Homélie 20° Dim. TO : manger le pain de la vie

Dimanche 16 aout 2015 - 20° dimanche du Temps ordinaire

Textes liturgiques : Pr 9,1-6 ; Ps 33 ; Ep 5,15-20 ; Jn 6,51-51

Frères et Sœurs, J’aurais aimé que nous puissions avoir devant les yeux une grande reproduction de l’icône si célèbre, d’Andrei Roublev. Vous connaissez cette icône dite de « la Sainte Trinité », qui évoque la scène biblique de l’hospitalité d’Abraham, mais dans laquelle demeurent seulement trois anges autour d’une table. Ils occupent les trois côtés de cette table. Le quatrième côté est occupé par celui qui contemple l’icône. De nombreuses méditations spirituelles commentent cette icône comme une invitation lancé à toute personne de venir prendre son repas avec la Trinité Sainte. N’est-ce pas cette réalité qui nous est proposée à chaque eucharistie ? Les lectures de ce jour nous orientent vers cette réalité mystérieuse et pourtant bien réelle.

Il s’agit pour nous de répondre à l’invitation de la Sagesse, telle qu’elle nous est présentée dans le Livre des Proverbes. Elle « a dressé la table » (Pr 9,2). Et elle nous invite : «  Venez, mangez de mon pain, buvez le vin que j’ai préparé » (Pr 9,5). Elle précise qu’elle s’adresse aux étourdis pour qu’il prenne le chemin de l’intelligence (Pr 9,6). Si nous nous sommes rassemblés aujourd’hui, c’est bien pour répondre à cette invitation. Nous venons manger le pain de la vie et boire à la coupe du salut. Notre venue à l’église en ce jour du Seigneur est une réponse à l’invitation de la Sagesse, mais plus encore à l’invitation du Christ Jésus, lui-même, lui la Sagesse incarnée.

Et le pain qui nous est proposé n’est pas uniquement le pain eucharistique. Jésus, citant le livre du Deutéronome avait répliqué au Malin qui le tentait : « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4).

En répondant à l’invitation du Seigneur nous sommes invités à nous rassasier aux deux tables de la liturgie eucharistique : la table de la Parole et la table du Pain eucharistique. C’est l’écoute répétée et attentive de la Parole de Dieu qui nous aide à « quitter l’étourderie […] et à prendre le chemin de l’intelligence » (Pr 9,6). La Parole de Dieu dévoile à nos yeux l’Alliance que Dieu nous propose et elle vient contester ce qui, en nous, s’y oppose. Ainsi la deuxième lecture de ce jour, nous interpelle : « Ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages » (Ep 5,15). « Ne soyez pas insensés  » (Ep 5, 17). Elle nous invite à accueillir le don de l’Esprit Saint (Ep 5,18) et à « rendre grâce à Dieu le Père  » (Ep 5,20). Rendre grâce, c’est faire « Eucharistie ». Dans un très beau texte intitulé La prière de l’Église, Edith Stein évoque la première eucharistie, la Cène du Seigneur et elle écrit : « En ce repas pascal, s’accomplit la greffe des sarments sur la vigne, greffe qui rend possible l’effusion de l’Esprit ». Par l’écoute de la Parole, par la communion au Corps du Christ, nous nous livrons à l’œuvre de l’Esprit Saint qui veut nous unir au Père et à son Fils.

Répondre à l’invitation de la Sagesse, à l’invitation du Christ Jésus, c’est nous laisser entraîner dans l’intimité de la vie trinitaire. « Je suis le pain vivant […] si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 5,51).

Jésus nous dit qu’il est « le pain vivant », lui, le « Verbe fait chair ». Il est Parole et il est Pain. Dans une méditation écrite pour le 6 janvier 1941, Edith Stein écrit : « Le même Sauveur que la Parole de l’Écriture nous met sous les yeux dans son humanité en le montrant sur tous les chemins qu’il a parcourus sur la terre, habite parmi nous caché sous l’apparence du pain eucharistique, il vient à nous tous les jours comme Pain de Vie. Sous ses deux aspects il désire que nous le cherchions et que nous le trouvions. »

Savons-nous chercher et trouver la présence du Christ Jésus dans la lecture et l’écoute de la Parole de Dieu ? Il y a un lien fort entre la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique. Edith Stein écrit : « L’un appelle l’autre. Lorsque nous voyons avec les yeux de la foi le Sauveur devant nous, comme l’Écriture nous le dépeint, alors grandit notre désir de l’accueillir dans le Pain de vie. » Pour signifier cela, l’autel de la chapelle consacrée à sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein) à Breslau (Wroclaw) sa ville natale, a justement la forme d’un livre ouvert ! Est-ce que notre méditation de la Parole de Dieu s’épanouit en désir eucharistique ?

L’Eucharistie par la réception de la Parole qui est semence de vie, par la communion au Corps du Christ, nous donne de participer déjà au corps du Ressuscité. Elle met en nous la semence de la vie divine. « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui » (Jn 6,56).

L’Eucharistie créée entre nous et le Christ Jésus une intimité et une proximité rare. Elle réalise de façon gratuite la promesse de l’Alliance et nous pouvons nous écrier avec la fiancée du Cantique des Cantiques : « Mon Bien-Aimé est à moi » (Ct 2,16). Par l’intimité que crée l’Eucharistie, nous pouvons dire avec saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi  » (Ga 2,20). Par l’accueil de la Parole et du Pain eucharistique, la vie divine resplendit déjà en nous : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle » (Jn 6,54).

La Parole de Dieu écoutée, méditée, ruminée, nous entraîne à la source des eaux vives, vers le Pain de la Vie. Mais la réception de l’Eucharistie, nous entraîne à son tour vers la Parole de Dieu. Dans sa méditation du 6 janvier 1941, Edith Stein poursuit : « Le pain eucharistique à son tour avive notre désir de faire toujours plus profondément connaissance avec le Seigneur à partir de la Parole de l’Écriture, et donne des forces à notre esprit pour une meilleur compréhension. » Ainsi, s’il est bon de se préparer à la célébration de l’Eucharistie en lisant et en méditant les lectures avant de venir à l’église, il peut être profitable pour nous, après avoir communier au Pain de vie, de relire les textes pour mieux les comprendre et les vivre dans le quotidien de nos vies. Faire un va-et-vient constant entre Parole et Eucharistie pour évangéliser les profondeurs de notre être…

« Celui qui me mange, lui aussi vivra par moi  » (Jn 6,57). Jésus nous invite à vivre de sa Vie. À la fin de La prière de l’Église, Edith Stein écrit : « En participant au sacrifice et au repas sacré, en étant nourris de la chair et du sang de Jésus, nous devenons nous-mêmes sa chair et son sang. Et c’est seulement lorsque nous somme membres de son corps, et dans la mesure où nous le sommes en vérité, que son Esprit peut nous vivifier et régner en nous. » Que notre Eucharistie de ce jour, soit donc une épiclèse, un appel à l’Esprit Saint pour qu’il nous transforme et fasse devenir toujours plus participants de la Vie divine.

Participer à l’Eucharistie, c’est croire sans le voir, sans le sentir, que nous vivons déjà de cette intimité à laquelle nous sommes invités par la Trinité Sainte. Invitation à la fois personnelle et communautaire. Car cet invité à la table du Seigneur qui est attendu, espéré par les trois anges, c’est tout autant chacun de nous de manière personnelle et unique, que l’humanité tout entière. Que notre joie de participer sacramentellement aux noces éternelles donne envie à tous nos frères et sœurs en humanité le désir de s’approcher de ce banquet car c’est pour tous, que « la Sagesse a dressé une table ». Alors laissons-nous «  remplir de l’Esprit Saint » pour « chantez le Seigneur et le célébrez de tout notre cœur » (Ep 5,19). Amen.

fr. Didier-Marie de la Trinité, ocd (Couvent de Lisieux)
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