Homélie 3° Dim. Carême : Demander l’eau vive

donnée au Carmel de Lisieux

Dimanche 8 mars 2015 - 3° dimanche de Carême

Textes liturgiques (année A) : Ex 17, 3-7 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42

En ce mois, où nous faisons mémoire du 5e centenaire de la naissance de Thérèse de Jésus (Thérèse d’Avila), née le 28 mars 1515 ; nous avons choisi de prendre les textes liturgiques de l’année A, pour pouvoir entendre l’évangile de la Samaritaine.

Thérèse d’Avila n’avait pas de Bible à sa disposition, mais par des lectures spirituelles, par l’écoute attentive de la liturgie et des homélies, elle a acquis une connaissance exceptionnelle des Écritures. Les spécialistes dénombrent plus de 800 citations explicites ou implicites de la Bible dans ses écrits. Elle évoque au fil des pages plus d’une quarantaine de figures bibliques auxquelles elle s’identifie peu ou prou. Certaines ont une place particulière : c’est le cas de la Samaritaine.

C’est dès son enfance que la jeune Teresa découvre la Samaritaine. Il y avait dans les pièces de réception de la famille, un tableau du Christ au puits de Jacob avec la Samaritaine. Tableau que nous pouvons admirer au musée du couvent de l’Incarnation, car à la mort de son Père, en 1543, Doña Teresa, moniale en ce lieu, le reçut en héritage.

Dans le Livre de la vie, elle nous confie : «  Oh ! si souvent je songe à cette eau vive dont Notre-Seigneur parlait à la Samaritaine ! J’aime tout particulièrement ce passage de l’Évangile. Déjà quand j’étais enfant il en était ainsi et pourtant je ne comprenais pas comme à présent le prix d’un tel trésor. Bien souvent, néanmoins, je suppliais Dieu de me donner de cette eau, et toujours j’avais auprès de moi une image représentant Notre-Seigneur près du puits de Jacob, avec ces mots : Domine, da mihi hanc aquam [Seigneur, donne-moi de cette eau]  » (Vie 30, 19).

Cette pratique de son enfance perdure puisqu’elle indique qu’elle gardait auprès d’elle une image représentant cette scène d’évangile. Avons-nous, nous-mêmes, des scènes évangéliques que nous aimons particulièrement et savons-nous raviver leur souvenir par une image ?

Cette demande de l’eau vive va animer toute la vie spirituelle de Thérèse. Dans le Livre de la vie, elle décrit les diverses étapes de la vie de prière comme quatre manière d’arroser :

  • Il faut d’abord tirer l’eau du puits,
  • Puis l’utilisation de la noria facilite l’arrosage,
  • L’irrigation fait encore mieux,
  • Mais le meilleur arrosage vient de la pluie qui tombe du ciel (Cf. V 11, 7).

Elle reprend cette image de l’eau et de la quête de la source dans le Chemin de perfection. Elle écrit : « Cette source d’eau vive, dont Notre-Seigneur disait à la Samaritaine que celui en boirait n’aurait plus jamais soif !  » (Chemin 19, 2). Cette expression « l’eau vive dont Notre-Seigneur parlait à la Samaritaine » se retrouve dans le livre des Fondations (Fondations 31, 46) ainsi que dans le Château intérieur (VIe Demeures 11, 5).

Mais c’est dans sa méditation sur quelques versets du Cantique des Cantiques, les Pensées sur l’Amour de Dieu, qu’elle développe et précise sa pensée sur la Samaritaine (PAD 7, 6), qu’elle nous présente comme « exemple d’amour du prochain ». Écoutons-là, ses conseils sont précieux pour méditer la Parole et lui donner de porter en nous un fruit de vie. « Que de fois j’ai pensé à cette sainte Samaritaine de l’Évangile, dont le souvenir me revient en ce moment à la mémoire. » Teresa médite souvent cette scène si bien qu’elle habite son univers intérieur et lui revient à la mémoire sans effort.

« Ah ! qu’elle devait être blessée du dard qui se trempe à pareil suc ! Et comme elle avait bien reçu dans son cœur les paroles de Notre-Seigneur, puisqu’elle le quitte lui-même pour le profit et l’avantage de ses concitoyens ! Comme sa conduite fait clairement comprendre ce que je dis ! En retour d’une si grande charité, elle mérita d’être crue et de voir ensuite le grand bien que Notre-Seigneur fit à cette ville. L’une des joies les plus vives qu’on puisse goûter ici-bas doit être, me semble-t-il, de voir qu’on a été utile aux âmes. C’est alors, à mon sens, qu’on mange le fruit délicieux de ces fleurs. Heureux ceux que le Seigneur gratifie de pareilles grâces ! ils sont étroitement obligés de le servir. » Teresa voit dans la Samaritaine une femme en attente, une femme de désir. Elle la décrit comme une écoutante de la Parole. N’est-ce pas là la première qualité du disciple ? être un écoutant de la Parole pour pouvoir la transmettre. Derrière les paroles de Teresa nous sentons vibrer toute la fibre apostolique qui l’anime et dont elle veut animer la vie de ceux qui se mettent à son école. L’écoute attentive et amoureuse de la Parole de Dieu rejaillit en mission apostolique et service de Dieu et de l’humanité !

« Voyez-la, cette sainte femme, en proie à une divine ivresse, parcourant les rues avec de grands cris ! Pour moi, ce que j’admire, c’est que l’on ait cru une femme, et d’une humble condition encore, puisqu’elle allait puiser de l’eau.  » Teresa est attentive à tous les détails du texte ; elle y décèle l’humble condition de la Samaritaine. Elle dénonce subtilement le machisme de son temps où les femmes étaient peu considérées. Elle aime particulièrement les scènes évangéliques où le Seigneur Jésus prête une grande attention aux paroles et aux gestes des femmes…

« Mais comme son humilité était grande !! Lorsque Notre-Seigneur lui découvrit ses fautes, au lieu de s’en offenser, comme on le fait aujourd’hui dans le monde où les vérités sont si difficilement acceptées, elle lui dit qu’il était certainement prophète. » Mais ce qu’elle admire encore plus, c’est l’humilité de la Samaritaine. Cette vertu qui fait partie du célèbre trépied thérésien : Amour fraternel, détachement du monde et humilité (Cf. Chemin 4, 4). Teresa précise même : « Ce point [l’humilité, auquel je ne donne que la dernière place, est cependant le principal, et il embrasse tous les autres  » (Chemin 4, 4). La Samaritaine est une pécheresse qui reconnait ses fautes et s’ouvre ainsi à la miséricorde. Elle est pour Teresa un exemple de conversion. Et grâce à cette conversion, elle devient un véritable témoin : « En fin de compte, son témoignage fut accepté, et, à sa seule parole, une foule de gens sortirent de la ville, se dirigeant vers le Seigneur. »

Teresa donne à tous l’exemple de la Samaritaine. Elle affirme dans un écrit humoristique : « Cela coûterait cher si nous ne pouvions chercher Dieu que lorsque nous sommes morts au monde. Elles ne l’étaient pas la Madeleine, ni la Samaritaine, ni la Cananéenne, lorsqu’elles le trouvèrent » (Vejamen 6).

En ce troisième dimanche de carême, faisons nôtre la prière de Teresa : «  O Vie, qui vivifie tous les êtres ! Ne me refuses pas, à moi cette eau si douce, que tu promets à ceux qui la désirent. Je la désire, Seigneur, je la demande. […] O sources vives, qui jaillissez des plaies de mon Dieu ! avec quelle abondance vous coulerez jusqu’à la fin, pour nous désaltérer ! (Exclamation 9, 2).

Elle nous redit avec force et conviction : « Songez que le Seigneur invite tout le monde. […] Je regarde comme certain que tous ceux qui ne resteront pas en chemin recevront cette eau vive. Daigne Celui qui nous la promet nous donner sa grâce pour la chercher comme il faut parce qu’il est le Seigneur ! » (Chemin 19, 15).

fr. Didier-Marie de la Trinité, ocd (Couvent de Lisieux)
Revenir en haut