Homélie d’Avon : 21e Dimanche T.O.

POUR VOUS, QUI SUIS-JE ?

Admirable texte de l’évangile de ce jour qui nous montre la pédagogie de Jésus et nous fait entrer dans la révélation du mystère de sa personne et dans la contemplation du dessein de Dieu.

Dans la région de Césarée de Philippe, Jésus va commencer à interroger les disciples d’une manière vague. Qu’est ce qui se raconte ? Quelles sont les rumeurs que l’on entend ? Ce n’est pas très engageant, très impliquant. On peut répondre assez facilement à la question. Aujourd’hui Jésus pourrait nous interroger : qu’est-ce qu’on dit de moi ? Nous pourrions répondre à partir de diverses publications : des magazines font régulièrement des articles sur Jésus à partir de telle découverte ou pseudo-découverte… Nous pourrions prendre des choses plus sérieuses comme le livre du cardinal Ratzinger-Benoît XVI, les écrits des saints du Carmel, etc. Il nous serait donc facile de donner des réponses à cette question très générale.

Mais Jésus va aller plus loin : « Pour vous qui suis-je ? » Après une question qui n’engage pas beaucoup, Jésus se situe au niveau de la relation inter personnelle, c’est un “Je” qui interroge un “Tu”. Là, il n’y a plus moyen de se dérober ou d’emprunter des mots à d’autres. Jésus, en posant cette question, demande un engagement de tout notre être. Ce matin, à chacun et chacune d’entre nous, Jésus dit : Pour toi, dans ta situation concrète, aujourd’hui, tel que tu es, pour toi, en cet instant, qui suis-je ?

Commentant ce très beau texte, un rabbin disait que cette question avait dû provoquer le silence…

Il a fallu un certain temps pour que Simon, “celui qui écoute” , puisse prendre la parole.

Dans un premier temps laisser la question, la parole de Jésus résonner dans notre cœur, lui laisser le temps de faire son œuvre en nous. Cela suppose une disponibilité, un désencombrement de notre cœur pour que la Parole puisse vraiment y résonner et qu’une parole de réponse puisse naître du silence. Ce qui fait la qualité d’un dialogue, c’est la qualité du silence qui le ponctue, du silence présent entre les prises de parole de ceux qui échangent. Sans silence, il y a fort à parier que ce qui se présente comme un dialogue est en fait la juxtaposition de deux monologues. Pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait écoute, écoute vraie de la parole de l’autre : la laisser descendre au plus intime de notre être pour que là puisse naître une parole en réponse.

Simon-Pierre répond : « tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » La question que lui a posée Jésus lui permet de faire un acte de foi et d’entrer dans une certaine compréhension du mystère du Verbe incarné. Il est le Messie, le Fils du Dieu Vivant.

Jésus exulte de joie : « Heureux es-tu Simon ». Il exulte de joie comme il avait exulté de joie dans un autre passage de l’évangile de saint Matthieu (Mt 11, 25-26) rendant grâce à son Père d’avoir révélé son mystère aux pauvres et aux petits. Jésus exulte parce que le Père a révélé à Simon qui il était, lui Jésus.

« Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » Ce ne sont pas les quantités de choses que nous pourrons lire sur Jésus – que ce soit le catéchisme de l’Église catholique ou le livre de Benoît XVI, ou d’autres choses – qui nous ferons entrer dans le mystère ; ces ouvrages s’adressent à notre intelligence et cela est bon, car il nous faut pouvoir rendre compte, avec intelligence et raison, de notre foi. Mais pour entrer dans le mystère, il nous faut accueillir la révélation que le Père veut nous faire de son Fils Bien-aimé. Cela suppose de prendre le temps du silence, le temps de l’intériorisation pour qu’une parole puisse se dire au plus intime de notre être, pour qu’une parole puisse être engendrée en nous par le Père.

Alors Jésus nous dira que nous sommes bienheureux de nous laisser enseigner par le Père, de laisser le Père nous entraîner dans la profondeur du mystère de son Fils. Puis il y a la finale de cet évangile :

« Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ;

et la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle.

Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux :

tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux,

Et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »

Six phrases que nous pouvons prendre deux à deux, en suivant de plus près le texte grec.

« Et moi, je te dis que tu es Pierre et sur cette pierre je construirai mon Église, ma communauté. »

Au début de cet évangile, Jésus avait posé en “Je” une question à un “Tu”. Après avoir entendu la réponse de Simon, Jésus reprend la parole en “Je” pour s’adresser à un “Tu” et construire son Église. C’est de l’intimité de la relation avec Jésus que s’édifie la communauté chrétienne, l’Église ; C’est de cette intimité avec le Christ que jaillit la solidité de l’Église et de ses membres.

« Les portes des enfers, les portes du séjour des morts, n’auront pas de force contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux. » Il y a un parallèle entre « les portes des enfers » et les « clefs du royaume ».

Jésus nous place devant un choix : serons-nous de ceux qui nous laisserons enfermer par crainte de la mort, comme le dit la Lettre aux Hébreux (He 2, 14-15) ? Ou serons-nous de ceux qui savent qu’ils ont reçu les clefs du Royaume ? Et qui à partir de là, sont des hommes et des femmes libres qui ne sont plus enfermés par la peur de la mort, mais qui savent qu’elle n’est qu’un passage qui leur donnera plein accès au Royaume qui est déjà là, dans lequel nous vivons et auquel nous participons déjà tout en attendant et espérant sa plénitude.

Voyons maintenant les deux dernières phrases : « Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, Ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. »

Lier/délier, un même acte dans une position et dans son contraire pour signifier la totalité. Dans l’Écriture lier et délier signifie l’autorité. Jésus donne autorité à son Église, il délègue à son Église l’autorité qu’il a reçu lui-même de son Père.

Ce qui est extraordinaire dans ces deux versets, c’est cette mention du couple Ciel/Terre. Il y a deux endroits dans l’évangile de saint Matthieu où l’on retrouve ce couple Terre/Ciel. Le passage de ce jour qui évoque l’action de Pierre, l’action de la communauté chrétienne qui lie et qui délie. L’autre passage est très connu, nous le prendrons tout à l’heure à la fin de la prière eucharistique : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » (Mt 6, 10.)

Ce parallèle ouvre une perspective extraordinaire à contempler : Nous, hommes, nous demandons que la volonté de Dieu qui s’accomplit dans les cieux s’accomplisse sur notre terre. Mais en retour, je dirai même avec audace, en réciprocité, Dieu donne pouvoir à son Église de lier et de délier. Et ce qui aura été fait sur la terre sera gardé dans le ciel, n’y a-t-il pas là une perspective étonnante surprenante et éblouissante de la responsabilité que Dieu nous confie.

Frères et sœurs, interrogeons-nous quelques instants : Sommes-nous de ceux qui, quand ils détiennent une parcelle d’autorité – et chacun de nous, dans un domaine ou dans un autre, détient une parcelle d’autorité – sommes-nous de ceux qui délient, c’est à dire de ceux qui ouvre au Royaume des Cieux, ou sommes-nous de ceux qui enferment dans les portes du shéol ?

Pour répondre à cette question, il nous faut sans doute, laisser Jésus nous interroger : Pour toi, aujourd’hui Qui suis-je ?

Et laisser dans le silence, cette question résonner pour nous conduire à une plus forte intimité avec Lui qui est la révélation du Père, le Fils du Dieu vivant en qui nous pouvons, si nous le voulons, devenir les fils et les filles bien-aimés du Père.

Amen.

Fr. Didier-Marie GOLAY, ocd

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