Homélie 4° dim. TO : Cherchez l’humilité

Textes liturgiques (année A) : So 2, 3 ; Ps 145 (146) ; 1 Co 1, 26-31 ;Mt 5, 1-12a

« Cherchez le Seigneur, vous tous, les humbles du pays, qui accomplissez sa loi. Cherchez la justice, cherchez l’humilité » nous dit le prophète Sophonie. « Cherchez l’humilité ! » Oui, mais qu’est-ce qu’au juste que l’humilité ? Il y en a tellement de contrefaçons que nous pouvons la confondre avec la modestie, la dépréciation de soi ou encore la timidité. Alors que l’humilité demandée par Dieu est tout autre chose. Voici trois termes qui peuvent nous aider à mieux la cerner pour mieux la vivre : lucidité, fierté et capacité.

L’humilité est d’abord une forme de lucidité sur soi-même. Nous apprenons à nous regarder tels que nous sommes et non tels que nous nous rêvons. Notre regard sur nous-même oscille en effet souvent de l’exaltation au jugement terrible : nous sommes sous notre propre regard les meilleurs ou les plus nuls. Mais Dieu a un autre regard posé sur nous est c’est à travers ce regard que nous découvrons ce qu’est l’humilité. L’humilité n’est pas une qualité qu’on se donne à soi-même à force d’introspection psychologique. C’est le fruit d’un chemin humain et spirituel. Sainte Thérèse d’Avila en parle comme une notion fondamentale pour la vie spirituelle. L’humilité naît de la croissance dans la connaissance de nous-mêmes en rapport avec la connaissance de Dieu. Plus nous considérons qui est Dieu et qui nous sommes dans la prière, plus nous reconnaissons combien Il nous aime indépendamment de nos prétendus mérites, plus nous devenons lucides sur nous-mêmes. Nous atteignons comme dit saint Jean de la Croix « le centre de notre humilité » (Montée du Carmel I, 13, 13), c’est-à-dire notre juste place devant Dieu et devant les autres. On peut donc dire que l’humilité est un bon indicateur de la qualité de notre vie chrétienne : les vrais humbles sont les saints qui savent tout ce qu’ils ont reçu de Dieu et ne peuvent plus se croire au-dessus des autres. Celui qui est humble est ainsi lucide sur lui-même mais cette lucidité n’est pas une résignation : c’est le fait de se savoir à la fois imparfait, pécheur, infiniment aimé de Dieu et doté de talents pour servir le Seigneur. « Être ce que l’on est. Je ne connais pas de plus belle devise » affirmait le Père Jacques. Voilà pourquoi l’humilité peut être un chemin de bonheur comme l’indique l’évangile des béatitudes.

Contrairement aux apparences, l’humilité chrétienne va de pair avec une certaine fierté. Celui qui se cache derrière les autres n’est pas humble : il a honte de lui-même et ne s’aime pas. Or comme le dit le curé de campagne de Bernanos en ses derniers mots : « la grâce des grâces serait de s’aimer soi-même comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. » L’humilité est plein accueil de soi dans le Christ. Aussi la fierté dont il est question est évidemment distincte de l’orgueil. La juste fierté nous est indiquée par saint Paul citant Jérémie (9,22-23) : « Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur. » La fierté chrétienne n’est pas centrée sur soi ou sur nous mais elle est une fierté d’appartenance : nous sommes chrétiens, nous sommes du Christ. Nous n’avons aucun mérite pour cela. C’est un pur don gratuit de Dieu à travers nos parents ou notre propre chemin. Cette humble fierté consiste donc dans une forme de dépendance assumée telle qu’en parle la Règle du Carmel qui invite à vivre « dans la dépendance de Jésus-Christ. » Nous sommes fiers de dépendre de Jésus-Christ si nous comprenons que seul le Seigneur nous rend libres et heureux. Ce n’est pas une dépendance aliénante mais libératrice. Celui qui découvre l’humilité comprend qu’il ne peut s’appuyer sur lui-même. Il fait l’expérience que s’il continue de mener sa vie en s’appuyant seulement sur son intelligence et sa volonté, il finira dans une impasse, une voie de garage. C’est la foi qui nous permet de nous appuyer sur la force d’un Autre ; les pauvres de cœur savent que leur Royaume est en sécurité et les doux que seul l’Amour peut sauver. Ils sont donc fiers d’appartenir à Celui qui peut tout. Voilà une thématique qui peut interroger notre manière de nous présenter en chrétiens ; il y a parfois un syndrome de honte collective à nous dire du Christ, comme si ce n’était pas respectable. Il y a pourtant une fierté non arrogante et ouverte au dialogue qui est plus juste que bien des démissions.

Enfin, l’humilité pourrait être vue comme une capacité, capacité à recevoir. Parfois nous pensons que l’humilité est seulement liée au péché. Nous sommes humbles parce que nous reconnaissons notre péché. Mais comment comprendre cette phrase de Celui qui est sans péché : « je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,28) ? Jésus, vrai Dieu et vrai homme est humble : quel mystère ! Peut-être que nous pouvons le comprendre dans son identité filiale. Jésus est humble car il est le Fils qui reçoit tout du Père. Il ne défend pas sa place au soleil, il ne cherche pas à jouer un rôle pour être le centre de l’attention : il sait que tout lui est donné et que le Fils ne peut rien faire sans le Père (cf. Jn 5,19). L’humilité est le secret de Jésus et elle est en même temps sa force : son être filial le rend capable de tout recevoir de Dieu. L’humilité est une capacité de se recevoir de Dieu. Nous pouvons le vérifier dans la voie carmélitaine de la prière quand sainte Thérèse d’Avila insiste sur l’humilité dans les 3es Demeures du Château intérieur pour entrer dans la prière contemplative. Pour pouvoir recevoir la grâce de Dieu, nous devons nous y disposer, en laissant l’Esprit Saint faire grandir en nous cette capacité de recevoir : c’est l’humilité qui permet cela. Un passage censuré du Chemin de perfection le confirme quand Thérèse a l’audace de parler de la vie spirituelle comme un jeu d’échecs avec le Seigneur. Ecoutons ce passage incroyable : dans la prière « celui qui ne saura pas disposer les pièces du jeu d’échecs jouera très mal, et s’il ne sait pas faire échec, comment fera-t-il mat ? (…) Avec quelle rapidité, si nous nous y exerçons bien, ferons-nous mat au Roi divin ! Il ne pourra plus, après cela, nous échapper des mains et même il ne le voudra pas. Dans le jeu d’échecs, c’est la dame qui a sur le roi le plus d’avantage, soutenue qu’elle est par toutes les autres pièces. Eh bien ! il n’est ici-bas de dame telle que l’humilité pour forcer le Roi divin à se rendre. C’est elle qui l’a attiré du ciel dans le sein de la Vierge ; c’est grâce à elle aussi que nous pourrons, d’un seul de nos cheveux, l’attirer dans nos âmes. Soyez bien convaincues qu’on le possède plus ou moins, à proportion qu’on a plus ou moins d’humilité. » (24,1-2 Escorial) Pour Thérèse, l’humilité est bien une force, un appel d’air à la grâce. L’humilité fait craquer le Bon Dieu ajouterait aussi Petite Thérèse. Décidément, celui qui est humble doit être audacieux avec Dieu !

« Cherchez l’humilité » nous dit Sophonie. Cherchons donc à être lucides sur nous-mêmes à l’école du Seigneur. Cherchons à dépendre toujours plus de lui, de sa parole et de son amour, de sorte que nous soyons fiers de porter son nom et de le dire. Cherchons à faire grandir en nous notre capacité de recevoir pour devenir comme Jésus, de vrais enfants de Dieu. Ne tardons pas à prendre ce chemin : allons-y avec élan puisque sainte Thérèse nous dit encore : « Selon moi, marcher rapidement, c’est avoir beaucoup d’humilité. » (3es Demeures 2,8)

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau - (Couvent d’Avon)
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