Homélie de Pâques : de l’urgence de courir

donnée au couvent de Paris

Dimanche 5 avril 2015 - Jour de Pâques

Textes liturgiques : Ac 10,34-43 ; Ps 117 ; Col 3,1-4 ; Jn 20,1-9

Au commencement était la course ! Le monde nouveau de la Résurrection commence par une course haletante aux premières lueurs du jour dans la ville endormie. Une course entre ombre et lumière, désillusion et espoir, une course effrénée suscitée par l’imprévu d’un événement étrange. Marie-Madeleine court annoncer aux disciples la disparition du corps de Jésus : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a déposé.  » Un désir encore incompréhensible commence à sourdre au plus intime des cœurs. Voilà donc Pierre et le disciple que Jésus aimait entraînés à leur tour dans cette course ; ils s’élancent de toutes leurs forces vers le tombeau. Tel est premier le signe de la nouvelle création : la pierre qui obstruait toute espérance est ébranlée. La résignation et la torpeur se dissipent sous l’effet d’une attente neuve. Cette course vers le tombeau est pourtant tout à fait irrationnelle. Où est l’urgence, maintenant que la mort a scellé de son sceau l’échec irréparable ? Pourtant, quelque chose germe dans l’ombre entre la nuit de l’absence et l’étrange intuition d’une clarté peut-être.

Cet élan irrépressible doit cependant s’arrêter face au vide du tombeau pour être intériorisé et comme saisi par l’événement de la Résurrection. L’Évangéliste emploie trois verbes grecs différents pour nous tracer l’itinéraire d’une vision qui conduise à la foi : « regarder », « contempler » et enfin « voir en croyant. »

Tout d’abord, Marie-Madeleine « regarde  » au sens de « constater ». Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Puis c’est au tour du disciple bien-aimé de constater les faits. Il remarque la présence du linceul et donc l’absence du corps annoncée par Marie-Madeleine. Nous sommes dans l’ordre d’un regard encore extérieur comme en témoigne le positionnement de Marie-Madeleine et du disciple bien-aimé au dehors du tombeau.

Pierre, quant à lui, entre et va plus loin dans l’appréhension d’une situation, qu’il regarde déjà de l’intérieur. Le verbe « contempler  » a ici le sens d’une quête d’intelligence. Pierre observe avec attention afin de comprendre ce qui est advenu. Il remarque alors non seulement le linceul, mais aussi le linge qui a recouvert la tête de Jésus. Il est soigneusement roulé à sa place. Pierre prend conscience de l’état surprenant du tombeau. Le soin et la dignité émanent de ce sépulcre vide. Rien qui laisse supposer l’enlèvement du cadavre par des ravisseurs pressés. Le lieu de la décomposition de la chair recompose quelque chose, qui est de l’ordre du sens, un sens impossible pourtant à appréhender : l’intelligence tourne court face au mystère.

« C’est alors qu’entra l’autre disciple. Il vit et il crut. » (v.8b) Le regard du disciple bien-aimé est encore plus intérieur que celui de Pierre : il voit le vide et il croit ! Ce regard est habité par la mémoire d’une relation privilégiée avec le Maître, mémoire du dernier repas tout contre le Seigneur, mémoire de Marie confiée au pied de la Croix, mémoire de la soif criée jusqu’à l’ultime don, mémoire du sang et de l’eau jaillis du côté transpercé. Voici que cette eau vive jaillit à présent à l’intime du cœur comme l’évidence d’une présence autre : « Il vit et il crut. » Le disciple bien-aimé ne croit pas en quelque vérité que ce soit, mais il entre dans la relation vive qui transcende la mort.

Ce matin, Frères et Sœurs, le Christ ressuscité vient réveiller notre désir de ses endormissements, de ses lassitudes, de ses déceptions. Il y a urgence, là où la vie nouvelle nous appelle à renaître au désir de Dieu. Une présence fait craquer nos évidences humaines pour les ouvrir peu à peu au bonheur d’espérer.

Face au tombeau vide, nous constatons d’abord, comme de l’extérieur, les reliques de nos désillusions. Le regard cherche à les nommer, à les identifier, à les désigner face à l’angoisse du vide qui nous menace. De quelle absence souffrons-nous ou de quel manque ?

Lorsque nous avons ainsi pris conscience de la perte qui nous afflige, nous cherchons à comprendre. Comment donner sens au regret qui nous ronge ? Car tout n’est pas absurde. A bien y regarder, quelque chose continue de faire signe. Comme des pierres d’attente, des indices de vie balisent l’incompréhensible absence, sans que notre raison puisse en déchiffrer le sens.

Mais voici que l’inattendu survient du plus profond de notre impuissance. Une certitude intérieure nous ouvre à la gratuité du don. La joie pascale est d’accueillir en nos mains vides une vie que nul désir humain ne saurait saisir. La foi en la résurrection fait de l’impasse elle-même le lieu de la rencontre. La nostalgie ou le remords pouvaient nous enfermer dans le sépulcre des regrets. Le Vivant nous libère maintenant d’un passé trop connu et nous ouvre à un avenir inédit. Le passé, transformé par le pardon des péchés, n’est plus le tombeau des espérances déçues, mais le mémorial des bienfaits de Dieu. Nous ne savions pas encore le sens des Ecritures et ce que signifiait « ressusciter des morts », mais voici que le Christ éclaire d’un jour nouveau le cours de notre vie.

L’humble confession du péché et la gratitude pour la fidélité d’un amour, qui nous précède toujours, transfigurent désormais notre histoire. Notre existence passée, réconciliée par le pardon, s’éveille à une gratitude tout entière orientée vers la Gloire avenir. La pierre est descellée. La mort est morte ! Ce tombeau est devenu le mémorial d’une Passion d’amour infiniment offerte. Laissons-là nos bandelettes et courrons nous aussi !

fr. Olivier Rousseau, ocd (Couvent de Paris)
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