Dimanche des Rameaux et de la Passion

Aujourd’hui, nous célébrons dans une même fête deux évènements qui semblent plutôt en opposition : l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem et sa condamnation à mort. Entre l’évangile lu avant notre procession et celui que nous venons de lire, le contraste est saisissant. Le premier nous raconte l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem, assis sur un jeune ânon et acclamé par le peuple. Le second Evangile relate la sortie de la ville pour la crucifixion du Christ, sous le poids de la croix et l’animosité de la foule. Comment peut-on célébrer en une même cérémonie ces deux épisodes de la vie de Jésus ? N’est-ce pas réunir l’inconciliable ? N’y a-t-il pas quelque chose de choquant de se réjouir en célébrant la Passion ?

Peut-être trouve-t-on un élément de réponse à ces questions si on demeure attentif non aux oppositions, mais aux points communs de ces deux textes. Car si les contrastes entre les Rameaux et la Passion sont considérables, il y a cependant deux constantes majeures. Dans les deux textes, on retrouve deux acteurs principaux dans des attitudes semblables : la foule et Jésus. Et plus précisément, la foule unanime qui proclame sa joie ou sa haine, et Jésus honoré des insignes royaux, par louange ou par dérision. Il y a, dans ces deux points communs, une double invitation pour nous en ce début de semaine sainte : d’une part, vérifier notre attitude de foi face au Christ, et d’autre part, garder constamment notre regard de foi sur la personne du Christ Jésus.

Tant en ce qui concerne les disciples et les amis de Jésus que ses opposants, le comportement de la foule est révélateur d’un positionnement face au mystère de la personne de Jésus. En relisant ces textes, nous pouvons nous interroger sur notre propre attitude. À qui je ressemble le plus ? Ou plutôt ma vie n’est-elle pas un mélange des différentes attitudes des contemporains de Jésus ? Parfois, j’accueille avec joie le Christ et son évangile. D’autre fois, je crains d’avouer être son disciple, d’une manière ou d’une autre. Parfois, je veille avec lui dans la prière pour ne pas entrer en tentation. D’autre fois, j’abandonne celui qui est la source de vie, et je préfère crier avec la foule. Parfois, je me tiens debout dans la foi au pied de la croix. D’autre fois, je perds l’espérance dans la puissance de vie de notre Dieu. La richesse des personnages, de leurs gestes et de leurs paroles, est une source inépuisable pour notre méditation, pour notre propre examen.

Quant à la personne de Jésus, les deux textes nous le présentent avec les insignes royaux, pour le louer ou pour se moquer. Il est remarquable que Jésus, si humble et si proche des humiliés, ne les rejette pas. Et même il écarte ceux qui veulent empêcher la proclamation : « je vous le dis, s’ils se taisent les pierres crieront. » Il me semble que c’est pour nous une invitation à poser sur Jésus un véritable regard de Foi. Le contraste entre sa dignité réelle, signifiée extérieurement par ses insignes royaux, et sa Passion humiliante nous mène à ne pas nous arrêter à ce qui est visible.

La valeur de la Passion de Jésus ne provient pas des souffrances subies, certains hommes au cours de l’histoire ont supporté des tortures malheureusement plus terribles. La valeur unique et universelle de la Passion du Christ résulte de l’être unique de Jésus en qui Dieu s’est réconcilié avec les hommes (2 Co 5, 18 ; Rm 5, 10), et de sa fidélité jusqu’à la mort. La passion du Christ est source de salut, car il y met tout le poids de l’amour, d’une vie offerte. Jésus nous montre que la voie de la confiance et de l’amour envers Dieu notre Père n’est pas une impasse. Au contraire, c’est la seule voie, la seule porte qui traverse la mort pour nous mener à la vie éternelle. Notre regard de foi sur la personne de Jésus pendant les jours de sa passion ne doit pas nous amener à nous apitoyer d’abord sur le sort de Jésus. Comme le dit Jésus : « pleurer d’abord sur vous ». Car lorsque nous contemplons Jésus dans son chemin de croix, ce n’est pas d’abord l’injustice de son sort qui doit nous frapper, mais la manière dont Jésus nous ouvre le chemin de la vie. Nous devons moins nous apitoyer sur les malheurs qui frappent Jésus qu’accueillir la leçon de vie qu’il nous donne dans sa passion.

Ainsi lorsque nous écoutons et méditons la Passion, ce n’est pas d’abord la tristesse qui monte au cœur du croyant, mais l’action de grâce. Jésus nous rouvre la porte du jardin jadis fermé, la voie vers l’arbre de vie. La tristesse et les larmes nous saisissent si notre regard s’arrête à l’échec apparent, à l’injustice qui frappe Jésus. Tandis que la conscience que le Christ Jésus réalise sous nous yeux l’œuvre de salut qu’aucun homme ne pouvait réaliser de lui-même, cette conscience nous fait chanter une action de grâce : Le Christ s’est fait, pour nous, obéissant jusqu’à la mort de la Croix, c’est pourquoi Dieu l’a exalté. La passion de Jésus révèle la passion d’amour de Dieu notre Père pour chacun de nous, et c’est pourquoi ce sont des larmes de joie et de reconnaissance qui doivent couler en relisant cette passion.

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

Revenir en haut