Homélie de la Ste Trinité : le concentré de notre foi

donnée au couvent d’Avon

Dimanche 31 mai 2015 - Ste Trinité

Textes liturgiques : Dt 4,32-40 ; Ps 32 ; Rm 8,14-17 ; Mt 28,16-20

Les théorèmes que nous avons pu apprendre au collège et les leçons de catéchisme reçues il y a plus longtemps encore ont ceci en commun qu’ils ont pu traumatiser, à vie souvent, certains, fasciner, pour toujours, d’autres, laisser d’autres encore indifférents. Dieu serait-il terrible, compliqué, insignifiant ou bien serait-il la seule réalité qui vaille d’être étudiée, cherchée, aimée, vécue ? La Trinité n’est ni un théorème (quoi qu’on ait pu dire sur 3 = 1, 1 = 3 ou autres abscondités de ce genre) ni une leçon, fut-elle de catéchisme. Si « reconnaitre », « adorer » et « professer » la Trinité – pour reprendre trois mots de la prière d’ouverture de notre célébration – sont comme le concentré de la foi chrétienne, ce n’est pas que nous aurions dans la Trinité une formule magique donnant un pouvoir sur Dieu ou, à la manière du chimiste qui découvre par exemple la formule de l’eau, une sorte de définition de Dieu qui nous dirait tout de lui mais c’est que la Trinité est comme l’aboutissement de la Révélation de Dieu lui-même.

Célébrer le mystère de la Trinité, c’est croire que Dieu se dit et se donne lui-même (la vie chrétienne est donc de le « reconnaitre » pour reprendre un de nos trois mots), c’est croire que Dieu montre l’horizon et le sens de notre vie, participer à sa vie même (tel est le sens d’« adorer ») et c’est croire que Dieu nous invite à être témoin de lui (il s’agit de le « professer »). Avec la Trinité, nous avons ainsi le concentré de notre foi chrétienne mais qui n’a sens qu’en harmonie avec tout le reste. Le contraste est donc grand avec la perception d’un Dieu insignifiant, compliqué ou terrible. Reprenons-cela : trois points, comme il se doit en ce jour !

La foi trinitaire est une expérience ou plutôt son expression est l’aboutissement d’une expérience, celle de la Révélation chrétienne. Dieu se donne et se dit dans l’histoire. C’est ce qu’exprime déjà Moïse dans le Deutéronome. A travers l’expérience du feu et du désert, il peut dire avec Israël que « c’est le Seigneur qui est Dieu » : affirmation de l’Unique et promesse d’un bonheur. Plus largement, la venue de Jésus reconnu comme Christ et Seigneur à travers son enseignement, ses signes et celui, suprême et insigne, de la Croix scandaleuse, insignifiante, compliquée et terrible elle aussi, va transformer la vie de douze, de soixante-douze puis de milliers de disciples, annonçant la Résurrection, recevant l’Esprit-Saint, relisant les Ecritures et percevant peu à peu le mystère de Jésus Seigneur, Parole de Dieu et Fils unique du Père qui envoie dans le monde son propre Esprit de sainteté, d’unité et de vérité. Telle est l’expérience fondatrice et indépassable de la Révélation durant la période apostolique. Le processus, dans l’Eglise naissante, de formulation de la foi Trinitaire sera comme la réponse à cette expérience originelle, fruit lui aussi de l’expérience de ces premiers penseurs, pasteurs et mystiques de la foi chrétienne que furent les pères de l’Eglise.

Professer la foi Trinitaire aujourd’hui, c’est s’inscrire dans cette expérience, originelle, fondatrice et explicatrice de la foi qui rejoint notre propre quête. La foi trinitaire est donc en même temps l’aboutissement et le point de départ de notre foi : croire en Dieu c’est reconnaitre Dieu Trinité, reconnaissance qui anime, éclaire, stimule à son tour notre vie. Croire au Dieu Trinité c’est reconnaitre que l’on peut connaitre quelque chose de Dieu, que l’on peut vivre quelque chose de lui – c’est le mystère de la filiation dont parle l’épitre aux Romains, que l’on doit l’annoncer comme le dit l’évangile. Croire au Dieu Trinité c’est percevoir en lui le fondement et le sens du monde et de notre vie tout en percevant la gratuité de cette perception (la foi est un don) et la disproportion entre ce que l’on peut en dire et en vivre et ce que Dieu est lui-même. Autrement dit, notre foi est précieuse et fragile, certaine et sujette au doute qui assaille même les disciples de notre évangile, lumineuse et obscure. Au creux de cette labilité qui nous affronte au combat de l’insignifiance, notre foi nous rend solidaire de ceux pour qui Dieu lui-même est insignifiance.

Deuxièmement, Dieu serait compliqué ou plutôt la présentation chrétienne de Dieu le serait compliquée. Certaines sectes plus ou moins chrétiennes et sans doute l’islam jouent sur cela. Pourtant, croire au Dieu un et trine, avec son apparente complexité mais au fond sa richesse inépuisable, nous prémunit de l’idolâtrie, que pourrait cacher une apparence de simplicité et que j’appellerais « monolatrie », l’adoration du principe « un » plutôt que de Dieu même. Elle peut donner lieu à toute sorte de fanatisme et de violence, d’idéologie, d’iconoclasme qui consiste à confondre pluralité et polythéisme mais à adorer au fond sa volonté propre, sa volonté de puissance. Croire à la Trinité vient déjouer cette tentation idolâtrique qui pour chacun peut polluer nos idéaux de pureté, de perfection, d’absolu. La simplicité chrétienne n’est pas celle du slogan ni du simplisme toujours séducteurs mais un fruit, celui de la distance, du silence, du dépouillement et l’adoration, par lesquels Dieu le simple vient nous rejoindre au profond de notre simplicité.

Enfin, en parlant de Dieu terrible, nous pensons à une catéchèse dite janséniste qui fit des ravages dans les cœurs et dont la résurgence est toujours possible mais cela peut rejoindre l’expérience de notre propre désolation : la condamnation de notre cœur, la perception de notre indignité morale, de nos incapacité spirituelles. La vie chrétienne serait terrible au sens où elle nous conduirait à une impasse. Croire au Dieu Trinité, c’est croire à Dieu plus grand que notre cœur, c’est croire que Dieu est amour, lui-même don et échange, dans la plus grande gratuité. Pouvoir dire « Abba », se reconnaitre fils dans le Fils d’un même Père et donc frère de tous, tel est le fruit d’une vie trinitaire. « L’amour seul suffirait » : voilà la réponse à toutes nos terreurs et nos complications mais est-il plus facile de parler d’amour ou de Dieu, de vivre l’amour ou de croire en Dieu ? On ne peut craindre un Dieu qui nous aime tant.

Professer Dieu Trinité c’est reconnaitre Dieu qui se dit et se donne en croyant qu’en lui est notre avenir. C’est l’annoncer par notre vie : responsabilité et témoignage. En ce jour où nous voulons honorer le Père Jacques, lui qui fut enseignant et mystique, à défaut de pouvoir déjà l’invoquer à l’autel, qu’il soit convoqué à la chaire, à cet ambon : que son projet de faire « aimer Dieu de façon personnelle et intelligente » nous habite ! Telle est notre meilleure manière de vivre cette fête et déjà notre joie quand nous reconnaissons, professons et adorons le mystère de Dieu, Père, fils et Saint-Esprit. Amen

fr. Guillaume Dehorter, ocd (Provincial de Paris)
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