Homélie 6° Dim. Pâques : le nouveau langage de l’amour

donnée à Notre Dame des Victoires

Dimanche 10 mai 2015 - 6° dimanche de Pâques

Textes liturgiques : Ac 10,25-48 ; Ps 97 ; 1Jn 4,7-10 ; Jn 15,9-17

Il y a quelque chose de terrible dans notre langue française … Nous n’avons qu’un seul verbe pour décrire deux actions sans commune mesure : aimer Dieu ou aimer une page Facebook. Le Français a beau avoir la réputation d’être la langue de l’amour, il faut reconnaître sa pauvreté par rapport à d’autres langues comme l’anglais ou l’espagnol. Cela ne nous aide pas à voir clair dans ce qu’est vraiment l’amour. La 1re lettre de saint Jean vient heureusement à notre secours : « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés. » La réponse à ce qu’est l’amour ne se trouve donc pas du côté humain : ce n’est pas parce que nous voulons aimer que nous savons aimer. C’est Dieu qui nous dévoile ce qu’est l’amour puisque « Dieu est amour ». En d’autres termes, si nous voulons savoir ce qu’est l’amour véritable, il nous faut connaître Dieu ; connaître, non pas au sens purement intellectuel mais au sens biblique : connaître, c’est faire l’expérience avec son cœur, son intelligence, sa volonté et sa sensibilité. « L’amour vient de Dieu. » En nous tournant vers Dieu, nous nous tournons donc vers la source de tout amour véritable.

Cette recherche de l’amour divin n’est heureusement pas une quête ésotérique réservée à un petit nombre d’initiés ou à certains clubs d’élites. En effet, l’Amour s’est lui-même manifesté. Il a été exposé sous nos yeux et ceux de toute l’humanité, sur la croix : Dieu « a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. » « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés » dit Jésus à chaque personne humaine. Pour toi, j’ai donné ma vie, avant même que tu me connaisses. «  Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Voilà l’objectivité de l’amour. L’amour que Dieu nous révèle n’est pas une idée, un concept ; ce n’est pas non plus un sentiment éphémère ou une passion furtive. C’est un fait historique, celui d’une vie donnée gratuitement, le prix d’une existence livrée. L’amour peut se dire par des paroles mais il se vérifie, il s’éprouve par des actes.

Dans son Manuscrit C où Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus médite sur le mystère de la charité, elle affirme : « ce n’est pas assez d’aimer, il faut le prouver. » (C 15v°) Et ce besoin de prouver son amour à Jésus habite le cœur de la carmélite : « Mon cœur ardent veut se donner sans cesse. Il a besoin de prouver sa tendresse. (… ) C’est à toi seul, Jésus, que je m’attache. C’est en tes bras que j’accours et me cache, Je veux t’aimer comme un petit enfant, Je veux lutter comme un guerrier vaillant. » (P 36, 1.3) Thérèse veut aimer, elle veut prouver son amour au Bon Dieu. Mais comment fera-t-elle ? Elle le dit elle-même dans le manuscrit B que je cite longuement : « Oui mon Bien-Aimé, voilà comment se consumera ma vie… Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour, que de jeter des fleurs, c’est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole, de profiter de toutes les plus petites choses et de les faire par amour… Je veux souffrir par amour et même jouir par amour, ainsi je jetterai des fleurs devant ton trône ; je n’en rencontrerai pas une sans l’effeuiller pour toi… puis en jetant mes fleurs, je chanterai, (…) je chanterai, même lorsqu’il me faudra cueillir mes fleurs au milieu des épines et mon chant sera d’autant plus mélodieux que les épines seront longues et piquantes.  » (B 4r-v°)

Prouver son amour à Jésus en jetant des fleurs, c’est-à-dire en se servant de tous les petits évènements de sa vie, joyeux ou douloureux, pour tout rapporter à Dieu, dans l’action de grâces ou dans la supplication. Prouver son amour à Jésus, c’est dire un grand OUI à la vie, en la vivant avec le Seigneur. C’est comprendre que j’ai reçu assez d’amour de la part du Seigneur pour vivre ce que j’ai à vivre, même si c’est difficile. Car l’amour dont parle Thérèse, ce n’est pas de la mièvrerie, c’est la traversée du vide et de la souffrance, c’est le service quotidien de la sœur qu’elle ne peut pas voir en peinture, c’est la nuit de la foi vécue par amour de ceux qui n’ont pas la foi. « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même. » (P54,22) Voilà à quel amour nous sommes tous appelés !

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Le Christ ne nous a pas aimés à moitié ou sur le bout des lèvres. Si nous demeurons dans son amour, si nous choisissons de devenir ses amis, nous nous engageons sur le chemin de l’amour véritable. Bien sûr, c’est un chemin : l’amour véritable s’apprend. Mais il ne faut pas craindre. Le Seigneur use d’une pédagogie adaptée à chacun : il nous donne ce dont nous avons besoin et ne nous demande pas plus que ce que nous pouvons donner comme amour. Il éclaire aussi notre intelligence comme nous le voyons dans la 1re lecture : le bon Juif qu’est Pierre découvre en visitant le centurion Corneille que l’amour de Dieu ne se limite pas à Israël mais que son salut concerne l’univers païen. « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » L’Esprit Saint l’éclaire pour lui faire approfondir ce qu’est l’amour et le conduire à décider de baptiser Corneille et les siens. Voilà ce qu’est le chemin de l’amour véritable. Il consiste à décider d’aimer Jésus en cherchant à le connaître. Il consiste à choisir de se laisser guider par son Esprit pour mieux comprendre ce que veut dire aimer les autres, comme Lui nous a aimés. Il consiste enfin à prouver concrètement notre amour par une mise en pratique de l’amour du prochain dans les petites occasions du quotidien : dans ma famille, ma communauté, au travail, dans ma paroisse, dans le métro.

Et c’est comme cela que nous deviendrons les témoins de l’amour véritable. Le Christ nous a choisis et établis pour que nous partions et portions du fruit. Il nous envoie témoigner de son amour, c’est-à-dire enseigner aux autres ce qu’est l’amour véritable. Mais cet amour ne s’enseigne pas tant par des paroles que par des gestes, des gestes désintéressés et gratuits qui montrent que l’amour qui les habite ne vient pas de nous mais de Celui qui est Amour, Dieu. Ce que ne peut traduire notre langue française, il faut donc inventer une nouvelle langue, celle des gestes de l’amour. Jésus nous a laissé un exemple, celui du lavement des pieds. A nous de faire de même et d’en trouver de nouvelles expressions, pour que l’amour soit dit de multiples manières. Et aussi pour que ses contrefaçons soit dénoncées par contraste.

« Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » Frères et sœurs, rendons grâces d’avoir été choisis par le Christ pour devenir ses amis et pour connaître ce qu’est l’amour qui ne déçoit pas. Demandons à l’Esprit Saint la grâce de ne pas défigurer cet amour mais d’en être les fragiles icônes. Amen.

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd (Couvent de Paris)

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