Homélie de la Sainte Trinité : « Vivre sous les étreintes divines »

donnée au couvent de Lisieux

Textes liturgiques de Pentecôte : Ex 34, 4-6.8-9 ; 2 Co 13, 11-13 ; Jn 3, 16-18

« Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint Esprit soient toujours avec vous » (2 Co 13, 13). Avec ces mots de saint Paul, tout le mystère est proclamé.

Au cours de ce week-end carmélitain, nous avons évoqué la belle figure d’Élisabeth de la Trinité, qui fut l’une des premières lectrices d’Histoire d’une âme. Élisabeth, qui a été canonisée le 16 octobre 2016, est très précieuse pour notre temps, car sa vie et ses écrits nous invitent à vivre de la vie trinitaire.

J’ai été marqué lors d’une rencontre avec un homme qui s’était converti à l’Islam de l’entendre dire que s’il était devenu musulman, c’est parce que c’était plus simple, parce qu’il n’arrivait pas à comprendre le mystère de la Trinité. Justement Elisabeth nous montre que ce mystère ne s’adresse pas d’abord à notre intelligence ou à notre entendement, même s’il nous faut pouvoir en rendre compte, il s’agit en premier lieu d’une expérience, d’une vie à partager.

Peu avant d’entrer au Carmel et après avoir longuement parlé avec le Père Vallée, Élisabeth Catez révèle à son ami le Chanoine Angles, le nom qui sera le sien au Carmel : Marie-Elisabeth de la Trinité et elle précise : « J’aime tant ce mystère de la Sainte Trinité, c’est un abîme dans lequel je me perds. » (Lettre 62) Un an plus tard, elle écrit à son amie Germaine de Gemeaux : « Si vous voulez bien me donner votre âme, je la consacrerai à la Sainte Trinité afin qu’elle vous introduise dans la profondeur du Mystère, et que ces Trois que nous aimons tant toutes deux soient vraiment le centre où s’écoule notre vie !  » (L 136) Quelques années plus tard, elle écrit à Madame de Sourdon : «  Dès ici-bas, il nous permet de vivre en son intimité, et nous commençons en quelque sorte notre éternité, vivant en “société” avec les trois Personnes divines. » (L 223)

À travers ses quelques extraits, nous sentons bien que pour Elisabeth, la Trinité est un mystère de vie, de relation. Il y a là tout une dynamique dans laquelle elle se laisse emporter et dans laquelle elle voudrait voir ses divers correspondants s’immerger.

La Sainte Trinité est pour Elisabeth : « Notre demeure, notre “chez nous”, la maison paternelle d’où nous ne devons jamais sortir. » (Ciel dans la Foi, n° 2)

Nous savons bien que c’est au moment de notre baptême que la Trinité Sainte vient faire sa demeure au plus intime de notre être et qu’alors nous sommes invités à demeurer au sein des Trois.

Dans les lettres écrites lors de la naissance et du baptême de sa nièce Elisabeth, elle insiste particulièrement sur cette réalité. Dans l’un de ses traités spirituels, elle écrit : « C’est le baptême qui t’a faite enfant d’adoption, qui t’a marqué du sceau de la Trinité. » (Grandeur de la Vocation, n° 9)

Ce qui est véritablement en jeu, c’est notre sanctification, notre divinisation. Par le baptême nous sommes “épousés” : « C’est le Père, le Verbe, l’Esprit envahissant l’âme, la déifiant, la consommant en l’Un par l’amour.  » (Note Intime, n° 13)

Cette vie trinitaire nous la vivifions en nous par l’écoute et la méditation de la Parole : « C’est toute la Trinité qui habite dans l’âme qui l’aime en vérité, c’est-à-dire en gardant sa parole.  » (Dernière Retraite, n° 28)

Par l’écoute du Verbe de Dieu, de Bien-Aimé, crucifié par Amour : «  Demeurons toujours unies au pied de la Croix, restons silencieuses auprès du divin Crucifié et écoutons-le. Tous ses secrets, Il nous les dira, c’est Lui qui nous conduira au Père, à Celui qui nous a tant aimées “qu’Il nous a donné son Fils unique”. » (L 58)

Se laisser emporter par le Fils vers le Père dans le souffle de l’Esprit. C’est bien ce que nous vivons au cours de cette célébration Eucharistique dont Élisabeth précise : « Rien ne dit plus l’amour qui est au cœur de Dieu que l’Eucharistie » (L 165). Élisabeth nous invite à vivre au sein des Trois et à nous « livrer à leur action créatrice » (Note Intime n° 15)

Il s’agit donc de « faire la volonté de ce Père qui nous a aimées d’un éternel amour. » (L 138) Pour cela, il faut laisser le Père « nous couvrir de son ombre » (Cf. L 246, L 269, L 278), « se pencher sur nous » (L 231, NI 15). Ainsi il nous « communiquera sa puissance pour que nous l’aimions d’un amour fort comme la mort. » (L 269)

Pour pouvoir rendre à Dieu “amour pour amour”, il faut que le Père nous communique sa puissance d’amour. Il faut le laisser se pencher sur nous, nous couvrir de son ombre… N’est-ce pas là l’essentiel de nos temps d’oraison. Permettre au Père « de contempler en nous son Verbe adoré » (L 121) Devenir ainsi fille et fils du Père dans le Fils Unique.

Ce Fils Unique qui « imprime en notre âme comme en un cristal l’image de sa propre beauté » (L 269), « qui nous conduit au Père » (L 58), «  qui s’épanche dans l’âme comme au sein du Père avec la même extase d’infini amour. » (Note Intime n° 13)

Nous percevons bien ici, qu’Elisabeth nous entraîne au sein même de la vie Trinitaire. Alors survient l’Esprit «  pour opérer le grand mystère » (L 246), pour « nous transformer » (L 269), « pour faire de notre cœur un petit foyer qui réjouisse les Trois Personnes divines par l’ardeur de ses flammes. » (L 278) Il faut se laisser « emporter par l’Esprit d’amour » (L 194) pour que l’Esprit « nous révèle cette présente de Dieu en nous » (L 273) et nous fait « pénétrer les profondeurs insondables de l’être divin » (L 274) pour que finalement il nous «  transforme en Dieu. » (L 239)

C’est cela se « livrer à l’action créatrice des Trois » (Note Intime, n° 15), c’est finalement laisser notre vie s’écouler sous les étreintes de la Sainte Trinité (cf. L 246)

Pour conclure, contemplons un instant cette vie intra-trinitaire : le Père, de toute éternité est Père, et il livre tout ce qu’il a, tout ce qu’il est pour engendrer son Fils. Le Fils tourné vers le sein du Père se reçoit totalement de son Père. En réponse à se don, il se donne avec tout ce qu’il a et tout ce qu’il est pour que le Père soit Père. De ce mouvement de don mutuel et permanent, d’oubli de soi, de livraison de soi à l’autre jaillit l’Esprit d’Amour. Cette circulation d’amour qui se vit de toute éternité au sein des Trois et qui a conduit à l’acte Créateur puis à l’acte Rédempteur.

Il me semble que notre sœur Elisabeth l’a non seulement comprise, mais qu’elle y a participé intensément et intimement. C’est là, je crois la source de la grande grâce qui donna naissance le 21 novembre 1904 à sa magnifique prière à la Trinité. En donnant sainte Élisabeth de la Trinité à l’Église, à l’Ordre du Carmel, Dieu nous fait une très grande grâce, car en lisant, en méditant, en vivant sa prière à la Trinité, nous sommes emportés dans la dynamique d’amour trinitaire, nous vivons au sein des Trois.

Alors, frères et sœurs, en cette fête de la Sainte Trinité : “donnons-lui notre âme, pour qu’elle nous introduise dans la profondeur du Mystère et que les Trois soient vraiment le Centre où s’écoule notre vie” (Cf. L 136) C’est là «  notre “chez nous”, la maison paternelle d’où nous ne devons jamais sortir. » (Ciel dans la Foi, n° 2) Amen

fr. Didier-Marie de la Trinité - (Couvent de Lisieux)
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