Homélie 14° Dim. TO : prophète du 21° siècle

donnée au couvent de Paris

Dimanche 5 juillet 2015 - 14° dimanche du Temps ordinaire

Textes liturgiques : Ez 2,2-5 ; Ps 122 ; 2Co 12,7-10 ; Mc 6,1-6

Après avoir médité le 24 juin sur la figure du prophète lors de la célébration de la nativité de Jean Baptiste, les textes de ce jours nous donnent d’approfondir davantage cette méditation. Je vous suggère à cet effet de débuter notre méditation sur ce verset issu de la finale de la première lecture : « Qu’ils écoutent ou qu’ils s’y refusent, … ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux  ». Ce verset apparaît quand même étrange dans la mesure où même lorsque le prophète n’est pas écouté, il est tout de même reconnu comme prophète. Cela signifie que le critère fondamental de reconnaissance du prophète ne réside pas avant tout dans l’accueil qu’on réserve à sa parole. La proclamation de la parole est déjà une révélation de l’identité du prophète. Et ce, non pas seulement parce qu’il a prononcé une parole, mais parce qu’il a prononcé une parole qui vient de Dieu et qui ne laisse personne indifférent. Il prononce une parole qui rejoint le peuple dans son quotidien. Tel est le sens de ce propos « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël ».

La parole prophétique ne relève donc pas de l’abstraction. Avant d’être portée vers l’avenir, elle pointe du doigt une réalité, elle dénonce, elle interpelle, elle exhorte et elle finit par annoncer le triomphe de l’amour de Dieu parce qu’avant toute prise de parole le prophète se met à l’écoute de Dieu. Ceux qui entendent le prophète ne sont pas seulement invités à un acte de foi, mais sont avant tout mis en face d’une réalité historique qui les incombe et les surplombe. Voilà pourquoi, qu’ils l’écoutent ou qu’ils refusent de l’écouter, ils reconnaissent qu’il y a au milieu d’eux un prophète. Car, même si de prime abord, nous n’avons pas la certitude qu’il parle au nom de Dieu, en prenant un peu de recul, nous nous rendons compte que le prophète véritablement inspiré par Dieu nous renvoie à des vérités qui en toute conscience nous touchent de près ou de loin.

Ainsi pouvons-nous comprendre le fait qu’il soit « méprisé dans son pays, sa famille et sa propre maison ». Ce mépris nait souvent d’une question que nous nous posons en face de ces prophètes que nous côtoyons :’ Comment se fait-il que le frère dont je connais l’histoire, que la sœur ou la collègue dont je connais les défauts et dont je pouvais prévoir les actions et les réactions puissent aujourd’hui tenir des propos qui me renvoient à la vérité de ma conscience ’ ? Et c’est cela qui nous intrigue généralement chez le prophète. Nous n’acceptons pas la nouveauté du discours qui sort de sa bouche, parce que nous l’avons enfermé dans un carcan. Son histoire pour nous détermine son avenir. Alors qu’avec Dieu toute histoire n’est qu’un point de départ vers une réécriture nouvelle. Le prophète est certes fils d’un lieu et d’une époque, mais à la différence des autres, il se met à l’écoute de Dieu de telle sorte qu’il n’a plus le même regard sur les mêmes évènements. Sa perception du monde devient tout autre.

Il suffit à ce niveau de nous laisser éclairer par l’exemple du prophète Élie, après avoir faire l’expérience de Dieu sur le Mont Carmel, il fut invité par Dieu non pas à continuer de fuir les évènements qu’il craignait, mais à retourner au cœur de ces évènements. Les réalités historiques qu’il fuyait n’ont pas changé, mais renouvelée dans sa relation à Dieu, sa perception de l’histoire devient également nouvelle. Saint Luc relatant la conversion de Saint Paul pourra nous dire qu’il tombait de ses yeux comme des écailles, signe d’une nouvelle perception du monde. Les saints et les bienheureux, prophètes de leurs temps et même de tous les temps, Antoine, Augustin, Benoit, Thérèse de l’Enfant Jésus, Charles de Foucauld, Mère Teresa, pour ne citer que cela, étaient des personnes qui, à l’écoute de la voix de Dieu, avaient les pieds dans leur histoire, tout en ayant une nouvelle perception de leur vie. Les réalités leur apparaissent historiquement les mêmes, mais laissant leur intelligence être renouvelée par la lumière divine, leurs rapports aux choses sont devenus nouveaux, la solution qu’ils proposent de la part de Dieu ne relève plus seulement de l’ordre matériel, mais va jusqu’au plus intime de l’homme, parce c’est dans le cœur de l’homme que le mal prend racine.

Voilà pourquoi l’alliance nouvelle que tous les prophètes annoncent n’est pas seulement écrite sur une table de pierre, mais sur la table du cœur. Chacun d’eux exprime cette alliance nouvelle en fonction de son expérience : Saint Augustin pourra dire « Si nous revenons à notre propre cœur, nous trouvons Dieu au fond. », Saint Benoit pourra nous inviter en ces termes « prie et travaille », Thérèse de Lisieux nous réconforte en murmurant que tout est grâce et Mère Teresa, pourra nous inviter à être à l’écoute du cri de Jésus : « j’ai soif ». Ainsi pourront-ils chacun exprimer de leur manière le projet de Dieu pour leur époque. Pour employer un langage paulinien, on dira qu’ils on pris leur part de souffrance dans l’annonce de la Bonne Nouvelle.

Qu’ils aient été écoutés ou pas, de par l’effort de cohérence de vie par rapport à la parole qu’ils ont annoncés, les esprits éclairés ont reconnu en eux les portes paroles de la Vérité. Ainsi n’est pas prophète celui qui a seulement une nouvelle perception du monde, mais celui qui, posant sa tête sur la poitrine du Maitre, coopère avec la grâce de Dieu en incarnant le message prophétique dont il est le porte-parole et le témoin. Sans prétendre définir le profil du prophète, il me semble qu’en ayant pour modèle nos pères dans la foi et surtout en intégrant l’attitude de Jésus vis-à-vis de son peuple, le prophète du 21e siècle devrait être cet homme d’humilité dont la parole, le regard et l’action, éveille les consciences, communique l’amour, la paix et la vie.

Cela ne signifie pas qu’il devient immunisé contre le péché et contre les faiblesses, ou qu’il ne sera plus confronté à des contradictions. Bien au contraire, il fera toujours l’expérience de sa faiblesse, il lui arrivera comme le prophète Jérémie de se plaindre à Dieu, ce qui est tout à fait normal. Mais la force du prophète réside dans le fait qu’après avoir faire l’expérience de sa faiblesse, il retourne en prière comme saint Paul, et là il entend la voix du Seigneur murmurer en ses oreilles, « Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Demandons à Dieu la grâce de faire l’expérience de cette puissance afin que nous soyons les prophètes pour notre temps et surtout que nous sachions reconnaitre ces prophètes qui sont autour de nous, eux dont la vie nous interpelle à plusieurs niveaux.

fr. Elisé Alloko , ocd (Couvent de Paris)
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