Homélie Baptême du Seigneur (B) : un agneau en colère ?

donnée au couvent de Paris

Dimanche 11 janvier 2015 – Baptême du Seigneur

Textes liturgiques : Is 55, 1-11 ; Is 12 ; 1 Jn 5, 1-9 ; Mc 1, 7-11

Le psaume que nous avons chanté aujourd’hui est un cantique de libération tiré du douzième chapitre du livre d’Isaïe. Rappelons-nous la parole d’action de grâce qui ouvre ce cantique : « Seigneur, je te rends grâce : ta colère pesait sur moi, mais tu reviens de ta fureur et tu me consoles  » (Is 12, 1). Ainsi, dans son chant, le prophète Isaïe commence par faire résonner l’un de ces mots de la Bible que nous avons parfois du mal à entendre : la colère, la fureur de Dieu. Nous pouvons bien tenter d’exécuter la pirouette qui consiste à croire que ces mots appartenaient à l’Ancien Testament, mais que le Nouveau nous a fait passer à autre chose… Oui, nous pouvons faire cette tentative d’esquive, mais cela n’est pas très sérieux, en fait. D’abord parce que cette opposition frontale entre Ancien et Nouveau Testament ne rend pas justice à la cohérence de la Révélation – sans parler du fait qu’elle risque de conduire à ignorer le mystère d’Israël. Mais en plus, le Nouveau Testament lui-même ne s’achève pas sans avoir mentionné la colère de Dieu et la colère de l’Agneau, dans l’Apocalypse : « Tombez sur nous et cachez-nous du regard de celui qui siège sur le trône et de la colère de l’Agneau. Car il est venu le grand jour de leur colère, et qui pourrait tenir ? » (Ap 6, 16-17).

Justement, l’Agneau de Dieu est celui que Jean Baptiste voit aujourd’hui venir au Jourdain pour y être baptisé par lui. C’est Jésus, le nouveau-né de la crèche auprès de laquelle nous demeurons depuis le début de ce temps de Noël, qui va s’achever ce soir. Mais comment craindre la colère d’un nouveau-né ? comment craindre la colère d’un agneau ? Aussi paradoxal et même choquant que cela puisse paraître, l’innocence et la pureté peuvent susciter le malaise : n’en avons-nous pas l’expérience ? Bien sûr, le visage de l’autre me répète : « Tu ne tueras pas ». Mais le visage innocent de l’autre est aussi capable de mettre en lumière mes zones d’ombre, et c’est cela qui peut me paraître insupportable, jusqu’à me faire connaître la tentation de vouloir tourner le dos ou supprimer celui qui me révèle mes propres compromissions avec le mal. L’irruption de l’innocence, le surgissement de Dieu dans notre vie de pécheurs peut être éprouvé par nous comme une violence, comme le déferlement d’une colère. Mais ce sentiment est le signe de notre décalage vis-à-vis de Dieu, le signe de notre enfermement qui peut nous conduire à préférer nous détruire nous-mêmes – l’enfer, en réalité, ce n’est pas tant être soumis à la colère d’un autre que se déchirer soi-même.

Lorsque Jésus, lui, entend la voix du Père, il l’entend sans aucune déformation, car son oreille est au diapason de la voix de Dieu. Jésus accueille la voix du Père dans une humanité entièrement disposée à recevoir le don de Dieu. Alors, nulle violence dans la manifestation de Dieu éprouvée par Jésus : l’Esprit vient reposer sur Jésus à la manière d’une colombe, c’est-à-dire en un mouvement paisible et gracieux. Les mots qu’il entend ne sont pas des paroles de colère, mais une déclaration de paix, l’expression du bonheur de Dieu lui-même : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi, je trouve ma joie ». En la personne de Jésus, il nous est révélé qu’il est possible que Dieu trouve sa joie en notre humanité. Bien plus encore, en la personne de Jésus, il nous est donné cette grâce que Dieu trouve en nous sa joie. Justement, la délivrance que chante le prophète Isaïe dans son cantique, c’est le salut : « Voici le Dieu qui me sauve : j’ai confiance, je n’ai plus de crainte. Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ; il est pour moi le salut ». Le salut : pour nous chrétiens, lorsque nous lisons ces annonces de salut, nous y reconnaissons la prophétie du mystère de Jésus, dont le nom signifie précisément « Dieu sauve », « Dieu est salut ».

Alors, approchons-nous sans crainte de Jésus ! Nous avons été baptisés en sa mort et en sa résurrection : sur nous aussi, la Parole du Père a été prononcée : « Tu es mon enfant bien-aimé ; en toi, je trouve toute ma joie  ». Bien sûr, nous accueillons cette parole dans notre propre chair, dans notre humanité plus ou moins décalée avec le désir de Dieu sur nous. Mais n’ayons pas peur de ce décalage, n’ayons pas peur de la révélation de notre péché, de nos difficultés à supporter le regard de l’innocent posé sur nous. Demandons à l’Esprit saint de purifier notre regard, pour que nous voyions sans déformation la vérité du regard que Dieu pose sur nous. Ses pensées ne sont pas nos pensées, comme nous l’a dit aussi le prophète Isaïe : « Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu, qui est riche en pardon ». Oui, qu’il nous révèle la conversion, petite ou grande, qu’il désire de nous aujourd’hui. Qu’il nous fasse découvrir toujours plus la merveille de son pardon, qui nous fait grandir dans l’intimité filiale avec lui. Alors, à sa joie de Père, répondra notre joie d’enfants : « Jubilez, criez de joie, habitants de Sion, car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël ! »

fr. Anthony-Joseph de Sainte Thérèse de Jésus, ocd (Couvent de Paris)
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