Le choix radical d’être disciple (Homélie 13° dim. TO)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : 1 R 19, 16b.19-21 ; Ps 15 (16), 1.2a.5, 7-8, 9-10, 2b.11 ; Ga 5, 1.13-18 ; Lc 9, 51-62

« Je te suivrai, Seigneur. » Peut-être que comme ces deux personnes anonymes de l’évangile, nous avons déjà clairement exprimé au Christ notre décision de le choisir comme Maître et de devenir son disciple, bref de le suivre. En tout cas, c’est ce que nous faisons chaque dimanche par notre profession de foi de disciples du Seigneur. Mais mesurons-nous bien à quoi nous nous engageons ? Les textes de ce dimanche nous aident à reprendre conscience de la radicalité de la vie chrétienne à travers trois mots : priorité, mouvement et liberté.

Le discours de Jésus ne souffre aucune ambiguïté : devenir chrétien implique des choix et donc des renoncements. Nous ne sommes plus au temps des prophètes Élie et Élisée quand dans la 1re lecture, Élie laisse son futur disciple prendre son temps pour marcher à sa suite. Avec Jésus qui est un nouvel Élie, il y a urgence pour le suivre et travailler à son Royaume. Nous sommes ici dans un tournant de l’évangile selon saint Luc où Jésus vient d’annoncer sa passion et sa résurrection à ses disciples et prend avec résolution le chemin de Jérusalem. Le choix est posé : personne n’empêchera le Fils d’aller au bout de sa route et de livrer sa vie par amour. Et ceux qui l’accompagnent doivent donc marcher avec la même détermination, cette détermination si chère à sainte Thérèse d’Ávila pour ceux qui s’engagent sur le chemin de la prière : « Je le répète, ce qui est d’une importance majeure, d’une importance capitale, c’est d’avoir une résolution ferme, une détermination absolue, inébranlable, de ne pas s’arrêter avant d’être parvenu, quoi qu’il arrive ou puisse survenir, quoi qu’il en puisse coûter, quelques critiques dont on soit l’objet, qu’on doive arriver au but ou mourir en chemin, accablé sous le poids des obstacles, quand le monde enfin devrait s’effondrer ! » (Chemin V 21,2)

Ces choix concrets concernent beaucoup d’aspects de la vie mais l’évangile d’aujourd’hui souligne surtout les liens familiaux : le choix d’être disciple de Jésus relativise les liens du sang. Relativiser, ce n’est pas effacer ou oublier mais resituer à sa juste place, à savoir la deuxième. Le lien le plus viscéral n’est plus celui avec ses parents mais avec Jésus. Celui qui ne préfère pas Jésus à tous les autres ne peut être son disciple. Cette affirmation choque depuis deux mille ans mais nous ne pouvons pas l’effacer. Ou nous plaçons le Seigneur à sa place, qui ne peut être que la première dans nos vies, ou nous ne le traitons pas vraiment pour qui il est, le Seigneur. Et alors nous ne serons pas vraiment ses disciples et nous nous étonnerons du fait que la foi chrétienne ne nous transforme pas beaucoup. Certains d’entre vous savez pourtant combien le choix d’être chrétien, s’il conduit à des ruptures, renoue aussi d’autres liens et apporte une joie profonde. « Mon cœur exulte, mon âme est en fête », chante le psalmiste.

Le deuxième mot important est celui du mouvement. Le passage d’évangile d’aujourd’hui est très dynamique : il faut imaginer Jésus en train de marcher vers Jérusalem et des individus anonymes qui viennent à sa rencontre à chaque étape. A celui qui lui affirme qu’il le suivra partout où il ira, Jésus avertit qu’il n’a pas de lieu où se reposer. Il a déjà quitté Nazareth et plus fondamentalement il est sorti du foyer du Père des cieux. Jésus n’a plus de stabilité extérieure à offrir à ceux qui le suivent, ce qui est franchement insécurisant. C’est un aspect que le pape François a beaucoup souligné au début de son pontificat, au risque de déboussoler certains croyants qui réduisent la foi à un savoir sur Dieu ou à un code moral. Le propre du chrétien n’est pas de savoir des choses sur Dieu et le sens de la vie et de les asséner au monde, du haut de son piédestal. C’est la capacité à se remettre perpétuellement en cause par amour car le chrétien se rend compte de plus en plus qu’il doit annoncer l’Évangile, mais qu’en même temps, il y a un écart entre ce qu’il dit et ce qu’il vit. Pourtant cet écart est justement le lieu source de l’humilité, cette humilité qui évangélise beaucoup plus que des sermons ou des catéchèses. Le disciple de Jésus est toujours en mouvement, mouvement vers les autres car il est missionnaire mais surtout mouvement en lui-même car en voie de conversion. Quand un chrétien ne se remet plus en cause, il est probablement devenu un pharisien, l’ennemi le plus redoutable de Jésus.

Et le plus salutaire pour nous est peut-être de reconnaître que dans chacun de nos cœurs, un petit pharisien sommeille : celui qui veut faire la leçon aux autres avant de balayer devant sa porte. Pourtant, ce mouvement ne doit pas nous inquiéter. Car c’est dans ce mouvement même que nous trouverons une vraie stabilité, et non en nous accrochant à des savoirs, des définitions ou des murs. « La vraie sécurité, nous dit encore sainte Thérèse, c’est d’essayer d’aller loin dans les chemins de Dieu. » (Vie 35, 14) C’est paradoxalement en vivant des déplacements intérieurs et extérieurs que nous nous enracinons plus en Dieu et que notre stabilité est assurée. Cette stabilité née du mouvement est aux antipodes de la rigidité humaine ; elle a un goût spirituel car elle est un don de l’Esprit, ce Souffle divin qui assouplit nos raideurs.

C’est ce même Esprit Saint qui nous dévoile le troisième mot du disciple : la liberté. La 2e lecture offre une magnifique synthèse de l’itinéraire chrétien : passer de l’esclavage à la liberté des enfants de Dieu. Cela se réalise quand nous changeons de maître ; car nous avons toujours un maître. Il peut être une idéologie, une célébrité, une image ; mais surtout notre ego, le moi je que Paul appelle la chair. L’Évangile nous invite à changer de maître, à briser les jougs de notre tyran intérieur pour choisir d’écouter la voix du bon Jésus, le Maître doux et humble. C’est le chemin des disciples de l’évangile : Jacques et Jean sont ainsi au service de leur petit pouvoir. Ils ont bien lu la vie d’Élie et d’Élisée qui faisaient en effet descendre le feu sur leurs ennemis. Et les voilà en train de rêver de super pouvoirs pour régler leurs comptes à ses hérétiques de samaritains. Ce sont pourtant eux qui sont esclaves de leurs petits fantasmes despotiques. Il leur faudra apprendre à suivre Jésus puis à se laisser guider par le Maître intérieur qu’est l’Esprit Saint pour qu’ils deviennent vraiment libres, libres pour aimer, libre pour servir dans la joie. Et nous avons-nous-mêmes à vivre ce même chemin de liberté avec Jésus et son Esprit pour pouvoir aimer notre prochain comme nous-mêmes.

Choisir de demander le baptême ou de se l’approprier s’il est resté un peu enfoui depuis notre enfance, est donc une vaste aventure. Aventure qui nous aide à prioriser sur l’essentiel, qui nous met en mouvement dans une stabilité spirituelle et qui nous apporte le goût de la vraie liberté. Que cet été nous aide donc à revenir aux fondamentaux de notre vie. Demandons ainsi la grâce au Seigneur de pouvoir lui dire en vérité, avec le psaume : « Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. » Amen

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau, ocd - (couvent d’Avon)
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