Homélie 5° Dim. Carême : voir Jésus

donnée au couvent de Paris

Dimanche 22 mars 2015 - 5° dimanche de Carême

Textes liturgiques : Jr 31, 31-34 ; Ps 50 ; He 5, 7-9 ; Jn 12, 20-33

« Nous voudrions voir Jésus ». Telle était le souhait de ces païens qui avaient effectués le déplacement jusqu’à Jérusalem. Est-ce par curiosité ou parce qu’ils avaient la foi ? On ne saurait le dire. Mais tout compte fait, foi et curiosité ne s’excluent pas. Animés peut être par la curiosité de la foi, ils ont écouté la voix de leur cœur et ils ont voulu voir Jésus. N’est-ce pas là l’accomplissement de la prophétie faite par le prophète Jérémie dans la première lecture : « Je mettrai ma loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur…tous me connaitront, des plus petits jusqu’aux plus grands  ». Oui, le désir de Moïse suppliant Dieu de faire de son peuple un peuple de prophètes est traduit en prophétie par Jérémie et se réalise dans ces païens qui écoutant la voix de leur cœur, veulent voir Dieu.

Comme ces païens, chacun de nous est habité par ce désir avoué et parfois inavoué de vouloir voir Dieu quelle que soit l’idée qu’on se fait de Lui. Comme le dit Saint Augustin, les idées que nous nous faisons de Dieu divergent. Elles peuvent nous tromper et même s’entrechoquer d’une personne à une autre, d’une communauté à une autre, mais le sentiment intime de vouloir voir Dieu et de vouloir retrouver notre origine première, ne peut jamais nous tromper. Il est le même en tout cœur. Même ceux qui aspirent au suicide expriment consciemment ou inconsciemment le désir de voir Dieu et de se reposer en lui afin d’être déchargé de la complexité de leur existence.

Oui la prophétie de Jérémie s’est vraiment réalisée parce que le désir de Dieu habite véritablement le cœur de tous, et c’est au nom de ce désir que vous et moi sommes ici. C’est aussi au nom de ce désir que d’autres ont choisi d’être ailleurs, parce que les chemins du Seigneurs sont multiples, mais le désir du repos en lui est unique et habite tous les cœurs. Ce désir a parfois besoin de la communauté chrétienne déjà constituée pour être éclairé comme Philippe et André l’ont fait pour ces païens, et dans d’autres cas Dieu lui-même sait utiliser d’autres moyens pour l’éclairer sans passer par la communauté constituée, parce que tous les chemins de Dieu mènent à Pâques.

En poursuivant notre lecture, on pourrait se demander quelle serait l’attitude de ces païens lorsqu’ils verront Jésus. En tant que grecs, ils sont habités par l’idée d’un dieu puissant et fort. Et voici que selon l’évangéliste Jean, dans leur désir de voir Dieu, ils se retrouveront en face d’un Jésus bouleversé, en plein dialogue à l’intérieur de lui-même face à la mort. Comme ces grecs, nous avons aussi entendu parler de Jésus, ce prophète puissant par la parole et par les actes. Mais très souvent notre désir de voir Dieu en lui se heurte à sa passion. Nous cherchons sa gloire, et lui nous montre le chemin de la croix. Scandale et folie ! Perturbation et aberration ! Trouble et incompréhension pour les hommes de raisons que nous sommes. Comment voir Dieu dans ce Jésus dont l’âme est si bouleversée en ce jour ?

Telle est une des questions qui peut nous habiter ce dimanche. En empruntant au P. Marie Eugène ses lunettes, peut être que nous pourrions nous aussi voir Dieu en cette homme dont l’âme est bouleversée. En effet en y regardant de près on se rend compte que l’expérience d’angoisse que vit Jésus, est pour nous une expérience fondatrice qui nous éduque à voir Dieu, dans toutes les circonstances de notre vie et même dans les situations les plus douloureuses. Angoissé par la peur de la souffrance, Jésus nous apprend que la souffrance peut être aussi un chemin qui mène à Dieu. Il ne s’agit pas d’être un adepte du dolorisme et de chercher à voir la souffrance partout, parce que la souffrance, Jésus ne va pas la chercher, mais il s’agit de l’assumer. La peur de souffrir, a été pour Jésus, le lieu d’un dialogue avec Dieu car son expérience la conduit à savoir décrypter la présence de Dieu dans chacun de ses états d’âme. Voilà pourquoi sa souffrance assumée comme nous le dit St Paul dans la deuxième lecture est devenue pour lui l’espace d’un apprentissage à l’obéissance et d’une école de la perfection.

Compris dans ce sens, la souffrance elle-même ne devient plus absurdité, mais le lieu d’une révélation, d’un face à face avec nous-même et d’une intimité avec Dieu. Si la douleur ne dépend pas forcément de nous, le fait de souffrir ou de ne pas souffrir peut dépendre de nous. A la suite de Jésus et avec la grâce de Dieu, nous pouvons donc transformer les souffrances que nous imposent les vicissitudes de la vie en chemin de lumière et de rencontre. Alors, le bouleversement de notre âme ne sera plus l’expression de l’aigreur et du ressentiment, mais celle de l’élévation et de la quiétude. Car nous saurons dire avec Job, «  si nous accueillons le bonheur comme un don de Dieu, pourquoi ne pas accepter le malheur. » Aussi faut-il remarquer que cette peur de la souffrance est généralement accompagnée de l’angoisse de la mort. Mais là encore l’expérience de Jésus est révélatrice. Elle nous montre que la séparation d’avec notre corps et d’avec ceux que nous aimons, nous découvre le visage réel de Dieu. Cela n’est pas une simple loi de la nature, mais une dimension du mystère d’amour de Dieu qui voudrait que le grain de blé puisse d’abord connaitre la chaleur de la terre avant de porter du fruit. Si l’angoisse de la mort nous rappelle notre finitude, le désir de voir Dieu nous rappelle notre participation à l’éternité de Dieu c’est dire notre glorification : « je l’ai glorifié et je le glorifierai toujours. »

fr. Elisé Alloko, ocd (Couvent de Paris)
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