Homélie 4° Dim. Carême : venir à la lumière

donnée au couvent de Paris

Dimanche 15 mars 2015 - 4° dimanche de Carême

Textes liturgiques : 2Ch 36 ; 14-23 ; Ep 2, 4-10 ; Jn 3, 14-21

Le dimanche que nous célébrons marque une étape dans le Carême. A partir de demain les évangiles des messes de semaine seront pris dans l’évangile selon st Jean, dans l’ordre des chapitres. Seuls quelques miracles seront rapportés, et les paroles de Jésus tiendront beaucoup plus de place. Aux juifs qui l’interrogent sur son identité, Jésus répond en affirmant de multiples manières la relation unique et mystérieuse qui l’unit à son Père et en demandant à ses interlocuteurs qu’ils lui fassent confiance et croient en sa parole. La toile de fond de ces dialogues, qui sont des dialogues de sourds, est celle de la mort de Jésus.

Jésus nomme trois intervenants, lui-même sous le titre de « Fils de l’homme », ou de « Fils », le Père, son Père, enfin le monde, les hommes appelés à croire en lui, nous-mêmes. En quelques phrases, la première partie de l’évangile de ce jour récapitule et annonce les discours de Jésus. « Comme le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, en signe de guérison pour ceux qui croiraient en la parole de Moïse, il faut que le Fils de l’homme soit élevé ». Nous savons qu’il s’agit de l’élévation de Jésus sur la croix. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que tout homme qui croit obtienne la vie éternelle, et que le monde soit sauvé ». Les mots forts ici employés sont familiers à la plupart d’entre nous ainsi que les vérités fondamentales qui sont énoncées. Nous le croyons globalement : Dieu nous aime, il a manifesté son amour par l’envoi de son Fils parmi nous pour que par la foi en lui nous obtenions la vie éternelle et soyons sauvés. Et nous savons que cette vie éternelle ne désigne pas seulement quelque chose que nous vivrons après la mort. Elle est la participation à la vie de Dieu qui nous est donnée dès maintenant par la foi en Jésus mort et ressuscité pour nous. Tout cela nous le connaissons et nous y croyons.

Comment alors échapper, en entendant cet évangile, à l’impression du déjà vu et connu, et à l’usure de la répétition ? Comment accueillir ces paroles de Jésus comme des paroles vivantes qui, même si elles ont été maintes fois entendues, ont le parfum du nouveau, comme les paroles d’un amour toujours neuf ? A cette question on peut répondre de bien des manières, à commencer par un appel à avoir l’esprit et le cœur éveillés et ouverts.

Le début de l’évangile de la rencontre avec Nicodème, non reproduit dans le texte de ce jour, nous indique toutefois une ligne fondamentale. Nicodème est un pharisien, un homme qui connait très bien la Loi de Moïse et s’applique à la mettre en pratique. C’est un homme d’expérience, un notable qui fait partie du gouvernement du Sanhédrin. Il est venu trouver Jésus de nuit, sans doute a-t-il peur de ses collègues qui n’ont guère de sympathie pour Jésus, mais lui en a. Dans un esprit d’ouverture il engage la conversation : « Maitre, nous savons que tu es un maitre qui vient de la part de Dieu, car personne ne peut faire les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui  ». Mais Jésus a répondu solennellement comme s’il ne tenait aucun compte de ce que Nicodème venait de dire : « En vérité, je te le dis, nul s’il ne nait de l’eau et de l’Esprit ne peut entrer dans le Royaume. Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit ». Et à la dernière question de Nicodème « Comment cela peut-il se faire ? » Jésus a simplement répondu : « Tu es maitre en Israël et tu ne connais pas ces choses.  » Que pouvons comprendre à travers cet échange ?

La bonne volonté d’un homme comme celle de Nicodème, son expérience de la vie, le savoir qu’il possède des vérités de la religion, tout son acquis humain, si bon et important soit-il, reste court, radicalement insuffisant pour entrer dans la communion de vie avec Dieu, symbolisée par le Royaume de Dieu. Tout cet acquis peut même être un obstacle si nous pensons qu’il est suffisant et si nous mettons notre confiance en cet avoir au lieu de la mettre en Jésus-Christ. Ce qui revient à se faire petit comme un enfant, à renaitre à une vie nouvelle donnée gratuitement par la foi et le baptême. Il s’agit de faire confiance à Quelqu’un, à Jésus, à travers ses actes et ses paroles que nous ne comprenons pas totalement. Cela demande de lâcher nos sécurités humaines et de ne pas nous laisser arrêter par nos peurs d’un avenir où il nous serait trop demandé à notre goût et où nous perdrions les commandes de notre vie. C’est alors que se déploie la lumière «  Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que tout homme qui croit obtienne la vie, la vie éternelle  ».

Voilà qui nous permet d’entrevoir la signification de la suite des paroles de Jésus qui sont difficiles à entendre. « Celui qui croit échappe au jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé du fait qu’il n’a pas voulu croire. Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ». Pourquoi refuserions-nous la lumière ? De quoi avons-nous peur ? « Les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ». Nous avons tous peur d’être vus comme mauvais et coupables. Nous ne voulons pas que les autres découvrent les zones d’ombre qui sont en nous. Nous les cachons derrière de bonnes apparences. Nous ne voulons pas que nos mauvaises actions soient mises en lumière parce que nous avons peur d’être rejetés, avec toutes nos faiblesses et nos limites. Nous ne pouvons accepter notre pauvreté et notre vulnérabilité que lorsque nous nous savons aimés tels que nous sommes. Quand nous comprenons que nous n’avons pas besoin d’être intelligents, forte et savants, alors nous pouvons vivre dans la vérité, venir à la lumière et nous laisser conduire par l’Esprit de Dieu sur le chemin de la vie avec Dieu. Nous sommes délivrés de la peur. « Celui qui fait la vérité vient à la lumière afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu. »

Carême, chemin pour renouveler notre foi, pour choisir de croire plus profondément à l’amour de Dieu offert en Jésus-Christ. Chemin d’humilité pour reconnaitre nos peurs et les offrir au Seigneur. Chemin à parcourir en Église, avec les chrétiens du monde entier, en nous ouvrant à la joie de l’Esprit Saint qui habite notre cœur.

fr. Dominique Sterckx, ocd (Couvent de Paris)
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