Homélie de Noël : le Dieu désarmé

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (messe de la nuit) : Is 9, 1-6 ; Ps 95 (96) ; Tt 2, 11-14 ; Lc 2, 1-14

Anuntio vobis gaudium magnum. Habemus messiam : « Je vous annonce une grande joie ! » Nous avons … non pas un pape mais un messie ! « Aujourd’hui vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ! » Le verset chanté qui précède la proclamation de l’évangile a disposé nos cœurs à entendre la bonne nouvelle de Noël : la naissance du Messie. L’évènement que nous préparons depuis le début de l’Avent est advenu et il faut maintenant entrer dans la joie de la Nativité du Seigneur. Mais quelle est-elle cette joie ? Qu’est-ce qu’a de si particulier la joie de Noël ? Nous pouvons en retenir trois caractéristiques à l’écoute des textes de la nuit de Noël avec trois P : Providence, Pauvreté, Paix.

Saint Luc souligne comment les Ecritures s’accomplissent à travers l’histoire des hommes apparemment éloignée et indifférente aux voies de Dieu. Le recensement demandé par l’empereur Auguste pour toute la terre, c’est-à-dire pour tout l’empire romain va pousser Joseph à retourner à sa ville d’origine, Bethléem ; de sorte que Jésus naîtra non pas à Nazareth mais bien à Bethléem selon la prophétie de Michée. Il est bien de la lignée de David et la promesse faite par Dieu à ce grand roi s’accomplira en effet dans la personne de Jésus de Nazareth. Nul doute que l’empereur Auguste ne se souciait de ce genre de considérations mais l’Ecriture nous enseigne la façon dont Dieu se sert de tout dans l’histoire afin de faire advenir son Règne et de réaliser ce qu’il a promis, par des chemins qui ne sont pas les nôtres. L’Ancien Testament montre que c’est bien Dieu qui conduit l’histoire, même à travers le jeu des libertés humaines ; non que nous soyons des pantins mais Dieu est capable à chaque instant d’inventer un chemin nouveau à partir de nos choix, même de nos erreurs et nos péchés, pour réaliser ce qu’il a promis. La puissance de Dieu s’infiltre ainsi dans toutes les brèches de nos humanités et nous surprend en agissant là où on ne l’attendait pas. Voilà la Providence divine qui s’ajuste en permanence à nos vies pour continuer son œuvre de création et de salut. Et ce que nous contemplons dans le mystère de Noël est évidemment un enseignement pour notre vie : Dieu prend soin de nous à travers les turpitudes de nos existences et accompagne notre chemin vers la sainteté. Il est provident car il s’arrange avec toutes les contraintes de l’histoire pour faire advenir sa victoire. Voilà une bonne nouvelle qui nous met légitimement en joie !

Pourtant, Noël vient corriger une compréhension de la Providence qui dans nos esprits est parfois païenne. Déjà quand nous croyons que la Providence veut dire que tout va nous tomber du ciel et que nous n’avons rien à faire ; alors que la Providence passe d’abord par notre liberté et nos choix. Mais aussi parce que nous pouvons penser que la Providence de Dieu nous fait échapper aux difficultés de la vie. Faux, nous dit l’Evangile. Et la preuve en est la vie de Jésus, Fils de Dieu. Le Christ naît dans la Pauvreté. La Providence de son Père aurait pu faire qu’il naisse dans un palais à Jérusalem, ce qui aurait convenu à son rang ; ou du moins, qu’il trouve un endroit pour être hébergé, accueilli. Non, Jésus naît dans une mangeoire ; il n’y a plus de place pour lui ailleurs. Est-ce donc là l’action de Dieu ? Est-ce là la Providence ? Comment se fait-il que Dieu ne s’occupe pas de son propre Fils ? Comment permet-il que celui-ci ne trouve pas une place digne ? Quel scandale, quel déshonneur !

Toutes ces questions, ne nous les posons-nous pas pour notre propre vie ou pour nos proches ? Quand nous avons le sentiment que Dieu ne s’occupe pas de nous ou nous abandonne. Dieu nous désarçonne par ses manières de faire : n’en-a-t-il pas été ainsi pour Marie et Joseph qui ont inauguré la vie de Jésus dans la pauvreté et non dans le luxe et les honneurs ? La Providence ouvre un chemin différent que nos rêves de puissance et de prestige : l’Evangile est chemin de pauvreté et notre salut passe par là. Les premiers mis au courant de la naissance ne sont pas les prêtres de Jérusalem ou le pouvoir en place mais les pauvres bergers, parias de la société. La joie de Dieu est pour les pauvres, pour ceux qui ont de la place pour accueillir cette nouveauté. Le Christ a pris la dernière place pour que tout le monde puisse s’approcher de lui, sans avoir peur de ne pas être digne. Dieu s’est caché sous les traits d’un enfant pauvre, d’un migrant pour que sa puissance ne nous effraie pas. La Providence a permis cela et c’est tant mieux pour nous. La joie de Noël est bien offerte à nous tous si nous entrons dans cette grâce de la pauvreté évangélique : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à eux. »

Alors nous goûterons au vrai fruit de la joie de Noël : la paix. La Paix annoncée par Isaïe dans la 1re lecture : la paix qui sera sans fin et sera apportée par le Prince de la Paix. La paix chantée par les anges et que nous avons reprise dans le Gloria : la paix pour tous les hommes qui sont tous aimés de Dieu. La pauvreté de Noël permet cette paix partagée car il n’y a plus de barrière entre Dieu et nous. Il est devenu l’un des nôtres en son Fils et dans la plus pauvre condition de sorte que chacun puisse être atteint, touché, bouleversé par l’enfant de la crèche. Le Seigneur Sabaoth, le Dieu des armés vient à nous dans un enfant désarmé et désarmant ; il est temps de craquer et de déposer devant la crèche toutes nos armes, nos révoltes, nos résistances à nous laisser aimer, nos colères enfouies, notre orgueil glacial. La paix nous est offerte de manière particulière en cette nuit mais c’est à nous de la saisir. Le Seigneur ne peut pas faire plus pour nous ; il se donne totalement à nous en prenant la dernière place. Il naît dans cette mangeoire afin que nous l’accueillions et qu’en effet nous le mangions dans le mystère eucharistique. Accueillir Jésus prince de la Paix, c’est recevoir en même temps la paix intérieure, la grâce de nous savoir aimés et sauvés. Telle est la joie véritable de Noël : une joie cachée dans la pauvreté mais qui nous conduit à l’expérience d’une paix profonde ; cette paix qui est une sécurité qu’aucune arme défensive ne peut nous obtenir. Nous pouvons nous protéger des attentats et de risques économiques ou sociaux en tous genres ; si nous n’avons pas la paix en nous, à quoi cela sert-il ? Que prétendons-nous défendre ou protéger ?

Frères et sœurs, en cette sainte nuit, demandons à la Vierge Marie de nous désarmer pour de bon et de nous présenter son nouveau-né pour que nous l’accueillons entre nos bras et que nous goûtions enfin la tendresse de Dieu. Et que cette tendresse nous fasse dire comme Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus dans sa dernière lettre : « Je ne puis craindre un Dieu qui s’est si fait pour moi si petit… Je l’aime !… Car il n’est qu’amour et miséricorde ! » (LT 263) Amen

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau (Couvent d’Avon)
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