Homélie - Toussaint : Les Béatitudes au-delà des frontières

Textes liturgiques (année A) : Ap 7, 2-4.9-14 ;Ps 23 (24) ;1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a

Les béatitudes concernent tout être humain en quête de bonheur ; c’est dire qu’elles concernent tout le monde. C’est pourquoi leur formulation exclut toute exigence morale ou toute référence religieuse. Il n’y a pas besoin d’être juif ou chrétien pour être humble, doux, affligé, assoiffé de justice, miséricordieux, pur de cœur, artisan de paix. Les béatitudes ne sont pas la charte morale d’un groupe religieux ou d’une Eglise. Jésus s’adresse à toute personne de bonne volonté quelques soient ses croyances. Un philosophe non chrétien a reconnu dans les béatitudes l’exemple par excellence d’une morale ouverte. La morale est fermée dans la mesure où elle est constitutive d’un groupe sociologique ou religieux déterminé. Elle est ouverte quand elle appelle à une justice, voire à une charité universelle. C’est le cas des béatitudes qui sont à vivre en faveur de chacun, sans faire acception des personnes. La douceur, l’humilité, la miséricorde, la justice sont à pratiquer envers tous. Non seulement cette morale évangélique ne constitue en aucune manière un groupe ou une identité spécifique, mais elle ouvre à la communion par-delà toute barrière ethnique, sociale, religieuse ou idéologique.

Elle demande à être vécue par tous et en faveur de tous. Son caractère spécifiquement évangélique tient à cette ouverture sans limite à toute personne humaine quel que soit sa religion, sa nationalité, son statut social et même sa moralité. Les règles morales ont pour conséquence habituelle de faire apparaître une discrimination vis-à-vis de ceux qui ne s’y conforment pas, qui sont des transgresseurs au regard de la règle. La morale proprement évangélique invite au contraire à être attentif à cette conséquence négative du précepte moral. Elle transcende toute morale en ce qu’elle appelle à vivre une ouverture à l’autre qui dépasse le jugement moral. Le Royaume de Dieu à l’œuvre dans le monde ouvre ainsi la perspective d’une communion à laquelle tous les hommes puissent participer comme acteurs et comme bénéficiaires. Le Royaume de Dieu est cette bienveillance inconditionnelle envers autrui présente en germe dans notre histoire au moins sous la forme d’une espérance et d’un engagement à la vivre.

Ce caractère radicalement universel des béatitudes à sa source en Dieu. Dieu aime chacun sans exception, car il est l’Amour de manière absolue et inconditionnelle. La première béatitude sur la pauvreté de cœur donne de vivre dès à présent de cette réalité du Royaume. Être pauvre de cœur, c’est en effet recevoir sa vie de Dieu comme un don immérité. Cette pauvreté spirituelle correspond à la nature filiale de notre existence : être fils, c’est recevoir sa vie d’un autre. Jésus, le Fils unique et Bien-aimé, reçoit sa vie de Dieu. Il sait par expérience ce que signifie vivre dans la confiance en la gratuité de l’amour de Dieu. Dans cette confiance filiale, toutes les autres béatitudes peuvent être vécues, car tout est possible à qui s’en remet à l’amour d’un Père. Oui, heureux les cœurs pauvres, car ils vivent de l’amour du Christ, lui le pauvre par excellence, entièrement ouvert au don de Dieu et totalement disponible aux hommes. La dernière béatitude en est la conséquence : il est possible de vivre ce mystère du Royaume au sein même des épreuves et de la persécution. C’est pourquoi cette dernière béatitude est associée comme la première à la possession actuelle du Royaume des cieux. Risquer sa vie au nom de la justice et de la foi manifeste en effet au grand jour l’œuvre de Dieu dans le cœur de l’homme.

Le Christ a vécu lui-même ces béatitudes, car il a expérimenté en plénitude ce bonheur de recevoir sa vie de Dieu et de pouvoir ainsi la donner pour les autres. Les béatitudes constituent un appel à imiter le Christ dans sa confiance sans limite envers Dieu afin d’ouvrir notre cœur à son amour et à celui de nos frères et sœurs. Telle est la sainteté à laquelle nous sommes appelés. Elle sera notre jubilation éternelle, mais nous la célébrons déjà en cette multitude anonyme de pauvres qui ont laissé l’amour de Dieu traverser leur vie. Réjouissons-nous de leur joie dans l’espérance de la partager un jour. Communions avec eux à l’Esprit du Christ qui est ouverture du cœur et don de soi. Accueillons dès à présent cette joie du Royaume qui nous est donnée à vivre dans l’esprit des Béatitudes.

fr. Olivier-Marie Rousseau - (Couvent de Paris)
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