Homélie 3° dim. Avent : de la déception à la joie !

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques du 3e dimanche de l’Avent (année C) : So 3,14-18 ; Is 12 ; Ph 4,4-7 ; Lc 3, 10-18

Avez-vous perçu comme un décalage ? Un décalage entre l’attente des foules auprès du Jourdain et les réponses de Jean-Baptiste. Ce décalage est d’ailleurs double : il concerne à la fois l’identité de Jean et son message. « Tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ » précise l’évangéliste saint Luc. A cette époque de forte attente messianique, il n’était pas idiot de penser que Jean pouvait être le Messie de Dieu, le Christ. Mais, non, Jean met fin au suspense : il n’est pas celui qu’ils croient … mais il est là pour annoncer celui qu’ils attendent. 1er décalage donc : erreur de casting ! Le 2e décalage qui vient avant dans le texte porte sur le message de Jean. « Que devons-nous faire ? » demandent par trois fois les foules puis les publicains et les soldats. Et Jean de répondre par des consignes de partage, de justice et d’honnêteté : partager ses biens avec ceux dans le besoin, ne pas abuser de son pouvoir, ne pas spolier les autres. Honnêtement, il y a de quoi être déçu. Aucun scoop ! Jean ne semble redire que le message des prophètes qui le précèdent. Et en plus, il n’est même pas le Messie. Les amateurs de nouveautés ont dû tomber de haut : est-ce cela une bonne nouvelle ? où est donc la nouveauté préfigurée par ce geste étrange du baptême ?

Décalage entre les attentes des foules et les réponses de Jean, entre l’imagination humaine et ce que Dieu propose. Et ce décalage provoque la déception : nous sommes bien loin de la promesse de joie annoncée par Sophonie ! D’où jaillit donc la joie de la Bonne Nouvelle, de l’Evangile ? En fait, Jean en montre clairement le chemin : la joie de l’Evangile passe par une conversion du cœur. Les foules imaginaient certainement devoir faire des choses grandioses, des exploits incroyables face au supposé Messie : mais « que devons-nous faire ? » Et Jean les renvoie à leur devoir d’état. Ainsi il démasque ce que leur attente pouvait avoir d’égocentrique : nous allons faire des choses pour Dieu pour montrer que nous sommes des gens bien et que nous méritons sa venue. Comme si l’accueil du Seigneur supposait quelque action héroïque pendant un temps court au lieu de l’humble conversion du quotidien ?

Ceci peut nous interpeller aujourd’hui : nous vivons dans une époque qui fonctionne de plus en plus à court terme et avec de l’évènementiel. Il faut donc réagir en permanence aux sollicitations et évènements en inventant des pratiques ou des propositions originales qui ne le seront que pour un temps. Car après bien sûr, on se lassera. Mais Dieu serait-il dupe de nos élans de générosité s’ils ne conduisent pas à un engagement durable de prière et de vie chrétienne ? Si nous cherchons en permanence le spectaculaire, ce qui fait le ‘buzz’, comment allons-nous accueillir le Seigneur qui ne vient pas sur les plateaux Télé ou sur Facebook ? Il vient dans la pauvreté de la crèche de Bethléem !

« Le Seigneur ton Dieu est en toi » dit le prophète Sophonie à Jérusalem. Inutile de le chercher où il n’est pas. « Le Seigneur est proche » parce qu’au fond il est déjà-là, tout proche de nous, au centre de nous-mêmes. Et c’est bien de là que va jaillir la joie. C’est bien ici que nous allons puiser les eaux du salut. La déception des foules qui peut être la nôtre est certainement le passage nécessaire pour corriger notre attente. Ce décalage ouvre nos yeux à la présence cachée du Messie parmi nous, lui qui vient sans faste ni majesté, humble et discret. La joie qui nous est proposée par le Seigneur en ce dimanche est celle des pauvres. Les riches seront déçus car le Roi des Rois ne leur ressemble pas. Il ne viendra pas dans les palais d’Hérode mais sa cour sera formée de pauvres bergers marginaux ; et c’est là qu’il fera éclater la joie, joie de la terre et joie du ciel ensemble.

Heureux décalage donc qui nous conduit aux sources de la joie véritable. Le Pape François nous fait une invitation en ce sens au début de la Joie de l’Evangile (§3) : « J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui, parce que « personne n’est exclu de la joie que nous apporte le Seigneur ». Celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit pas, et quand quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts. C’est le moment pour dire à Jésus Christ : « Seigneur, je me suis laissé tromper, de mille manières j’ai fui ton amour, cependant je suis ici une fois encore pour renouveler mon alliance avec toi. J’ai besoin de toi. Rachète-moi de nouveau Seigneur, accepte-moi encore une fois entre tes bras rédempteurs ». Cela nous fait tant de bien de revenir à lui quand nous nous sommes perdus ! J’insiste encore une fois : Dieu ne se fatigue jamais de pardonner, c’est nous qui nous fatiguons de demander sa miséricorde. »

Voilà une parole forte pour quitter nos déceptions et laisser tomber nos fausses images sur Dieu. Le Seigneur nous demande de venir simplement à Lui tels que nous sommes, sans jouer un personnage. Et c’est particulièrement vrai en ce jour où à Paris, s’ouvre l’année de la miséricorde. « Éprouver fortement en nous la joie d’avoir été retrouvés par Jésus, qui comme Bon Pasteur est venu nous chercher parce que nous nous étions perdus : tel est l’objectif que se donne l’Église en cette Année sainte. » a précisé le Pape mercredi dernier lors de sa catéchèse.

« Que devons-nous faire ? » : simplement passer la porte pourrait-on répondre. Passer une des 8 portes jubilaires de Paris pour exprimer notre désir de conversion et notre volonté de vivre l’Evangile au jour le jour. Rien de révolutionnaire vu de l’extérieur mais un moyen donné par l’Eglise pour opérer la révolution des cœurs ! Voilà la révolution utile et voilà ce que le Seigneur attend ! Car si nous avons des attentes, nous pouvons aussi réfléchir aux attentes de Dieu : qu’est-ce que le Seigneur attend de notre monde ? qu’attend-il de moi en ce temps d’Avent ? Nul doute que le Père miséricordieux n’attend qu’une chose : nous faire goûter sa joie divine, celle qui ne trompe pas.

Frères et sœurs, si nous sommes décalés dans nos attentes imaginaires, décidons-nous à nous remettre en route et ne décevons pas l’attente de Dieu : passons la porte de la maison du Père et courrons nous blottir dans ses bras miséricordieux. Amen

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)
Revenir en haut