Méfions-nous de nos crèches (Homélie Epiphanie)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Is 60,1-6 ; Ps 71 ; Ep 3, 2-3a.5-6 ; Mt 2,1-12

Méfions-nous donc de nos crèches. Ou alors que, comme en Provence, nos crèches soient vivantes, dynamiques ! Car ces représentations de Noël pourraient nous laisser croire que célébrer la naissance du Seigneur et son épiphanie, sa manifestation, consiste à être figés un moment et puis de repartir, comme si de rien n’était. Comme si Noël n’était qu’une pause, un break dans une vie agitée. Or si la fête que nous célébrons nous conduit en effet devant la crèche, c’est à travers tout un chemin, une route qui ne doit pas nous laisser indemnes. Retenons trois mots pour ce cheminement : le bouleversement ; l’adoration ; le retournement.

Quand Dieu s’invite dans une vie, cela produit nécessairement un bouleversement. Celui-ci peut être immédiat ou prendre du temps ; il peut être doux ou fort, en fonction de nos résistances, mais nul ne peut y échapper. Même la Vierge étrangère au péché a été bouleversée à la salutation mystérieuse de l’ange Gabriel. Combien plus les pécheurs que nous sommes devant le Dieu très saint. En tout cas, cela s’est produit avec Hérode et « tout Jérusalem avec lui  ». Dans le calme et l’ordre apparent qui semblent régner, Dieu s’invite et est annoncée la naissance du roi des Juifs à travers un astre. Hérode est atteint ; nous n’apprendrons que plus tard que ce bouleversement ne le conduira pas à l’adoration mais à la jalousie et à la destruction. Hérode se sent menacé par cet enfant qui pourrait lui ravir la couronne…

Mais en soi, le bouleversement ne dit rien de ce qui habite le cœur humain : la joie ou la tristesse, l’amour ou la haine. Il dit simplement que nous sommes touchés en profondeur par un évènement. Un évènement grand ou petit mais qui vient faire vaciller nos certitudes installées et nos routines habituelles. Quelque chose se produit de nouveau et nous déstabilise. Dieu vient. Il a déjà bouleversé le cœur de Marie, le cœur de Joseph, celui des bergers. Et vient le tour des mages. Et c’est en effet un bouleversement car à travers ce récit, nous est révélé, nous dit saint Paul, le mystère. Non pas un mystère, mais le mystère : le fait que toutes les nations sont concernées par le salut de Dieu. Ce qui a été promis à Israël est offert à toute la planète : le Sauveur qui est né est celui de tous les peuples. C’est un bouleversement extraordinaire des certitudes religieuses : nous ne pouvons être que bouche bée. La bonté de Dieu surpasse tout ce que nous pouvions imaginer : nous sommes invités, chacun de nous, à venir devant la crèche. Nous sommes tous concernés par cette naissance, invités à venir. La visite est attendue et cela devrait nous bouleverser, si notre cœur est ouvert !

Ce bouleversement doit en effet conduire à un déplacement. Quelque chose bouge et nous pousse vers Bethléem. Jérusalem est décentrée d’elle-même et de sa gloire : l’Enfant naîtra ailleurs, dans une petite ville. Et avec les mages, nous sommes conduits devant l’Enfant pour le reconnaître comme notre roi. Et ce signe de reconnaissance s’exprime par le fait de se prosterner devant lui en signe d’hommage, de l’adorer peut-on aussi dire. Adorer non pas de manière convenue et pour respecter les codes culturels. Mais adorer parce que notre cœur a été atteint, touché par cet enfant. Pas d’adoration vraie sans expérience de bouleversement.

Plus nous nous laissons rejoindre par le mystère de Noël, par l’abaissement de Dieu en un bébé, plus nous ne pouvons à notre tour que nous abaisser. L’abaissement appelle l’abaissement, de même que l’amour appelle l’amour. Il faut venir devant la crèche pauvrement et humblement, le cœur tout navré d’amour pour ce que Dieu a déjà fait pour nous. Et nous pouvons alors adorer l’Enfant-Dieu dans un profond silence. Et nous pouvons lui offrir en signe de reconnaissance non pas telle ou telle chose mais nous-même : voilà le plus beau cadeau. Peut-être que ce cadeau passera par l’offrande de nos peurs ; car comme Hérode, nous avons parfois peur que Dieu ne nous prenne notre liberté, nous empêche de vivre. Mais comme dit Petite Thérèse, comment pouvons-nous craindre un Dieu qui pour nous s’est fait si petit et vulnérable ? Dépouillons-nous de nos peurs et de nos résistances et laissons-nous aimer par l’Enfant. Prenons-le dans les bras et taisons-nous. Adorons en silence.

Si nous faisons cette expérience, nous découvrirons peut-être que quelque chose a changé en nous. Ce bouleversement initial n’était pas que de l’émotion : il a conduit à une expérience, une rencontre secrète et à un retournement. Il y a bien un chemin de retour à prendre car on ne peut rester toute sa vie devant la crèche. Mais comme les mages, nous pouvons décider de regagner notre pays par un autre chemin. Par une autre façon de vivre. Désormais, plus rien ne sera comme avant : nous avons été visités par l’Enfant-Dieu ; il a vaincu nos résistances ; nous ne pouvons plus vivre comme avant. Nous voulons vivre pour Lui. Nous voulons l’adorer, non plus un instant ou de temps à autre, mais à chaque instant de notre vie, par tout ce que nous faisons de grand et de petit. L’adorer en esprit et en vérité partout où nous serons conduits. Pour cela, nous n’avons plus besoin d’étoile. Comme le dit l’oraison liturgique, la foi nous suffit : c’est elle qui nous conduit sur le bon chemin, vers la lumière éternelle. Elle est la lumière du cœur qui ne nous quitte jamais.

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau , ocd - (couvent d’Avon)
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