Homélie d’Avon : Elisabeth de la Trinité et les prêtres

Frères et sœurs,

En cette “année sacerdotale”, je vous propose de regarder ce qu’Élisabeth de la Trinité nous dit du ministère des Prêtres.

Dans sa vie de laïque, collaborant à la mission de l’Église, Élisabeth vit en relation avec les prêtres. Comme tout fidèle du Christ, elle s’adresse à eux pour recevoir les sacrements, particulièrement la confession et l’Eucharistie. Mais elle attend d’eux aussi une direction d’âme et un enseignement. Élisabeth, avec un sensus fidei étonnant, intègre les trois dimensions de la mission des prêtres : ils célèbrent pour elle l’eucharistie, ils lui donnent le pardon du Seigneur et l’enseignent par leurs prédications. Elle a besoin d’eux pour recevoir les sacrements, pour l’enseignement des mystères chrétiens et pour diriger sa conscience.

Mademoiselle Catez est très discrète sur sa relation avec les prêtres. Nous n’en trouvons aucune allusion dans sa correspondance. La seule source qui nous permet d’en parler est son Journal intime dont il ne reste qu’une partie. Dans cet écrit, elle parle de quelques prêtres : l’abbé Jean-Baptiste Sellenet, vicaire à la paroisse Saint-Michel de Dijon de 1890 à 1897 ; l’abbé Alexis Golmard, curé de la paroisse Saint-Michel de 1895 à 1916 ; le père Évariste Lion, rédemptoriste, qui prêche une mission à Saint-Michel, avec deux de ses confrères.

Élisabeth se révèle à travers son journal. Nous découvrons une âme qui sent ce qu’il lui faut, qui voit par intuition où elle doit être menée, mais qui accepte en même temps, dans une profonde obéissance, de recevoir ceux qui lui sont donnés comme directeurs et accompagnateurs. C’est dans le dialogue avec les prêtres qu’elle discerne et approfondit sa vocation au Carmel. Cette vocation qu’elle avait spontanément avouée au Chanoine Angle dès ses sept ans et avec lequel elle entretiendra une précieuse correspondance.

Quelques extraits de ces lettres nous montrent comment à travers le ministère du prêtre, elle veut être une âme offerte dans le sacrifice de l’Eucharistie pour être totalement saisie par le Christ. Avant sa prise d’habit, le 8 décembre 1901, elle écrit : « Votre âme n’est-ce pas, sera toute en communion avec celle de l’heureuse fiancée qui enfin va se donner à Celui qui depuis si longtemps l’appelle, et qui la veut toute sienne. Demandez lui que je ne vive plus, mais que Lui vive en moi. Puis du meilleur de votre âme, bénissez votre petite enfant bienheureuse et reconnaissante. » (Lettre 99)

L’année suivante, le 2 août 1902, elle demande : « Mettez-moi dans le calice, afin que mon âme soit toute baignée dans ce Sang de mon Christ dont j’ai si soif ! pour être toute pure, toute transparente, pour que la Trinité puisse se refléter en moi comme en un cristal. » (Lettre 131)

Le 4 janvier 1904, elle précise : « Au Saint Sacrifice, à l’autel de Celui que j’aime, souvenez-vous de votre carmélite : dites au Bon Dieu qu’elle veut être son Hostie pour qu’il demeure toujours en elle, et puisse le donner. » (Lettre 190)

Les puissants désirs de la carmélite ressemblent à ceux de la jeune Élisabeth. Peu de temps avant son entrée au Carmel, elle avait écrit à Marguerite Gollot : « Nous sommes ses hosties vivantes, ses petits ciboires que tout en nous Le reflète, que nous Le donnions aux âmes » (Lettre 54, du 16 mai 1901) Élisabeth use d’un langage symbolique très fort : elle est “hostie vivante”, “ciboire” ; elle est en quelque sorte une “présence réelle” du Christ ; elle Le rayonne et veut tel un apôtre “le donner aux âmes”. Nous sentons vibrer son zèle apostolique.

Dans une dernière lettre, le 9 mai 1906, elle mendie : « Puisque vous êtes son prêtre, consacrez moi à Lui comme une petite Hostie de louange qui veut le glorifier au ciel ou sur la terre, dans la souffrance tant qu’Il voudra. Et puis si je m’en vais, vous m’aiderez à sortir du Purgatoire… » (Lettre 271)

Élisabeth réclame l’aide du ministre de l’Eucharistie pour participer toujours plus pleinement au Mystère Pascal du Christ. Elle demande à celui qui fut le confident de son enfance de l’aider par le sacrifice eucharistique à devenir cette Hostie vivante, agréable à Dieu. Dans cette Communion des Saints, si importante pour elle, elle compte sur sa prière pour l’ultime purification avant le face à face.

Mais c’est sans aucun doute dans la correspondance avec l’abbé André Chevignard qu’apparaît le plus fortement la dimension sacerdotale d’Élisabeth. Peu après avoir rencontré pour la première fois le beau-frère de sa sœur, elle lui écrit : « J’ai eu un parloir tout divin avec l’Abbé Chevignard. Je crois qu’il y a eu fusion entre l’âme du Prêtre et celle de la carmélite. » (Lettre 135, vers le 14 septembre 1902) C’est Élisabeth elle-même qui souligne le mot “fusion”. En parlant et en écrivant à ce jeune séminariste qui sera ordonné prêtre le 29 juin 1905, Élisabeth approfondit sa vocation de carmélite, fille de Thérèse de Jésus et de tout son être elle va s’unir à l’action sacerdotale de son correspondant.

Le 24 février 1903, elle lui écrit : « Ne trouvez-vous pas que dans l’action, alors qu’on remplit l’office de Marthe, l’âme peut toujours demeurer toute adorante ensevelie comme Madeleine en sa contemplation, se tenant à cette source comme une affamée. Et c’est ainsi que je comprends l’apostolat pour la carmélite comme pour le Prêtre. Alors l’un et l’autre peuvent rayonner Dieu, le donner aux âmes s’ils se tiennent sans cesse aux sources divines. Il me semble qu’il faudrait s’approcher si près du Maître, communier tellement à son âme, s’identifier à tous les mouvements, puis s’en aller comme Lui en la Volonté du Père. » (Lettre 158)

Nous pouvons noter le rapport étroit qu’elle établit entre le prêtre et la carmélite dont l’apostolat lui semble identique. Le 27 avril 1904, elle confie : « J’aime beaucoup ce que vous me dites de Marie dans votre lettre et je vous demande, puisque vous vivez si près d’elle, de la prier un peu pour moi. J’envisage aussi ma vie de carmélite sous cette double vocation : « Vierge et Mère ». Vierge : épousée en la foi par le Christ ; Mère : sauvant les âmes, multipliant les adoptés du Père, les cohéritiers du Christ ». (Lettre 199)

“Sauver les âmes”, “multiplier les adoptés du Père” sont bien des actions sacerdotales. Élisabeth “dépasse” d’une certaine manière sa propre vocation d’épouse du Christ pour lui donner une dimension sacerdotale.

Le 16 novembre 1904, elle lui écrit : « … que le poids de son amour vous entraîne jusqu’à cette heureuse perte dont parlait l’apôtre lorsqu’il s’écriait : “Ce n’est plus moi qui vit, mais c’est le Christ qui vit en moi.” (Ga 2, 20) C’est là le rêve de mon âme de carmélite, c’est aussi je crois celui de votre âme sacerdotale, c’est surtout celui du Christ … » (Lettre 214) A nouveau Elisabeth identifie son désir de carmélite à celui du Prêtre.

Le 25 juin 1905, peu de jours avant l’Ordination de l’Abbé Chevignard, elle lui écrit : « Vendredi au Saint Autel lorsque pour la première fois entre vos mains consacrées, Jésus, le Saint de Dieu, viendra s’incarner en l’humble hostie, n’oubliez pas celle qu’Il a conduite sur le Carmel afin qu’elle y soit la louange de gloire ; demandez-lui de l’ensevelir dans la profondeur de son mystère, et de la consumer des feux de son amour ; puis offrez-la au Père avec l’Agneau divin ». (Lettre 232)

Puis dans une courte lettre du 21 juillet, elle précise : « Puisque vous êtes le prêtre de l’amour, je viens vous demander avec la permission de notre Révérende Mère, de bien vouloir me consacrer à Lui demain à la Sainte Messe. Baptisez moi dans le sang de l’Agneau afin que, vierge de tout ce qui n’est pas Lui, je ne vive que pour aimer d’une passion toujours croissante jusqu’à cette heureuse unité à laquelle Dieu nous a prédestinés en son vouloir éternel et immuable. » (Lettre 234)

Élisabeth souligne “me consacrer” et “unité”. La moniale compte sur la grâce particulière de la première messe de l’abbé Chevignard pour faire de sa vie une offrande plus profonde, pour être plus intimement unie au Christ.

Mais le sommet de la correspondance avec l’Abbé Chevignard est atteint le 29 novembre 1905, un an avant sa mort : « Dans le silence de l’oraison, écoutons-le, il est le principe qui parle au-dedans de nous […] Demandons-lui de nous rendre vrais dans notre amour, c’est-à-dire de faire de nous des êtres de sacrifice, car il me semble que le sacrifice n’est que l’amour mis en action. “Il m’a aimé et s’est livré pour moi.” J’aime cette pensée que la vie du prêtre (et de la carmélite) est un Avent qui prépare l’Incarnation dans les âmes. […] N’est-ce pas aussi notre mission de préparer les voies du Seigneur par notre union à Celui que l’Apôtre appelle un “feu consumant” ». (Lettre 250)

Élisabeth fait, avec audace, un parallèle voire une identification entre la mission du Prêtre et celle de la Carmélite qui doivent tous deux préparer les chemins au Seigneur dans les âmes. Elle collabore activement à la mission des prêtres selon les instructions de sainte Thérèse d’Avila aux chapitres 1 et 3 du Chemin de Perfection.

Élisabeth a cheminé avec l’abbé Chevignard qu’elle a connu comme séminariste et elle l’a rencontré au parloir. Elle a ainsi approfondit sa propre vocation de carmélite dans sa double dimension apostolique et sacerdotale.

Pour finir, citons une lettre du 22 juin 1902, adressée à l’abbé Joseph Baudis, missionnaire en Chine : « Je veux être apôtre avec vous, du fond de ma chère solitude du Carmel, je veux travailler à la gloire de Dieu. […] “Apôtre, Carmélite”, c’est tout un ! » (Lettre 124)

Nous entendons bien ici l’idéal apostolique du carmel thérésien. Élisabeth veut collaborer de toutes ses forces et de toute son âme à l’œuvre apostolique du missionnaire. La carmélite, par sa prière et par le don d’elle-même, va aider les prêtres dans leur apostolat, mais elle attend d’eux qu’ils l’aident aussi à réaliser sa vocation. Il y a un véritable échange qui la conduit à identifier, tout en les distinguant ses deux vocations de prêtre et de carmélite. Par l’intercession d’Élisabeth que le Seigneur mette sur notre route les ministres dont nous avons besoin. Qu’à sa prière, il nous donne de pouvoir répondre toujours plus généreusement à la vocation qui est la nôtre.

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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