Homélie d’Avon : Pentecôte 2011

La fête de la Pentecôte, cinquante jours après Pâques (Pentecôte vient du mot grec qui signifie cinquante) clôture le temps pascal, le temps des solennités que nous avons inauguré avec la célébration de la Résurrection de Jésus, il y a cinquante jours. Mais la Pentecôte ne clôture pas le temps pascal comme un épilogue clôture un roman que l’on s’apprête à ranger dans sa bibliothèque. Bien plutôt, elle clôture le temps pascal de la façon dont s’achèvent les choses et les événements dans la logique de l’Écriture et de la foi : sur le mode d’un accomplissement, c’est-à-dire en portant à leur point d’incandescence, en manifestant la vérité profonde de tous les événements qui ont précédés et qui préparaient ce point d’orgue. Dans les Évangiles, cette logique de l’accomplissement, nous la voyons par excellence à l’œuvre dans la vie de Jésus, qui, au moment de rendre l’Esprit sur la croix dit : « Tout est accompli ».

Accomplir, c’est d’ailleurs le mot qu’emploie Luc au début du texte des Actes des Apôtres que nous avons entendu tout à l’heure : « Quand arriva le jour de la Pentecôte, ils se trouvaient réunis tous ensemble » : plus littéralement, nous pourrions traduire le texte grec en disant : « Quand fut accompli le jour de la Pentecôte, ils se trouvaient réunis tous ensemble ». Pourquoi cette nuance apportée par Luc ? Qu’est-ce qui s’accomplit le jour de la Pentecôte ? Ce qui s’accomplit alors, c’est la réalisation de la promesse de Jésus, promesse faite au jour de son enlèvement au ciel de la gloire, relaté au début du livre des Actes des Apôtres que nous avions entendu le jeudi de l’Ascension, il y a dix jours : avant de disparaître à la vue de ses amis, Jésus leur avait dit : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ».

Cette force de l’Esprit, elle se manifeste par l’apparition d’un feu qui se partage en langues et se pose sur chacun des disciples réunis en prière. Elle se manifeste par ses effets : les merveilles de Dieu sont proclamées et entendues par tous, chaque locuteur se mettant à parler un langage différent de celui qui lui est habituel, chaque auditeur comprenant ceux qui parlent comme s’ils s’exprimaient dans sa propre langue, indépendamment des barrières ethniques. L’Esprit construit ainsi l’Église naissante comme un lieu où l’on parle, où l’on fait connaître Dieu, et où l’on se comprend les uns les autres. C’est cette figure ecclésiale de communion, de concorde et de communication qui est magnifiquement représentée par l’icône de la Pentecôte qui se trouve sous nos yeux. Disposés en un arc de cercle harmonieux, les douze Apôtres – les onze dont parlent les Actes, auxquels la tradition iconographique adjoint Paul – reçoivent le don de l’Esprit symbolisé par douze langues de feu. Ils ne gardent pas pour eux-mêmes le don reçu : chacun porte un livre ou un rouleau, symbole de sa prédication apostolique. Ainsi, aujourd’hui, la vérité fondamentale que l’Écriture et sa représentation iconographique nous enseignent, c’est que le don de l’Esprit nous est communiqué, à chacun de nous qui sommes réunis ici comme les disciples au jour de la Pentecôte, comme les Apôtres symbolisant toute l’Église sur notre icône, et ce don de l’Esprit nous est donné pour que nous le communiquions. Si l’Église est représentée par les douze Apôtres sur notre icône, c’est pour nous rappeler que l’Église est véritablement apostolique, comme nous le chanterons tout à l’heure dans le Credo : elle est fondée sur le témoignage des Apôtres, et chacun de nous, à la place spécifique qu’il occupe comme membre du corps de l’Église, est appelé à être Apôtre, à témoigner de l’œuvre de Dieu dans sa vie, par la parole et par les actes. « Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » : la promesse de Jésus s’accomplit aujourd’hui.

Mais cette fête de la Pentecôte, qui est accomplissement de la promesse de Jésus, nous oriente aussi vers un commencement toujours nouveau. En effet, ceux qui reçoivent la proclamation apostolique du jour de la Pentecôte, ce sont des juifs issus de toutes les nations, qui entendent raconter les merveilles de Dieu. Ils précèdent l’accueil de l’Évangile par les païens, puisque, tous, juifs et païens, comme nous le dit saint Paul, reçoivent le don de l’Esprit pour ne plus former qu’un seul corps. Avec le récit la Pentecôte, nous n’en sommes pas encore là : ce sont les prémices de la moisson du Royaume : nous sommes au chapitre deuxième des Actes des Apôtres, et il faudra avancer un peu plus dans le récit, laisser l’Esprit du Seigneur vaincre encore bien des résistances pour que l’annonce du salut soit portée aux païens, et que s’accomplisse toujours plus l’appel de Jésus : « Soyez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre ». Mais ces païens, nous les voyons eux aussi déjà représentés sur l’icône de la Pentecôte, en la figure de ce personnage étrange qui émerge d’un trou noir, au milieu de la partie inférieure de l’icône. Il s’agit d’un personnage impérial, vêtu de pourpre et portant une couronne : le vieillard Kosmos, qui représente symboliquement tous les royaumes de la terre, toutes les populations du monde (Kosmos en grec). Il représente les païens qui gisent dans les ténèbres et l’ombre de la mort (ce sont bien les ténèbres de la mort qui sont représentées par la sombre cavité d’où il émerge) et qui sont appelés à recevoir l’Évangile par la prédication des Apôtres. C’est pourquoi il porte entre ses mains étendues douze rouleaux déposés sur un linge, douze rouleaux qui symbolisent la prédication apostolique, la parole de Salut transmise par les douze Apôtres. Tournant déjà le dos à l’obscurité qui l’enveloppe encore, portant entre ses mains le fragile trésor de la foi, le vieillard Kosmos ne nous ressemble-t-il pas aussi un peu ?

En effet, si, au jour de la Pentecôte, l’Esprit Saint descendit sur Marie et les disciples pour demeurer avec eux à jamais, il est aussi descendu sur chacun de nous, au jour de notre baptême, pour nous faire naître à la vie de Dieu. Les eaux transparentes de notre baptême ont fait s’imprimer en nous, pour toujours, la grâce de Dieu Père Fils et Saint Esprit, qui veut nous donner sa vie, sa vie éternelle. Mais nous ne savons que trop bien que les eaux de notre baptême peuvent devenir des eaux stagnantes – celles de la routine et de l’oubli de Dieu – voire être recouvertes d’eaux fangeuses – celle de la médiocrité et du péché. Alors, aujourd’hui, au jour de la Pentecôte, demandons à l’Esprit Saint de venir agiter les eaux de nos baptêmes, pour renouveler en nos cœurs la vie de Dieu que nous avons reçue lorsque nous avons été baptisés. Nul obstacle ne peut empêcher cette œuvre de Dieu, comme nous le montre le récit de l’Évangile selon saint Jean, que l’on appelle parfois « Pentecôte johannique », car les disciples y reçoivent aussi le don de l’Esprit Saint. Comme nous pouvons l’être parfois nous-mêmes, les disciples, après la mort de Jésus, étaient totalement déroutés. Il leur semblait non pas que tout était accompli, mais que tout était achevé, terminé, et de la manière la plus sordide et désespérante : celui de qui ils attendaient le salut était mort sur la croix. Taraudés par la peur, ils s’étaient barricadés dans leur habitation, image extérieure de la barricade intérieure de leur cœur. Mais nulle forteresse n’est imprenable pour le Ressuscité, qui demeure toujours au plus profond de notre être, quand bien même cette présence est recouverte par notre négligence, par notre oubli, par notre péché. Jésus, le Vivant, le Ressuscité, se manifeste à ses disciples, il est présent au milieu d’eux, et leur fait le don de son Esprit pour tenir toujours vivace et agissante en eux la mémoire de sa présence. Aujourd’hui, Jésus est présent au milieu de nous qui sommes réunis en son nom. Qu’il répande sur nous son Esprit en une nouvelle Pentecôte !

Viens, Esprit Saint, en ta force invincible ! Viens vaincre nos peurs et nos résistances : viens Esprit de Vie ! Viens, Esprit Saint, gouverner en nous toutes choses avec force et douceur : viens Esprit de Paix ! Viens, Esprit du Père et du Fils ! Viens, Esprit Saint, dis-nous et fais-nous dire « Jésus-Christ est Seigneur », à la gloire du Père ! Amen !

Fr. Anthony-Joseph Pinelli, ocd

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