Homélie d’Avon : Fête de la Toussaint

“HEUREUX, BIENHEUREUX ?”

« Ils se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main. » (Ap 7, 9.)

La liturgie céleste, qui nous est présentée dans ce passage de l’Apocalypse, nous dit quelque chose de notre union, par la liturgie que nous célébrons, à la liturgie céleste. Chaque fois que nous nous rassemblons en Église pour célébrer les saints Mystères du Salut, donnés par notre Dieu en son Fils Jésus-Christ, nous sommes unis à la liturgie céleste qui se célèbre devant le trône de Dieu et devant l’Agneau. Nous sommes ainsi dans chaque liturgie unis à ceux que nous appelons les morts, mais qui sont vivants de la vie même de Dieu après être passés par la mort.

Une liturgie céleste qui invite tous les hommes à accueillir le salut que Dieu veut pour eux. Il y a, nous dit saint Jean, « une foule immense que nul ne peut dénombrer. » (Ap 7, 9.) Le chiffre de 144000, qui est énoncé, n’est pas une comptabilité de ceux qui seraient sauvés ; ce chiffre est éminemment symbolique : 12 x 12 : le nombre des 12 tribus, au carré. Puis 10 x 10 x 10 : pour signifier la surabondance… L’apôtre Jean qui parle des 144000, ajoute très rapidement : « une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. » (Ap 7, 9.) Le dessein d’amour de notre Dieu, qui s’est exprimé par la Création, qui s’est manifesté plus encore par l’Incarnation Rédemptrice de son Fils, est de nous sauver tous et chacun, de nous faire participer à cette vie divine qui passe du Père au Fils, du Fils au Père dans le dynamisme incessant de l’Esprit. C’est à cette vie là qu’il veut que nous communiions pour notre bonheur.

« Ils viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau. » (Ap 7, 14.) Nous aussi, frères et sœurs, nous avons lavé notre vêtement ; nous l’avons purifié dans le sang de l’Agneau, au jour de notre saint baptême. Au jour de ce baptême nous avons été plongés dans la grande épreuve, dans le Mystère Pascal du Christ. Nous avons été, par le baptême, plongés dans sa mort pour avoir part à sa Résurrection. Par la grâce insigne du Mystère Pascal, au jour de notre baptême, nous avons été purifiés du péché originel et nous sommes alors nés à la vie d’enfant de Dieu. En vertu de ce baptême, saint Paul appelle les chrétiens : les “saints”. (Cf. Rm 1, 7 ; Col 1, 2 ; Eph 1, 1.) En vertu de ce baptême, nous sommes, chacun et chacune, non seulement des enfants de Dieu mais des “saints”, accueillants cette vie divine en nous. Cela c’est le point de départ.

Le point d’arrivée, nous l’avons dans la deuxième lecture : « Lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. » (I Jn 3, 2.) Il faut laisser, frères et sœurs, la grâce de notre baptême se déployer pleinement en nous. De manière à ce que nous puissions dire avec saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2, 20.) L’apôtre Jean, dans la seconde lecture, nous invite à contempler la grandeur de cet amour dont le Père nous a comblés en voulant que nous soyons appelés ses fils dans son Fils unique. « Nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît encore pleinement. » (I Jn 3, 2.)

Il nous faut laisser du temps à la grâce ; il nous faut collaborer à cette grâce pour que s’accomplisse en nous les promesses de notre baptême. Grégoire de Nysse nous dit : « Tu es baptisé, chaque fois que tu renonces au mal. »

« Nous lui serons rendus semblables quand nous le verrons tel qu’il est. Et tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur. » (I Jn 3, 3.)

Interrogeons-nous quelques instants, frères et sœurs : Quelle est l’espérance qui habite notre cœur ? Quelle est l’espérance qui habite au plus intime de notre être ? Est-ce que cette espérance c’est véritablement de lui être rendu semblable ?

Déjà, nous voyons le Christ Jésus. Nous le voyons, voilé sous les espèces eucharistiques ; Nous le voyons, voilé sous la Parole proclamée en Église ; Nous le voyons, voilé dans l’assemblée des chrétiens qui est le Corps du Christ ; Mais nous avons cette espérance qu’un jour nous le verrons face et face et qu’alors nous lui serons rendu semblable.

Du jour de notre baptême au jour de ce face à face, doit se déployer notre vie chrétienne, doit s’actualiser pour nous la sainteté que Dieu veut nous donner en partage et dont nous avons reçu le germe au jour du baptême. Nous comprenons alors qu’à ceux qui se rassemblent autour de lui, Jésus dise : « Heureux ! » (Mt 5, 3.) Dieu veut notre bonheur ; il veut notre bonheur à travers toutes les situations et tous les événements de nos vies. Les Béatitudes ne sont pas simplement un code moral, ou un idéal, une sagesse de vie. Elles sont une bénédiction de Dieu sur notre humanité. C’est un appel à l’espérance.

Les Béatitudes – comme le Notre Père d’ailleurs – sont un peu comme un condensé des Psaumes, de la longue prière du Peuple d’Israël. Le premier des psaumes commence par ces mots : « Heureux l’homme qui se plaît dans la loi du Seigneur. » (Ps 1, 1.) Le psaume 111 nous dit : « Heureux qui craint le Seigneur et aime entièrement sa volonté. » (Ps 111, 1.) Dans le psaume 36, nous chantons que les « doux possèderont la terre et jouiront d’une abondante paix » (Ps 36, 11.) Dans le psaume 106, nous affirmons : « Il comble de biens les affamés » (Ps 106, 9.) Le psaume 118 commence par une béatitude redoublée : « Heureux les hommes intègres en leurs voies, qui marchent suivant la loi du Seigneur. Heureux ceux qui gardent ses exigences, ils le cherchent de tout cœur. » (Ps 118, 1-2.)

Oui, les Béatitudes nous invitent faire nôtre l’attitude du Psalmiste qui se tient “devant son Dieu” et qui à travers tout les événements de sa vie, sait que rien ne peut le séparer de l’amour de son Dieu. (Cf. Rm 8, 39.)

Il nous faut apprendre la pauvreté du cœur et la douceur, Il nous faut sans doute pleurer sur nous-mêmes et sur le péché du monde, pour devenir peu à peu miséricordieux. Il nous faut être affamés et assoiffés de justice pour pouvoir vivre la bonté et la pureté du cœur. Il nous faut passer par la contradiction, par la persécution, – à cause du Christ – pour savoir si nous sommes véritablement des artisans de paix.

Qu’il nous soit donné dans cette Eucharistie de nous enraciner davantage en Jésus-Christ. Que nous soyons fortifiés dans cette espérance de « lui être rendus semblables quand nous le verrons tel qu’il est. »

Qu’il nous soit donné de devenir des “saints”, c’est-à-dire non pas des personnes parfaites, mais des personnes qui accueillent la vie de Dieu et qui cherchent à s’ajuster à sa volonté.

Que cette fête de “tous les saints”, qui est notre fête, vienne accomplir en nous les promesses de notre baptême, les promesses de Dieu manifestés dans le Christ Jésus notre Seigneur.

Amen.

Fr. Didier-Marie Golay, ocd

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