Homélie 5e dimanche de Carême : La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année A) : Ez 37, 12-14, Ps 129 (130) ; Rm 8, 8-11 ; Jn 11, 1-45

A tous les âges de la vie, la réalité de la mort peut nous atteindre. Certes à un âge avancé, nous voyons beaucoup de nos amis disparaître et nous avons conscience que ce sera bientôt notre tour. Mais l’être plus jeune peut déjà être profondément affecté par la maladie grave et la mort d’un ami… ou par la perspective de sa propre mort. Tant d’évènements de ce mondes, catastrophes, attentats, accidents, maladie font de la mort une réalité que nous ne pouvons ignorer. C’est elle qui rejoint Lazare, et ses deux sœurs, célibataires, Marthe et Marie.

Dans une prière admirable de discrétion elles ont envoyé dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade ». Toute l’attention se porte sur l’évènement de la maladie. En apprenant cela, Jésus répond étonnamment : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié ». Jésus élargit l’horizon passant de la maladie présente à la perspective d’une réalité qui nous dépasse. Dans l’évangile selon st Jean, « la gloire de Dieu » évoque le plein accomplissement du projet du Père sur la création, la réalisation de l’œuvre du salut par le Fils. Et « le Fils sera glorifié » par la communication d’une vie divine qui n’est pas seulement promesse mais don actuel accordé à l’existence ordinaire. La maladie de Lazare aboutira à la manifestation de ce projet de vie. Tout est déjà dit de l’évangile de ce jour, du moins presque tout car Jésus va souligner que ces réalités vitales ne peuvent être reconnues et accueillies que dans la foi. Par cette ouverture de l’horizon, Jésus ne méconnait pas la situation douloureuse des deux sœurs. Comment l’aurait-il pu, lui dont l’évangile dit qu’il « aimait Marthe et sa sœur ainsi que Lazare ». Il reste très proche d’elles, mais son amour pour elle veut qu’elles ne s’enferment pas dans leur propre douleur et surtout il veut les ouvrir à beaucoup plus que la guérison de leur frère. Comment cela va-t-il se faire ?

Lorsque Marthe apprend l’arrivée de Jésus à Béthanie, elle part à sa rencontre. « Seigneur, si tu avais été là mon frère ne serait pas mort mais maintenant encore je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera ». Et elle dit partager la foi officielle du judaïsme qui croit à une résurrection des morts à la fin des temps. Mais qu’en est-il de maintenant, aujourd’hui ? C’est alors que Jésus déclare : « Moi, je suis la résurrection et la vie » Et il explicite : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt vivra ». Il s’agit bien de la destinée ultime, à la fin des temps. Puis il ajoute : « Quiconque vit maintenant et croit en moi ne mourra jamais. » Dès à présent le croyant participe à la vie de Jésus, Fils de Dieu en communion avec le Père : la vie éternelle est déjà inaugurée en lui. Crois-tu cela ? Jésus n’explique pas davantage ses paroles, il invite à croire et Marthe ne répond pas : j’ai compris mais je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde ». Ici, Marthe va bien au-delà de la foi juive.

Après quoi, Marthe toujours active va trouver sa sœur Marie restée assise à la maison. « Le maitre est là et il t’appelle… Marie se lève rapidement et va trouver Jésus. Dès qu’elle le vit, elle lui dit comme sa sœur Marthe : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Mais rien de plus. Jésus ne la reprend pas, en lui disant par exemple : « Sois courageuse et croyante ». Quand il vit qu’elle pleurait et que les juifs venus avec elle pleuraient aussi, « en son esprit il fut saisi d’émotion, bouleversé. » Et il demande : « Où l’avez-vous déposé ? » « Seigneur viens et vois » Alors Jésus se mit à pleurer. La détresse qui l’entoure concrétise à ses yeux la présence tragique de la mort, celle de Lazare mais aussi la sienne qu’il sait être tout proche et vers laquelle il s’avance librement, car il ne peut s’y soustraire : elle fait partie de son itinéraire reçu de son Père. On le voit. Dans ce récit de Lazare qui est mort et qui sortira de la tombe, l’évangéliste ne montre pas seulement en signe ce que le Fils de Dieu réalisera en faveur des croyants mais anticipe en image ce qui attend Jésus lui-même.

Arrivé au tombeau, Jésus dit : « Enlevez la pierre ». A Marthe qui est horrifiée à l’idée de se trouver en présence d’un corps en décomposition, il rappelle : « Ne te l’ai-je pas dit. Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ». Il la renvoie à la parole qu’il avait prononcée au commencement en déplaçant l’attention sur Dieu seul, son Père, origine de toute vie. Et sa gloire est ici implicitement la création nouvelle qu’il suscite par-delà la décomposition de la mort. On enleva la pierre et Jésus prononce une prière : Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Sa prière est prononcée « afin qu’ils croient que tu m’as envoyé ». Ainsi se réalise la glorification de Jésus. Il ne lui reste plus qu’à appeler : « Lazare, viens dehors » et le mort sortit du tombeau.

Frères et sœurs, La vie en ce monde nous confronte à la réalité de la maladie et de la mort, celles des autres et les nôtres. Saint François d’Assise disait dans le cantique des créatures : « Loué sois tu, mon Seigneur, par sœur notre mort corporelle, à laquelle nul homme vivant ne peut échapper. Heureux ceux qu’elle trouvera dans tes très saintes volontés ».

La Parole de Dieu en cet évangile nous révèle combien dans ces épreuves le Seigneur est proche de nous. Il a vu lui-même la mort s’approcher et il l’a connue. Mais il appelle à voir le fond de la réalité perceptible seulement au regard de la foi. La mort, la nôtre ou celle de ceux que nous aimons, ne saurait nous séparer de lui, dans l’instant présent et cette vie divine qu’il nous communique dès maintenant dans la foi s’épanouira dans la lumière lors de cette mystérieuse résurrection à la fin des temps. Et on entend ici le cri de saint Paul « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? J’en ai l’assurance, ni la mort ni la vie, ni le présent ni l’avenir, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus Christ » . Cette réalité ne peut être reconnue et accueillie que dans la foi. Elle manifeste la gloire de Dieu, cette gloire dont saint Irénée disait : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » de la vie de Dieu, que la mort ne peut lui ôter.

Frères et sœurs répétons avec amour, pour l’inscrire en nous, la proclamation du Christ : « Je suis la résurrection et la vie. » Qu’elle nous affermisse dans l’espérance dès maintenant et pour toujours et qu’elle nous fasse déjà entrer plus profondément dans le mystère de sa Pâque.

fr .Dominique Sterckx - (Couvent de Paris)
Revenir en haut