Homélie de Paques : la foi suffit !

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques du Jour de Pâques : Ac 10, 34a.37-43 ; Ps 117 (118) ; 1 Co 5, 6b-8 ; Jn 20, 1-9

« Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! » La joie nous atteint en ce jour nouveau que fit le Créateur et Sauveur de l’humanité : le motif en est clair, comme nous l’avons entendu dans la séquence pascale, « nous le savons : le Christ est vraiment ressuscité des morts. » Pourtant, nous sommes dans un climat assez différent de celui de la vigile pascale : à la différence du récit de l’évangile de Matthieu entendu dans la nuit, dans celui de Jean, il n’est plus question de tremblement de terre, d’apparition d’ange et pour l’instant, de manifestation du Ressuscité. Il n’y a aucun fait miraculeux ou extraordinaire quand Marie-Madeleine, Pierre et le disciple bien-aimé arrivent au tombeau. Le seul objet de l’étonnement est la pierre enlevée et l’absence du corps de Jésus. « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » La nouveauté de ce jour réside donc en un vide, une absence inattendue. Que peut-on en conclure ? Le seul détail relevé par l’évangéliste est un suaire, roulé à part, à sa place, comme pour souligner que le corps n’a pas été enlevé précipitamment mais avec calme.

Avouons frères et sœurs que ce récit de Pâques est assez décevant pour nos attentes trop humaines. Nous aurions aimé peut-être un signe éclatant, une preuve irréfutable, un coup d’éclat. Non c’est le silence et l’absence : ils nous empêchent donc de verser dans le triomphalisme ; nous ne pouvons pas célébrer la Résurrection comme une évidence qui saute aux yeux et qui s’impose à tous. Nous sommes ramenés au fond à l’humilité. L’humilité : mais n’est-ce pas là une caractéristique typique de la présence du Seigneur Jésus, doux et humble de cœur ? Le Ressuscité demeure l’Agneau qui ne s’impose pas mais qui vient à nous humblement. Et c’est donc humblement que nous devons nous-mêmes nous approcher du tombeau vide.

C’est ce que dit saint Paul, à sa manière, en évoquant le rituel juif de la pâque avec l’agneau pascal et les pains azymes non fermentés. « Célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité. » Ce n’est pas le moment de nous enfler d’orgueil, de faire gonfler nos prétentions. La Pâque du Seigneur se célèbre avec des pains qui n’ont pas fermenté, signes d’humilité et de simplicité. « Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté. » Nous allons recevoir la présence du Ressuscité dans le signe du pain qui n’a pas fermenté, dans l’Eucharistie. Mais ce signe indique pour saint Paul ce que nous devons être. « Devenez ce que vous recevez. » (Saint Augustin) Il nous faut être humbles pour accueillir la présence du Ressuscité dans le signe de son absence du tombeau, comme dans celui de sa présence dans le pain et le vin.

« Il vit, et il crut. » Tout est là, dans l’attitude du disciple bien-aimé. Que vit-il ? Pas grand-chose. Mais cela suffit à celui qui est humble de cœur, à celui qui a reposé sur le cœur de Jésus pendant sa Passion et sait discerner sa présence dans les signes discrets de son passage. C’est bien l’humilité du cœur qui nous donne accès au Ressuscité, par le moyen de la foi. Voilà pourquoi nous avons besoin de 40 jours de carême pour nous préparer à entrer dans le mystère. Ce mystère qui résiste et échappe aux sages et aux savants ; il ne s’ouvre aux petits qu’à travers un regard de foi.

En nous exerçant pendant le carême à vivre davantage au niveau théologal de la foi, de l’espérance et de la charité, nous avons appris à changer de regard et à prendre de la hauteur de vue. A voir davantage du point de vue de Dieu et de Jésus, et moins du nôtre. A regarder comme saint Jean, à travers le visible pour repérer les signes de l’invisible. La foi est bien une manière de regarder la réalité dans sa profondeur et donc dans sa vérité : « Il vit, et il crut. » Pas besoin de miracle, la certitude de la présence du Vivant est donnée à celui qui croit humblement à son amour. Et cela suffit. Comme le dit saint Jean de la Croix, la foi est le seul moyen sûr qui nous permet de rencontrer Dieu directement ; la foi nous permet de reconnaître, à l’extérieur de nous, Celui qui vit au-dedans de nous et de le rejoindre par le cœur. Le disciple bien-aimé qui a discerné les sentiments de Jésus, en reposant sur son cœur, est capable de voir sa présence ou son passage dans toute chose, même la plus petite. Il a intériorisé dans son cœur la présence aimée de son Seigneur. Et cela suffit. La foi suffit.

Ainsi, frères et sœurs, le mystère de la Résurrection nous reconduit à notre foi dont elle est le centre et le fondement. Cela a des conséquences importantes pour notre identité de disciples missionnaires. Ne cherchons pas des preuves ou des signes extraordinaires pour devenir des témoins fiables, comme Pierre dans la 1re lecture, lui qui a pourtant renié trois fois son maître. Au contraire, comme Pierre, croyons d’abord ; et alors nous deviendrons nous-mêmes des signes pour les autres, sans nous en rendre compte. La résurrection ne se prouve pas mais elle se voit par ses effets dans une vie, par la transformation qu’elle opère. Plus nous croirons humblement et concrètement à la victoire de la Vie sur la mort dans nos existences, plus notre vie changera peu à peu. Et plus nos paroles seront ajustées à ce que nous vivons. C’est bien la foi qui fait de nous des témoins humbles et fiables, des témoins crédibles car non pas prétentieux.

Voilà la vraie joie, celle qui n’est certes pas sensible, mais celle qui ne déçoit pas. C’est la joie de la foi, celle que personne ne pourra nous ravir. C’est la joie pascale, à la fois humble et complète, celle qui nous suffit. Amen

fr. Jean-Alexandre de l’Agneau - (Couvent d’Avon)
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