Homélie Nuit de Noël 2012

La nuit de Noël est la nuit de l’émerveillement, la nuit ou le prodige de l’amour de Dieu s’est manifesté dans toute sa délicatesse. En effet, si au cours de l’histoire du salut, notre Seigneur a pu manifester sa puissance, aujourd’hui, il révèle sa vulnérabilité. Son amour le rend vulnérable, petit et faible. Sa puissance s’était déployée au cours des âges, spécialement dans l’acte créateur, dans la sortie d’Égypte, et bien sûr dans la résurrection de Jésus, vainqueur de la mort. Mais aujourd’hui, Dieu se révèle dans un nourrisson, le verbe de Dieu a réduit sa force et son éclat pour se taire et se rendre petit et vulnérable. Ainsi, le Seigneur nous révèle ce qu’est véritablement l’amour.

Car l’amour manifeste sa profondeur et sa force non pas lorsqu’il sait s’imposer, mais lorsqu’il sait s’abaisser pour rejoindre celui qu’il aime et patiemment se relever ensemble. La violence et tout ce qui peut amener à contraindre la liberté ou tend à manipuler celui qu’on dit aimer, tout cela est contraire à l’amour véritable. L’amour est toujours un appauvrissement de notre être car il est la reconnaissance de mon besoin de l’autre pour être pleinement heureux. Si j’aime vraiment, je suis vulnérable, je me fais mendiant de l’amour de l’autre. Dans le mystère de l’incarnation qui se manifeste en cette nuit de Noël, le Seigneur ne craint pas d’assumer cette de vulnérabilité de l’amour. Par là, une fois encore, Dieu se fait l’éducateur de l’homme, il lui montre ce qu’est l’amour véritable. Il nous invite à abandonner notre désir de toute-puissance et d’auto-suffisance, à écarter notre peur de reconnaître notre faiblesse, notre dépendance mutuelle.

Apprendre à aimer, c’est apprendre à devenir pauvre, c’est pourquoi la pauvreté est le chemin de l’apprentissage de l’amour. Tout d’abord, au niveau de notre vie personnelle, en nous heurtant à nos limites, en expérimentant nos insuffisances, nous faisons l’expérience de notre besoin de l’autre soit dans les services qu’il peut nous rendre, soit dans le pardon qu’il nous accorde. Sans la solidarité et le pardon mutuel, il nous serait impossible de dépasser nos limites et de nous relever de nos erreurs. Ensuite, au niveau de notre vie en société, toutes les formes de pauvreté ont cette même fonction de manifester la nécessité de la solidarité et de la miséricorde pour que nos sociétés soient véritablement humaines.

C’est pourquoi, le mystère d’un Dieu qui se fait petit enfant nous révèle en négatif le drame de notre vie humaine, c’est-à-dire notre incapacité à accueillir la vraie vie, à reconnaître la beauté de la faiblesse et de la petitesse. Cette nuit de Noël souligne le combat dramatique entre la lumière et les ténèbres. Dès les premières heures de sa venue sur terre, Jésus, qui est la vie et la lumière véritable, est marqué par le rejet, « il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune ». Le rejet d’une femme qui va accoucher et de son enfant souligne, dès les commencements de la vie de Jésus, l’inhumanité de la terre où il vient d’arriver. Et Jésus n’aura de cesse tout au long de sa prédication de demander aux hommes d’accueillir et de manifester l’amour entre eux. Dans les évangiles, vous remarquerez que Jésus ne se donne qu’un seul titre messianique, celui de « Fils de l’homme », car étant le seul à savoir aimer en toute chose, il est le seul à être véritablement humain.

On pourrait résumer la révélation chrétienne de l’incarnation en disant que Dieu s’est fait homme pour demander à l’homme d’être plus humain, et ainsi révéler ce chemin d’humanisation. Car l’homme est plus humain, nos sociétés sont plus humaines, quand nous savons faire une place à celui qui est le plus faible, et spécialement à l’enfant à naître, quand le bien-portant aide le malade, quand l’homme libre visite le prisonnier, quand celui qui a donne à celui qui n’a pas. En pratiquant la charité, comme le Christ nous y invite et l’a vécu, l’homme s’humanise. Certes, celui qui est objet de notre amour reçoit ce dont il a besoin, et c’est important, mais, tout aussi important, celui qui donne reçoit un cœur de chair et forme en lui l’homme nouveau. Face à la pauvreté, à la vulnérabilité, face au péché de mon prochain, celui qui sait se mettre au service, qui sait rejoindre l’autre ou pardonner, celui-ci manifeste la maîtrise de son avidité de pouvoir ou d’avoir, et il reconnaît la dignité du pauvre. Dans ce combat contre soi-même, chacun de nous formons en nous ce cœur de chair capable d’aimer qui fait de nous une véritable personne humaine. C’est la toute-puissance, l’avidité et l’orgueil qui nous rendent inhumain, et déforment notre visage d’homme.

Ainsi en vivant Noël comme la fête de l’enfance, le croyant ne souhaite pas entrer dans le système de la consommation pour gâter encore plus ceux qui le sont déjà. Mais, en mettant au centre de notre célébration le plus faible, celui qui dépend de nous pour vivre, et spécialement l’enfant à naître, nous manifestons la direction vers laquelle nous devons marcher pour rendre notre vie plus humaine. Lorsque l’homme adulte respecte celui qui ne peut s’exprimer, l’infans, lorsque le riche et le bien-portant secours le pauvre et le malade, lorsque l’offensé pardonne à l’offenseur, tous manifestent la dignité de la personne humaine qui apprend à aimer dans la solidarité et le pardon mutuelle. En prenant chair de notre humanité, Dieu nous invite à devenir aussi de vrais hommes en participant à son amour qui prend soin des plus faibles.

Dieu est venu en notre chair pétrir l’homme nouveau à l’image du Christ-Jésus, nous faire entrer dans le mouvement de l’Amour trinitaire, don de soi et accueil de l’autre. A l’image de Dieu qui s’est fait petit enfant, nous aussi devenons des êtres humains !

Fr. Antoine-Marie, o.c.d.

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