Homélie 6° Dim. T.0. : Jésus devient lépreux pour nous

donnée au couvent de Paris

Dimanche 15 février 2015 - 6° dimanche du Temps Ordinaire

Textes liturgiques : Lv 13,1-2.45-46 ; Ps 31 ; 1 Co 10,31 – 11,1 ; Mc 1, 40-45

« Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! » chantait le psaume. Certes nous sommes certainement d’accord avec cette béatitude mais d’où vient-elle ? Quel est son rapport avec les autres textes, puisque le psaume est toujours choisi en rapport avec eux ? Or il n’est pas question de faute et de péché dans les deux lectures ni dans l’évangile. A moins que … en regardant de plus près, il y ait un autre niveau de lecture, plus fin, plus symbolique de l’évangile …

Les Pères de l’Eglise ne s’y sont pas trompés, eux qui ont souvent fait des catéchèses sur le salut à partir de l’image de la lèpre et de sa guérison. Regardons si cela fonctionne… La lèpre symbolise pour eux le péché : la détérioration du corps produite par la lèpre est le signe de la mort introduite par le péché des origines. En effet, les textes bibliques soulignent deux effets de la lèpre qui permettent de la rapprocher du péché : son premier effet est de déformer le corps de celui qui en est atteint, en lui faisant perdre son intégrité mais aussi sa beauté. Or qu’est-ce que le péché sinon une défiguration ? L’être humain, dit le livre de la Genèse, a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,26) : il possède donc une dignité et une beauté incomparables. Et pourtant, le péché a changé la donne : l’homme et la femme demeurent des êtres créés à l’image de Dieu ; ils conservent une dignité inaltérable car Dieu demeure leur Créateur. Mais le péché leur a fait perdre la ressemblance et les a défiguré. En d’autres termes, notre nature humaine telle que nous la voyons n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être ; il y a une déformation. Le Lévitique qui prescrit au lépreux de porter des vêtements déchirés et les cheveux en désordre manifeste cela symboliquement.

Deuxième effet de la lèpre, la séparation. En étant déclarée impur par la Loi, dans le livre du Lévitique, la personne atteinte de lèpre, selon ses diverses modalités, doit être tenue à l’écart des autres. Marquée physiquement par la mort, elle est séparée des vivants, condamnée à une vie d’exclu avec les autres lépreux. Or qu’est-ce que le péché sinon une rupture de relation ? Quand Adam et Eve prennent le fruit de l’arbre et désobéissent à Dieu, toutes leurs relations se gâtent : relations avec Dieu dont ils ont peur, relation entre eux avec l’accusation mutuelle, relation envers eux-mêmes avec la honte de la nudité et relation à la terre avec l’apparition de la douleur et du labeur. Le péché brise nos relations en nous repliant sur nous-mêmes : l’homme pécheur, c’est l’homme replié sur lui-même, l’homme recourbé.

L’être humain qui se découvre pécheur reconnaît donc cette double dimension : il est défiguré dans sa dignité ; il est blessé dans ses relations. Là est le point de départ de tout chemin de conversion : reconnaître que nous avons besoin d’être guéris et que notre lèpre ne partira pas seule. C’est la démarche de ce lépreux : il vient poser un simple mais radical acte de foi dans la puissance d’action de Jésus. « Si tu le veux, tu peux me purifier. » La guérison de notre péché ne se fait pas sans nous : cela suppose une démarche volontaire, comme dans le sacrement de réconciliation. Alors la parole de Dieu opère ce qu’elle dit. Jésus dit et cela est : « ‘Je le veux, sois purifié.’ À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. » Mais Jésus n’a pas fait que parler ; il a aussi touché le lépreux, contractant ainsi une impureté rituelle. Belle image du salut en miniature : si Dieu nous a créés par sa parole, il ne nous a pas sauvés par une parole distante. Sa Parole s’est faite chair, son Verbe a assumé notre humanité impure : l’Agneau immaculé a touché notre impureté et a mangé au milieu des pécheurs. Il a traversé la séparation de l’impur et du pur et l’a aboli définitivement sur le bois de la croix (Ep 2,14-16).

Le salut apporté par Jésus recrée ce que le péché avait détruit dans ses deux effets. D’abord Jésus fait disparaître nos difformités et nous redonne forme et beauté : peu à peu, en le fréquentant dans la prière et les sacrements, son corps touche le nôtre, son amitié nous remodèle et nous devenons des êtres nouveaux, rayonnants de sa beauté ; nous faisons peau neuve et vivons déjà de sa Résurrection. Deuxième effet, le salut de Jésus recompose nos relations : le lépreux, en étant guéri de sa lèpre, retrouve une vie sociale. Jésus s’empresse en effet de le renvoyer avec fermeté pour qu’il ne devienne pas son esclave chéri, un être qui n’a jamais appris à être libre et autonome et cherche une protection affective. Le Christ fait confiance dans la capacité de cet ex-lépreux à devenir un être capable de vivre en société. Il en est de même pour nous : le salut ne fait pas que guérir notre relation à Dieu et ne nous appelle pas à vivre en dehors du monde. Si nous sommes sauvés, cela doit se traduire dans la transformation concrète de nos relations ; et cette transformation de nos relations sera le plus beau témoignage qui soit pour le monde !

Pourtant nous voyons avec le lépreux que le salut n’est pas un coup de baguette magique qui nous transforme instantanément ! Si le lépreux est guéri, il n’obéit pas à Jésus : sa capacité d’écoute reste blessée. Il n’accomplit pas ce qu’il doit faire et provoque du vacarme autour de Jésus. A cause de cela, le Christ doit se tenir « à l’écart, dans des endroits déserts. » « A l’écart », mystérieuse inversion : le lépreux est réintroduit dans une vie sociale, et Jésus est contraint de prendre la place du lépreux. « C’est pourquoi il habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp » dit le Lévitique. Ne peut-on pas voir là symboliquement ce que fait Jésus, l’Agneau de Dieu ? Il n’enlève pas le péché du monde comme on soulève un objet ; il prend sur lui notre péché. « Or c’était nos péchés qu’il portait » dit Isaïe du serviteur souffrant (Is 53). Tout en demeurant sans péché, Jésus devient lépreux pour nous ; il prend notre place et mourra en effet à l’écart, sur une croix en dehors de Jérusalem. Il sera rejeté de presque tous, exclu et son corps sera défiguré sur la croix, jusqu’à perdre apparence humaine. Là s’arrête la lecture symbolique : nous ne sommes plus ici dans l’image mais dans la réalité : le salut a un prix, celui de la vie de Jésus. Voilà ce qu’a fait l’Amour pour chacun et chacune d’entre nous. Si nous sommes des êtres nouveaux par le baptême, c’est par la vie donnée de Jésus.

Face à ce trop grand amour, «  que devons-nous faire ? », demandaient les premiers auditeurs de l’annonce du salut dans les Actes des Apôtres (2,37) ? La réponse est dans la 2e lecture : « tout ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu.  » Ne cherchez pas votre « intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés » eux aussi. Nous devons être à notre tour des témoins du salut reçu ! Si l’impureté de la lèpre est contagieuse, l’amour du Christ l’est bien davantage. Prouvons-le par notre vie.

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau ocd (Couvent de Paris)
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