Homélie d’Avon : Profession des frères François-Christian et Jean-Alexandre

8 Septembre 2006

Mt 1,1-23 Ph 3,8-14

Il est arrivé, le jour béni où votre vie va trouver tout son sens, par le don à Jésus de tout ce que vous avez et de tout ce que vous êtes ; et les textes de cette liturgie nous guident vers ce mystère d’amour, l’Évangile en soulignant ce que Dieu fait, et la lettre de Paul en rappelant la réponse humaine, qui pour vous durera toute la vie.

Tout commence avec « le livre de la genèse de Jésus Christ » (Mt 1,1), et l’on s’attendrait que la longue liste des 42 fils d’Abraham (3 fois 14) débouche sur Jésus, pour glorifier son ascendance, or, contre toute attente, Dieu interrompt brusquement cette lignée avec Joseph, et commence avec l’humble Marie la vraie « genèse » (Mt 1,18) de son Fils. Cette initiative de Dieu se déploie tout au long d’un récit de naissance où l’Esprit Saint montre toute sa puissance innovante, et qui nous décrit le juste Joseph sous le coup de l’étonnement, de la crainte, obligé d’abord à une décision douloureuse. Mais Dieu vient au secours de son serviteur, et lui donne de nommer Jésus et de l’inscrire légalement dans la lignée des rois. « Tout cela arriva pour que s’accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra et elle mettra au monde un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, Dieu avec nous ».

Vous retrouvez là le fil de votre propre vie, et toute la place que le Christ est venu y prendre. Tout a commencé sur un mode purement humain : vous aviez des compétences et vous faisiez des projets. Déjà se dessinaient les années à venir, à la suite de préparations qui pouvaient vous paraître providentielles. Et voilà que Dieu est venu tout inverser : vous avez entendu l’appel de Jésus à une vie toute nouvelle, où son amour serait désormais la valeur privilégiée, plus haute et plus belle que toute autre richesse, même les plus belles et les plus légitimes. Comme Joseph, vous avez connu des craintes, devant des perspectives si neuves et devant cette irruption, dans votre vie, de l’initiative de Dieu, qui éveillait, en contraste, le sentiment de votre petitesse et de votre indignité. Comme Marie, vous avez tout accueilli, dans un silence de plus en plus heureux, admettant désormais que Dieu soit libre d’aimer qui il veut et comme il veut, et tout à votre bonheur de sentir grandir en vous le Fils de Dieu, dans cette « humanité de surcroît » que vous commenciez à lui offrir. Et de même que, pour fêter la Nativité de Marie, l’Église ne trouve rien de plus beau que de rappeler son rôle dans la Nativité de Jésus, pour célébrer l’anniversaire de votre Mère vous vous « réfugiez » aujourd’hui dans sa maternité, et vous lui rappelez avec joie ce moment, imprévu entre tous, où vous êtes de nouveau nés à l’Évangile.

Ce fut le temps de la conversion, du retournement de votre cœur, et vous avez maintenant toute une vie pour entrer dans « le bien qui dépasse tout, la connaissance pleine d’amour du Christ, notre Seigneur » Après le moment, toujours bref, du retournement, vient la conversion comme un patient retour vers le Dieu qui vous aime ; et pour ce retour qui prendra toute l’existence, saint Paul vous laisse trois consignes : - tout perdre pour tout gagner,
 .entrer avec toutes vos forces dans la nouvelle justice,
 .courir vers le but en oubliant ce qui est en arrière.

Vous avez voulu tout perdre, tout sacrifier, pour acheter la perle du Royaume, l’amitié du Seigneur qui, à lui seul, est plus vie que tous les vivants. Lui, lui, rien que Lui, rien que son mystère et son œuvre, telle est désormais la seule pensée qui vous habite, la seule ambition qu’il vous reste. Non pas le trouver, à force de réflexions et de projets spirituels, mais « être trouvés en lui », comme des pauvres, appelés, choisis et heureux, comme des passionnés qui ont tout misé sur son appel et sa promesse, qui veulent aller jusqu’au bout de leur baptême et de leur confirmation dans l’Esprit.

Et c’est ce regard vers le Christ qui fera de vous des « justes », des hommes pleinement ajustés au plan d’amour de Dieu sur tous les hommes. Tout s’origine en Dieu, qui est juste envers nous, parce qu’il reste fidèle à son propos d’alliance. Et nous sommes à notre tour des « justes » devant Dieu, dans la mesure où nous vivons en vérité la relation d’alliance qu’il a nouée avec nous. Oui, comme dit Paul, notre justice vient de Dieu et s’appuie sur notre foi adulte donnée à Jésus Christ, sur l’alliance vivante vécue en Jésus Christ. Bien loin de toute gloriole sur les œuvres de nos mains ou de notre esprit, notre nouvelle justice nous renvoie toujours à Jésus, qui, le premier, a vécu en totale référence à la volonté du Père. Votre nouvelle « justice », votre sainteté de renouveau, consistera à vivre le mystère inscrit sur votre caillou blanc, et que vous êtes seuls à vraiment connaître. « Le Seigneur passera », et il faudra entrer chaque jour dans son Eucharistie, dans sa mort pour la vie ; l’Agneau, pour toujours immolé, vous fera entrer chaque jour dans sa victoire, et vous guidera vers la source.

« Je n’ai qu’une pensée », nous dit Paul ; et cette unique pensée nous visite chaque jour à partir du don total :« je cours droit au but vers le prix du céleste appel de Dieu en Jésus Christ ». Tout est là, tout est déjà là : nous poursuivons notre course, pour tâcher de saisir le Christ, ayant été nous-mêmes saisis par lui au moment de notre grande conversion. Tendus vers l’avant, vers l’avenir et donc vers la promesse, nous laissons en arrière tout ce que nous avons été. Soucieux uniquement de reproduire le mystère du Christ, nous unissons nos efforts à ses souffrances, pour connaître la puissance de sa résurrection. Et parce que Jésus Christ nous a pris pour ses amis, nous expérimentons cette hâte du Royaume qui nous fait si bien comprendre les Saints du Carmel.

Tout cela, (la volonté de gagner le Christ, la nouvelle justice, et votre course évangélique), prendra le visage quotidien de l’amour fraternel et de la douceur, et ce n’est pas pour rien que vous confiez vos trois vœux d’aujourd’hui à la Vierge du Carmel, qui vous ramènera si bien à sanctifier l’ordinaire sous le regard de Dieu.

Entourés, à cette heure si belle pour vous, de ceux et de celles qui vous ont connus, aimés, estimés et conduits, avancez-vous avec confiance vers le Fils de Dieu, qui vous presse aujourd’hui de devenir à votre tour de dignes fils de Marie, heureux de lui appartenir, « heureux dans votre humilité ». Faites confiance pour l’avenir au Seigneur qui a repris tout votre passé. Marchez à la lumière des Béatitudes, et ne quittez pas des yeux la Mère que Jésus lui-même vous a donnée : tout ce qui grandit par elle vient de l’Esprit Saint.

fr. Jean Lévêque, ocd

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