Homélie 5° dim. TO : sel et lumière

donnée au Carmel de Lisieux

Textes liturgiques (année A) : Is 58,7-10 ; Ps 111 (112) ; 1 Co 2, 1-5 ; Mt 5, 13-16

Thérèse de Lisieux n’a pas eu notre chance : elle n’a jamais eu à sa disposition une bible personnelle. Quand Céline est entrée au carmel en septembre 1894, elle a apporté avec elle un carnet dans lequel elle avait copié des textes de la bible qu’elle pouvait consulter chez l’oncle Guérin. C’est dans ce carnet de Céline que Thérèse a découvert le chapitre 58 du prophète Isaïe dont nous avons entendu quelques versets dans la première lecture. Céline devenue sa novice sous le nom de Sr Geneviève nous a transmis un commentaire de ce passage du prophète que Thérèse lui a donné au noviciat.

« Reprenant chacune de ces expressions, elle me les expliquait en me disant qu’il y avait, à l’égard des âmes, une bien plus grande charité à pratiquer qu’à l’égard des corps : « Il y a des pauvres partout, des âmes faibles, malades, opprimées…Eh bien ! Prenez leurs fardeaux… Renvoyez libres ceux qui sont opprimés et brisez tout ce qui charge les autres. » Et poursuivant sa citation : « Alors votre lumière éclatera comme l’aurore, vous recouvrerez bientôt votre santé. » Vous venez d’entendre la récompense ! Si vous brisez les chaînes des âmes captives par votre douceur et votre affabilité, si vous consolez ceux qui souffrent, vous recouvrerez votre santé intérieure. Une lumière se lèvera pour vous dans les ténèbres et vos ténèbres deviendront pour vous comme le midi, non pas que les ténèbres disparaîtront car les épreuves ne peuvent manquer à une âme, mais vos ténèbres seront lumineuses et vous aurez la paix, la joie, une clarté brillera toujours pour vous-même, au milieu de la nuit intérieure."  » Retenons deux enseignements du jeune docteur de l’Église : les actes qui rendent justice aux marginaux, aux migrants, aux opprimés ne font pas seulement du bien aux personnes secourues. Pour les acteurs de solidarité ils sont une source de guérison ; et de plus, ils créent une lumière intérieure jusque dans la détresse et la nuit.

Cette clarté intérieure, l’apôtre saint Paul nous en fait connaître le nom : c’est l’Esprit saint. « C’est dans la faiblesse que je me suis présenté à vous… Mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient. » Paul avait été formé par les meilleurs maîtres d’Israël. Il avait appris tout ce qui pouvait être enseigné de la sagesse d’Israël aussi bien que de la rhétorique et de la philosophie des Grecs. Lorsqu’il vint à Athènes pour annoncer la Bonne Nouvelle (cf. Ac 17), il pensa que le meilleur moyen de se faire accepter était de rencontrer les gens de l’agora en usant de sa connaissance de leurs philosophes et de leurs poètes. Ce fut un échec. Paul changea de méthode. Lorsqu’il vint à Corinthe, il ne se présenta pas comme un brillant intellectuel, mais comme un pauvre qui portait témoignage dans sa vie à la croix du Christ et à sa résurrection. « Mon langage n’avait rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. »

Paul nous offre ainsi un bon commentaire de l’Évangile. Jésus nous dit que nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde : est-ce une invitation à l’orgueil, à l’arrogance, à nous féliciter publiquement d’être des « chrétiens » ? Est-ce pour que le monde puisse nous regarder et nous admirer ? Non, bien sûr ! Jésus nous confie une mission et pour l’accomplir, ce ne sont pas des « choses » que Jésus nous donne. Il nous donne son Esprit. Il est « la lumière et le sel » répandus dans nos cœurs. Par le don de l’Esprit, les Écritures s’animent. Les mots mille fois lus et entendus soudain prennent sens et saveur, ils semblent écrits pour nous, pour moi. C’est comme si Jésus me parlait ici et maintenant avec douceur et autorité. L’Esprit saint est cette « douce lumière » qui nous permet de comprendre les paroles divines de l’Ecriture et de les expliquer comme le faisait Thérèse auprès de sa sœur. L’Esprit saint incline notre cœur vers l’adoration et l’humble action de grâce, comme cette humble fille d’Israël, Edith Stein - une autre sainte carmélite, Thérèse-Bénédicte de la Croix :

« Qui es-tu, douce lumière, qui me combles et illumines la ténèbre de mon cœur ?
Comme la main d’une mère, tu me conduis et, si tu me lâchais, je ne saurais faire un pas de plus.
Tu es l’espace environnant mon être et l’abritant en toi…
Toi, qui m’es plus proche que je ne le suis moi-même, qui m’es plus intérieur que mon propre cœur, et pourtant insaisissable, inconcevable, au-delà de tout nom,
Saint-Esprit, Eternel Amour ! »

L’Esprit saint agit avec une humble discrétion. C’est lui qui donne aux choses de la terre leur juste saveur, aux événements du monde, leur authentique valeur. C’est lui qui, à la source de notre liberté, nous donne le temps de penser, sentir, soupeser, discerner, choisir.

« N’es-tu pas la manne si douce à mon palais, qui du cœur du Fils déborde dans le mien, nourriture des anges et des bienheureux ?
Lui qui s’est levé de la mort vers la vie, il a su m’éveiller du sommeil de la mort à une vie nouvelle.
Vie nouvelle qu’il me donne chaque jour et dont la plénitude doit un jour m’inonder,
Vie de ta propre vie, oui toi-même : Saint-Esprit, vie éternelle ! »

Le sel et la lumière, voilà le critère de discernement d’une vie chrétienne. L’Esprit saint éclaire les moments importants de la vie et nous les fait goûter intérieurement. Tout en respectant infiniment notre liberté il nous donne de choisir ce qui est conforme à la volonté de Dieu. Il fait de nous des femmes et des « hommes de justice, de tendresse et de pitié, qui, le cœur ferme, s’appuient sur le Seigneur ». Quand il est agissant dans notre cœur, ce que nous propose l’Esprit saint est simple. Pour prier il nous donne deux paroles. Une parole pour nous tourner vers Dieu quelle que soit l’idée que nous nous faisons de lui : « Abba, Père ». Et une parole pour nous adresser à Jésus qui veut devenir notre ami : « Seigneur ». A quoi il ajoute un critère de discernement. Un critère très humain : il nous fait comprendre que nous pouvons l’attrister ou bien le réjouir. Nous attristons l’Esprit quand nous le traitons mal. Mais il nous éclaire et donne saveur à ce que nous comprenons, disons et faisons quand nous sommes en accord avec lui.

Nous écoutons Jésus, il nous donne l’Esprit sans mesure. « Vous êtes la lumière du monde, vous êtes le sel de la terre. » Non, décidément, ce n’est pas notre propre gloire que nous cherchons mais uniquement la gloire de notre Père des cieux. Alors « voyant ce que vous faites de bien, les gens rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »

fr. Philippe Hugelé - (Couvent de Lisieux)
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