Homélie d’Avon : 1er Dimanche de l’Avent

DEBOUT, ASSIS : LES DEUX POSTURES DE L’AVENT

Pour entrer dans ce temps de l’Avent, je voudrais lire un témoignage (un apophtegme) concernant Abba Arsène, un des pères du désert, ces premiers moines du christianisme.

Le samedi soir, debout, le moine Arsène abandonnait le soleil derrière lui, tendait les mains vers le ciel, priant jusqu’à ce que le soleil se lève devant lui. Alors seulement il s’asseyait. Pas de parole dans ce récit, un seul geste, mais un geste très parlant et riche de ce que pourrait être notre Avent.

Littéralement, glose un commentateur , il rejette dans son dos le soleil qui choit et, luttant contre la nuit, droit sur ses pieds, il lève les mains vers le pont de l’horizon d’où la lumière, comme une réponse, viendra saisir ses paumes ouvertes. Entre le soir et le matin, entre le haut et le bas, entre ce qui meurt et ce qui naît, il n’est qu’un geste d’attente et un corps fatigué par le désir. C’est l’homme en prière, tel un arbre entre ciel et terre. Qu’a-t-il besoin de parler ? Le bois de la croix, corps immobile dans le silence nocturne, sera demain couvert de la gloire du ressuscité.

Le temps de l’Avent est le « temps du long désir ». Notre apophtegme nous en indique trois aspects que j’exprime avec les mots de la prière d’ouverture de ce jour : un désir orienté vers la rencontre du Seigneur ; un désir courageux ; un désir en chemin. Reprenons cela.

D’abord, Arsène est debout, orienté au sens strict du terme, tourné vers le matin, vers Celui qui vient, vers le neuf. Vers toi Seigneur, j’élève mon âme, vers toi mon Dieu chantions-nous pareillement avec le psaume 24, qui est un des psaumes privilégiés de l’Avent. Notons l’originalité de l’orientation : « entre le soir et le matin », « entre ce qui meurt et ce qui naît » ! Originalité que donnent l’espérance, et avec elle, la perception de ce qui advient et un sens renouvelé de la vie. Nous envisageons souvent nos journées comme allant du matin jusqu’au soir et nos vies de la naissance à la mort, alors que la foi chrétienne réoriente nos regards avec l’assurance que « l’arbre de la croix sera demain couvert de la gloire du ressuscité ».

L’Avent ouvre une nouvelle année liturgique. Là aussi, originalité de la démarche, elle ne commence pas par une mise à zéro de tous les compteurs, mais, par ce par quoi elle s’était terminée, dans cette invitation à la vigilance et dans la perspective des fins dernières, qui occupent depuis plusieurs semaines nos lectures liturgiques. Le temps du long désir est ensuite le temps du courage. C’est ce qu’expriment la lutte d’Arsène et les invitations de Jésus dans l’évangile à ne pas s’alourdir, ni s’étourdir dans l’ivrognerie ni à se laisser prendre par les soucis de la vie. Ascétiques, on pourrait dire aussi diététiques, ces conseils sont là pour garder l’essentiel, sans faire de détour. Pas de recherche buissonnière du Seigneur !

L’Avent est enfin un chemin, une invitation à creuser notre désir. Pour ce faire, il relit les prophètes de l’Ancien Testament (tout spécialement Isaïe même si nous lisions tout à l’heure Jérémie). Il ne s’agit pas de rejouer l’attente d’Israël dont on confirmerait, de manière factice car extérieure, l’accomplissement le jour de Noël, mais d’approfondir nos propres aspirations, les nôtres et celles de notre temps, des communautés avec lesquelles nos vies sont liées. Le long désir est celui, décanté, concentré, des siècles précédents, qui vient rejoindre les nôtres, les interroger, les élargir. Cela ne va pas sans l’épreuve de nos pauvretés et de nos obscurités tenaces, mais entre un soir et un matin, n’y-a-t-il pas la nuit ? Remarquons aussi avec saint Paul qu’il ne s’agit pas de faire des choses nouvelles et inédites mais de progresser sur le chemin de l’amour fraternel. Le psalmiste quant à lui suppliait le Seigneur de lui montrer sa justice et sa vérité pour poursuivre sa route. « Il enseigne aux humbles son chemin ».

Debout, orienté et courageux dans l’attente, notre orant Abba Arsène est donc en marche vers Dieu. Notre commentateur de tout à l’heure poursuit : Avec le mince bagage de ses gestes et de ses mots, il poursuit son humble pèlerinage. De ce point de vue, la succession de ses postures et des pas sur cette route implique la négation de chaque posture : non Dieu n’est pas là mais ailleurs toujours plus loin. Le geste n’est pas une localisation de l’Absolu mais il n’est pas non plus le simple moment d’un départ. Déjà, il est accueil et réponse, en même temps que désir et attente. Il saisit dès maintenant ce qu’il doit chercher. L’orant trouve dans son geste le Dieu déjà venu au-dedans, déjà descendu des hauteurs, déjà manifesté dans sa gloire, de sorte qu’il peut énoncer avec chaque terme de son vocabulaire corporel : Dieu est là aussi. Il se lève, il part, il va, il court vers Dieu ; mais il est aussi en Dieu, il le prend dans ses mains vides, il le reçoit sur ses paumes ouvertes, il le contient dans la cellule de son corps. Voilà un complément indispensable pour notre Avent : debout, il faut aussi savoir s’asseoir ; tendu et en recherche, il faut savoir accueillir paisiblement Dieu, ses promesses et ses dons, tout ce qui est de l’ordre de la naissance dans nos vies.

Cela aussi, les Ecritures et tout spécialement les prophètes nous l’apprennent. Le germe dont parlait Jérémie est déjà à l’œuvre : l’Avent est le temps pour le repérer, rendre grâce et favoriser sa croissance. Il est donc déjà le temps de la présence. Eprouver Dieu présent dans notre attente, seul l’homme de désir sait le faire car l’espérance obtient autant qu’elle espère, et avant tout de rencontrer Dieu.

Il est temps de conclure. Debout et assis, notre Avent nous convie à deux positions. Liturgiquement, elles correspondent aux deux parties de l’Avent : la première, marquée par les figures en marche d’Isaïe et de Jean-Baptiste, la seconde, à partir du 17 décembre, marquée par la figure assise, en attente, de la Vierge. Théologiquement, elles correspondent à la double perception de Dieu, toujours au-delà et déjà-là dans nos vies. Elles nous acheminent ainsi vers la manifestation plénière du Seigneur, commencée depuis l’Incarnation.

Lors de la nuit de Noël, c’est à une troisième position que nous serons conviés. Prosternés, nous rendrons grâce à Dieu, ce que l’eucharistie de ce jour nous donne déjà de faire.

Amen

Fr. Guillaume Dehorter, ocd

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