Qui cherche qui ? (Homélie 31° dim. TO)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Sg 11, 22 – 12, 2 ; Ps 144 (145), 1-2, 8-9, 10-11, 13cd-14 ; 2 Th 1, 11 – 2, 2 ; Lc 19, 1-10

Jésus avait déjà prévenu : « Moi je vous dis : demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez. (…) En effet celui qui demande reçoit, celui qui cherche trouve. » (Lc 11, 9-10) Zachée n’a pas entendu ces paroles adressées aux disciples quand ils demandèrent à Jésus de leur apprendre à prier. Mais peut-être sont-elles venues jusqu’à ses oreilles, de sorte qu’elles l’ont encouragé dans sa quête ? Car l’évangéliste nous dit qu’il « cherchait à voir qui était Jésus ». C’est assez étonnant pour un homme riche ! Car il a peut-être aussi entendu les avertissements du Christ : « quel malheur pour vous les riches, car vous avez votre consolation. » (Lc 6, 24) Et ces paroles l’ont peut-être atteint : car oui Zachée est riche ; mais il n’est pas sûr du tout qu’il soit heureux ni qu’il soit consolé.

Chef des collecteurs d’impôts est une belle situation financière mais qui pousse dans une certaine marginalité sociale : les publicains sont profondément méprisés par les pharisiens en raison de leur collaboration avec l’occupant romain. Ce sont des traîtres. Voilà donc un homme riche, petit de taille, donc probablement souvent regardé de haut par la population de Jéricho. Zachée place donc peut-être son secret espoir dans ces paroles attirantes rapportées de ce rabbi pas comme les autres, un homme qui invite à changer de vie ; un homme qui a même choisi parmi ses apôtres, Lévi-Matthieu, un publicain comme Zachée. Les espoirs sont donc fondés d’un accueil favorable et Zachée « cherchait à voir qui était Jésus ».

Nous pouvons aussi noter l’ouverture de cœur dans la recherche de Jésus car elle contraste avec une autre recherche. Il est un autre homme dans l’évangile de Luc qui également « cherchait à voir » Jésus (9,9) (Luc utilise les mêmes mots). Il s’agit d’un autre riche, Hérode. Lui aussi verra son désir exaucé mais au lieu de provoquer sa joie, comme pour Zachée, elle causera la déception du despote. C’est que sa recherche relevait plus d’une curiosité inquiète de son pouvoir que d’un cœur prêt à changer de vie. Voilà qui nous interroge sur notre propre manière de chercher Jésus : comment le cherchons-nous ? Le faisons-nous avec persévérance et humilité ou bien de façon désinvolte et orgueilleuse ? Dans le premier cas, Jésus nous appellera par notre nom et s’invitera chez nous pour y demeurer ; dans le deuxième, il viendra à nous enchaîné par nos caprices et il restera silencieux comme devant Hérode. Il ne sert à rien de parler à quelqu’un qui n’est pas disposé à recevoir.

Zachée sur le Sycomore, James Tissot

Zachée, lui, est prêt. C’est l’occasion de sa vie et il court et grimpe dans la hauteur pour voir sans être vu, perché sur son arbre. Et il voit enfin Jésus. Ou plutôt, coup de théâtre, il est vu par Jésus. Pris en flagrant délit d’une quête intérieure qui apparaît au grand jour. L’inconnu Jésus l’appelle par son nom. L’inconnu Jésus le regarde comme personne ne l’a jamais regardé. Car pour Dieu, dit saint Jean de la Croix, « regarder, c’est aimer » (Cantique Spirituel B 19,6). Jésus le regarde par en bas, par-dessous et non pas de haut, comme les autres. Un regard humble et fort qui atteint en plein cœur et fait tomber Zachée de sa hauteur : «  Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » L’improbable arrive : ce rabbi célèbre décide de faire halte, non pas chez les hommes religieux de la ville mais chez cet homme peu religieux et haï par tant de gens : « Voyant cela, tous récriminaient : ‘Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur.’ » Non pas certains, mais tous. Zachée fait l’unanimité contre lui, mais peu importe, il a Jésus pour lui, et cela suffit. Aussi l’accueil de cet hôte se fait-il dans la joie, comme Lévi avait organisé une fête et même un festin : l’argent collecté sert aussi à faire la fête (Lc 5, 29) !

Or après la décision de Zachée de changer de vie, la parole de Jésus provoque un nouvel étonnement : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison. (…) En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Etonnement, oui, car qui cherche qui ? Zachée pensait, peut-être comme Hérode, que c’est lui qui cherchait à voir Jésus. En réalité, Jésus révèle à Zachée que non seulement c’est lui-même qui l’a vu le premier mais qu’en plus c’est lui-même qui cherchait à le voir pour le sauver. Tel est pris qui croyait prendre. Le chercheur n’est pas forcément celui qu’on croit. Saint Jean de la Croix généralise ce constat pour notre propre vie spirituelle : « Si l’âme cherche son Dieu, son Bien- Aimé la cherche bien davantage. (…) C’est Dieu qui, dans cette recherche, est le principal acteur. » (VF 3, 28) Ainsi, l’expérience que fait Zachée n’est pas isolée mais nous renvoie à la nôtre. Nous pensons parfois qu’être chrétien consiste à faire des choses pour Dieu pour d’ailleurs, ensuite, demander une récompense proportionnelle à nos efforts. La vérité est autre : c’est Dieu qui le premier fait des choses pour nous. C’est lui qui nous cherche et nous attend, comme nous le voyons dans les trois paraboles du chapitre 15 où revient le refrain ‘j’ai retrouvé ce qui était perdu’ : la joie naît de la recherche victorieuse de la brebis perdue, de la pièce d’argent perdue, du fils cadet perdu. Dieu ne se lasse jamais de nous chercher et il persévèrera tant qu’il ne nous aura pas trouvés.

Souvenons-nous : dès la Genèse, après qu’Adam a mangé de l’arbre qui conduit à la mort, Dieu cherche l’humain égaré et l’appelle : « Où es-tu ? » (Gn 3,9). ‘Pourquoi te caches-tu ? Pourquoi avoir peur de moi ?’ Toute la Bible raconte cette lente recherche de Dieu à notre égard, afin de nous révéler cet amour immense. Ainsi sainte Elisabeth de la Trinité écrit-elle en songeant à sa vie : « Je me sens enveloppée dans le mystère de la charité du Christ, et lorsque je regarde en arrière, je vois comme une divine poursuite sur mon âme ; oh ! que d’amour, je suis comme écrasée sous ce poids, alors je me tais et j’adore !… » (L 151)

Peut-être pourrions-nous prendre le temps de méditer cette recherche de Dieu à notre égard en relisant notre propre chemin de vie ? Nous découvririons davantage combien le livre de la Sagesse dit vrai en décrivant la pédagogie divine pour nous : « Seigneur, (…) tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres. (…) Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent, pour qu’ils se détournent du mal et croient en toi, Seigneur. » Alors forts de cette vérité, nous pourrons chanter avec plus de force : « Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais !  » Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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