Homélie Ste Famille (B) : fête des papis et mamies …

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques : Gn 15,1-6 ;21,1-3 ; Ps 104 ; He 11,8-19 ; Lc 2, 22-40

Avec les lectures bibliques que nous venons d’entendre, cette fête de la Sainte Famille se présente comme celle des papis et des mamies – je veux dire avec tendresse et reconnaissance – des vieilles personnes. Je dis cela d’autant plus volontiers que nous fêtions hier les 90 ans de notre frère Robert-Alain ! Oui, en cette octave de Noël et en ce jour de la sainte Famille, sont offertes à notre méditation et à notre action de grâce les figures, âgées, d’Abraham et Sarah, de Syméon et d’Anne ! Je voudrais aller dans trois directions : m’arrêter sur ces figures de vieillesse, puis voir en quoi, elles peuvent nous dire quelque chose de la fête de Noël où pourtant Dieu se donne comme un enfant et, pour finir, souligner ce qu’elles peuvent inspirer à nos vies familiales.

Les figures d’Abraham et de Sarah parcourent toute notre liturgie de la Parole. Racontées dans les chapitres 15 et 21 du livre de la Genèse, que le lectionnaire accole de manière un peu abrupte, ces figures sont reprises par l’épitre aux Hébreux qui en médite le thème de la foi – la foi qui met en route vers l’inconnu ; la foi plus forte que la vieillesse, la stérilité ou l’épreuve incompréhensible – avant d’être rejouées, dans notre évangile, sous le mode de l’accomplissement, avec celles de Syméon et d’Anne. Elles louent au fond des valeurs spirituelles de la vieillesse : éloge de la persévérance qui nous dit que la foi se joue dans le temps et la durée ; éloge de la résistance spirituelle qui nous dit que la foi grandit dans l’épreuve ; éloge de la sagesse et du discernement spirituels qui savent voir la réalisation des promesses et les dons gracieux de Dieu dans des situations parfois surprenantes. Elles disent, à leur manière, que Dieu est indéfectiblement fidèle, toujours inattendu et maître de l’impossible. Elles sont témoins de l’espérance.

Je voudrais, à ce propos, faire trois précisions. La « fidélité » est un don de Dieu. Dieu seul est fidèle mais la fidélité des personnes de grand âge en est un témoignage précieux qui vient contrer notre tentation souvent tenace du « à quoi bon ? » « A leur manière » disais-je car d’autres âges de la vie peuvent attester de Dieu et de sa manière de faire dans nos vies. La pauvreté spirituelle sera toujours l’écrin des dons de Dieu. L’enfance a ses vertus pour l’exprimer mais la vieillesse aussi : le grand âge, par exemple, a suffisamment vécu, c’est-à-dire connu la variété et la fragilité des choses ou l’amertume de l’échec, pour savoir que Dieu seul dure, Dieu seul donne la fécondité au-delà du succès. Enfin, et illustration de ce que je viens de dire, faire l’expérience « qu’à Dieu rien n’est impossible » peut être vécu aux trois âges de la vie. C’est ce que dit la Bible. Elle emploie cette expression en Gn 18 – passage enjambé par le lectionnaire où le vieil Abraham rencontre trois anges mystérieux – puis dans le Nouveau Testament lors de l’Annonciation et dans l’évangile de l’homme riche, comme si comprendre que rien n’est impossible à Dieu venait bousculer à la fois notre expérience (« j’ai trop vécu pour savoir que ce n’est pas possible »), notre inexpérience (« comment cela va-t-il se faire ? ») ou nos présomptions, nos attachements qui nous font découvrir que le salut nous est impossible, condition indispensable pour le recevoir (« Qui donc pourra être sauvé ? » demandent les disciples, effrayés, après le départ de l’homme riche… et Jésus de répondre « personne » mais « rien n’est impossible à Dieu ! »). Je rajouterai pour terminer cette première direction une quatrième précision. Parler de spiritualité de la vieillesse ne me fait pas idéaliser le grand âge, ni en parler avec démagogie : nous en connaissons par ailleurs les affres possibles et les combats réels mais vécu dans la foi, l’espérance et la charité, il peut être signe de Dieu, à une époque où, avec tout autant de démagogie, on s’extasie plutôt sur l’enfance. L’enfance, elle aussi, peut être signe de Dieu et dire nos manières de l’accueillir mais elle n’est pas sans combat ni ambiguïté et parler d’enfance spirituelle n’est l’éloge ni de l’infantilisme, ni de l’irresponsabilité ni de l’immaturité.

Plus rapidement maintenant, je voudrais souligner qu’en ce temps de Noël, nos figures de vieillesse, Anne et Syméon, viennent attester la manifestation de Dieu, l’accomplissement inouï de ses promesses et confesser Jésus lumière et sauveur du monde. Noël est la fête de l’enfance et de la faiblesse, comblées par Dieu et lieux de la manifestation de Dieu même. Nos vieillards en soulignent des harmoniques significatives. Quoi de plus beau que ce vieillard ou cette vieille dame, comblés et enthousiastes, portant l’enfant avec gratitude et annonçant déjà la Bonne Nouvelle de qui il est : le sauveur attendu des nations ! Ils mériteraient ainsi de faire partie de la crèche, au même titre que les bergers ou les mages. C’est ce qu’exprime la tradition qui fait durer la crèche jusqu’au 2 février, fête de la Présentation de Jésus au Temple, fête de la lumière et finalement dernière fête du temps de Noël alors même que le temps ordinaire a déjà commencé. Mais dès maintenant le cantique de Syméon peut être notre prière au pied de la crèche – comme nous aimons le faire chaque soir aux complies – pour apprendre à reconnaitre dans nos vies sa lumière et accueillir sa parole, et à nous laisser combler par Dieu seul.

En ce jour enfin, troisième direction, nous fêtons la sainte famille et nous demandions dans la prière d’ouverture de notre célébration de savoir « pratiquer comme elle les vertus familiales ». Je voudrais en souligner deux. D’une part, les anciens peuvent nous dire le rôle du silence et de l’écoute. On sait combien les grands-parents sont sollicités pour cela et qu’ils reçoivent maintes confidences. Pas de vie familiale sans un climat d’écoute et de parole authentique. Dans notre évangile, à vrai dire, nos vieillards sont plutôt loquaces et ce sont eux – et non Marie ou Joseph – que nous entendons mais leur parole, juste et vraie, retentit avec d’autant plus de force ! D’autre part, les personnes âgées ont un rôle de transmission et là aussi nous savons le rôle des grands-mères dans la transmission de la foi. La famille est lieu de transmission car la foi se transmet avant de s’apprendre.

Puissent nos familles, au sens strict du terme mais aussi nos communautés religieuses qui veulent s’inspirer de leur vie, se laisser transformer par cet esprit de Noël dont nos aînés dans la foi et dans la vie peuvent témoigner. Pour tout cela, sainte Marie et saint Joseph priez pour nous ! Amen.

fr. Guillaume Dehorter, ocd (Provincial de Paris)
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