interrogée depuis des siècles, est celle de sa miséricorde. Pour cela, le Seigneur vient nous rejoindre dans nos désirs et nos folies. Aussi ambigüe était sa recherche, aussi entravée était-elle, Zachée désirait voir Jésus, prêt à mille folies pour cela : Dieu vient chercher les hommes qui grimpent dans les arbres ! Cette conversion se fait « aujourd’hui » : tel est l’axe du temps. L’évangile le souligne par deux fois, insistant aussi sur l’urgence : « vite il descendit ».

La conversion n’est jamais pour demain. Mais elle se fait au rythme de Dieu. Les deux autres lectures soulignent la patience de Dieu  : « tu les reprends peu à peu » précise la Sagesse et la seconde épître aux Thessaloniciens rectifie une interprétation trop littérale de la première, invitant « à ne pas perdre la tête » à l’idée d’une parousie immédiate. Dieu est patient : c’est pour cela qu’il y a urgence à se convertir. Avec Zachée, Dieu fait entendre son appel à la conversion, aujourd’hui, conversion qui est de son fait mais qui vient nous rejoindre dans nos désirs, nos errances et nos folies. Deuxième axe, le Seigneur nous attire dans le lieu de notre cœur. Il s’agit de descendre pour le recevoir. Élisabeth et Thérèse nous ont déjà fait entendre la profondeur de cette descente. Il s’agit de descendre de nos arbres, de la superficialité, de nos rêves toujours un peu « mégalos » ou de nos fuites. Descendre, c’est chercher le Seigneur là où il est là, là où il nous attend et non là où on le construit et l’imagine. La vie spirituelle n’est peut-être pas tant de l’alpinisme que de la spéléologie, même si traverser les obscurités de notre cœur, se démêler dans ses encombrements ou ses ambiguïtés s’avère éprouvant voire angoissant.

Il y a là un chemin de consentement à la vérité, d’humilité mais plus encore de liberté et de grande espérance. Là est le Seigneur ! Le lieu du cœur est aussi celui de l’unification. Il n’y a pas à opposer dans la vie chrétienne action et contemplation, solitude et communion, mystique et politique, théologie et spiritualité, justice et miséricorde, amour et vérité mais sans doute ces axes multiples ne se rejoignent parfaitement que dans le cœur des saints. La conversion est affaire de rencontre du Seigneur mais aussi de justice et d’adéquation : la décision de Zachée de donner et de réparer est une réponse à sa rencontre bouleversante et transformante avec Jésus. La vie spirituelle est le moteur de notre vie morale mais se laisse vérifier par elle. « Que le Seigneur par sa puissance rende active votre foi » souhaite ainsi l’épitre aux Thessaloniciens. Zachée ne nous dit pas ce que nous avons à faire mais nous donne le chemin pour discerner. Autre couleur de ce chemin d’intériorité, cette descente conduit à la joie : Zachée « reçut Jésus avec joie ». Tel est le cœur de notre évangile et celui de toute vie chrétienne. La vie de foi réside dans l’accueil des dons de Dieu et plus encore du donateur de ces dons. Et la joie, qui certes ne se mesure pas au rapporteur à la valeur angulaire de nos sourires, exprime cette gratitude et cette transformation. L’attitude opposée que décrit l’évangile n’est pas tant la tristesse que la plainte et les murmures qui reprennent le thème biblique de la révolte des hébreux dans le désert. Résumons-nous. Dans le parcours de Zachée, l’intériorité s’avère notre force, notre appui et notre espérance. Cette intériorité a un visage et nous fait accueillir Jésus et connaitre le Seigneur, tout puissant car miséricordieux. Elle nous révèle notre dignité de fils d’Abraham, d’enfant aimé de Dieu. L’épitre médite cela de manière puissante avec le vocabulaire de la gloire : « le nom du Seigneur sera glorifié en vous et vous en lui ». Tel est le salut promis : libre, debout, pour donner et recevoir, mal-gré les affres de notre passé et les contradictions du présent. A l’approche de la Toussaint, avec l’évangile de Zachée, nous retrouvons les deux écueils soulignés par le Pape François dans notre marche vers la sainteté : le pélagianisme (vouloir trouver par nous-même le Seigneur en grimpant aux arbres ou autres stratagèmes) et la gnose (toutes ces théories, méthodes ou idéologies qui nous feraient connaitre le Seigneur et sa volonté alors que la vraie connaissance est celle du cœur, une expérience de rencontre et de dépouillement, de pauvreté et de « sainte ignorance »). Aujourd’hui, l’eucharistie nous rassemble pour que nous entendions la Parole de Dieu et que nous « recevions Jésus avec joie ». Que telle soit notre espérance ! Amen

Fr. Guillaume Dehorter, Provincial de Paris, ocd - (Province de Paris)
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