Frères et sœurs, qui est ce Théophile à qui Luc adresse son Évangile ? Un chrétien ou un païen qui voudrait savoir quelque chose de Jésus ? Un destinataire inconnu ? Ou encore un groupe d’amis, une communauté ? Toutes ces hypothèses sont possibles, mais aucune ne réunit assez de raisons pour l’emporter sur les autres ?
Quoi qu’il en soit, le nom que Luc a choisi n’est pas anodin. Théophile, de deux mots grecs, est celui que « Dieu aime », ou, si l’on veut, « l’Aimé de Dieu ». Un nom que l’on peut donner à tout homme, car Dieu aime tous les hommes. Luc veut annoncer la Bonne Nouvelle à son destinataire mais est-il meilleure nouvelle que de l’appeler Théophile, « Dieu t’aime » ? Quand il le nomme ainsi, n’a-t-il pas dit l’essentiel ? Pas tout à fait car Jésus ajoutera : « Puisque Dieu t’aime, aime aussi tous les hommes. Et c’est ainsi que tu aimeras ! ».
Alors nous, rassemblés dans cette chapelle, nous les « bien aimés de Dieu », recevons cette Parole, la Bonne Nouvelle de l’Évangile, elle est cadeau de Dieu pour ses enfants. Interrogeons-nous quelques instants sur ce bienfait de Dieu à ses enfants : comment recevons-nous la Parole, toute Parole de Dieu ? Comment est-elle pour nous aliment de vie spirituelle ?
Un moine du début du monachisme disait à son disciple : « Quand on entre chez toi, on devrait remarquer le Livre de la Parole ouvert. Elle est la source, la référence, la mesure. Tu n’as pas le bonheur de posséder le Saint Sacrement chez toi, mais tu as chez toi les saintes Écritures à ta libre disposition : c’est ton tabernacle à domicile. Veille en particulier à ne pas traiter ce livre-là comme les autres livres. C’est sur ce livre-là que tes yeux devraient se poser dès ton réveil ; c’est encore le dernier livre sur lequel tu devrais t’endormir le soir ».
Que faisons-nous de la Parole de Dieu ? Aujourd’hui nous pouvons accéder au message de l’Évangile très facilement : nombreuses sont les éditions et toujours abordables. Mais comment sommes-nous destinataires de la Parole ? Il nous faut acquérir une mentalité de destinataire, c’est-à-dire être persuadé que l’Écriture nous est personnellement adressée. Le Livre est écrit pour nous. Écrit pour nous quelque que soit notre recherche spirituelle ou notre place dans l’Église, avec ce que notre humanité traverse aujourd’hui en joie ou peine, la Parole de Dieu m’est adressée en particulier. L’accueil et la méditation de la Parole de Dieu sont les lieux d’une rencontre personnelle avec « Celui qui me parle ».
A la lecture livresque, superficielle, doit alors se substituer une lecture-contact, une lecture-rencontre. Je suis, nous sommes les destinataires de l’Écriture. Le seigneur nous ouvre chaque matin le jardin de ses Écritures et une voix intérieure nous y crie : « Prends, lis ! Prends, lis ! ».
La Bible nous raconte notre propre histoire, depuis notre genèse jusqu’à notre apocalypse. Abraham, Moïse, David, les prophètes et les apôtres nous sont, après tout, plus contemporains que les grands noms de l’actualité car nous vivons chaque jour avec ces noms de l’Histoire sainte et nous lisons dans leur histoire éternellement neuve et vraie, l’histoire de notre vocation, de notre péché, de notre repentir. Regardons Jésus entrant dans la synagogue de Nazareth. On lui présenta le « rouleau du livre ». Pour chacun de nous comme pour Jésus, l’ouverture et la fermeture du Livre doivent être des actes solennels. Mais remarquons surtout le commentaire que fait immédiatement Jésus du passage qu’il vient de lire : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture. ». Jésus avait pleinement conscience de ce que la prophétie d’Isaïe trouvait aujourd’hui en lui son accomplissement pour ceux qui l’écoutaient, chez lui, dans ce village de Nazareth.
Ainsi en va-t-il pour nous chaque fois que nous ouvrons l’Écriture ; chaque matin nous devons avoir la certitude qu’aujourd’hui ce passage de l’Écriture s’accomplit pour nous en Jésus-Christ, qu’il n’est pas un seul mot de ce que nous lisons qui ne soit écrit pour nous. Aujourd’hui, en ce jour, le Père me parle en son Fils bien aimé. Alors se pose une question que personne d’autre que nous peut répondre. Avons-nous vraiment faim de la parole de Dieu ? Nous savons bien que le manque d’appétit est souvent signe de faiblesse ou de maladie. Celui qui écourte sa lecture de la Parole de Dieu, qui la bâcle, qui prend le pli de s’en dispenser deviendra vite un sous-alimenté et succombera à la sécheresse, à l’anémie…et l’anémie spirituelle.
Si la question « Avons-nous vraiment faim de la Parole ? » se pose, une autre interrogation doit accompagner notre réflexion : aujourd’hui, avons-nous vraiment mangé le Livre ? Mais qui dit manducation de la Parole de Dieu sous-entend toute la fonction nutritive de cet aliment, de la Parole Sainte. Comment cette Parole poursuit-elle son chemin jusqu’au cœur de l’homme et y demeure, laissant la place au seul silence dans lequel s’achève et se parfait l’écoute de la Parole. Alors Oui, cette semaine, « mangeons le Livre ! » Que la Parole parvienne lentement jusqu’à notre cœur. Dieu veut y demeurer pour nous enseigner. Laissons Dieu nous parler et nous former. Il cherche toujours des disciples qui accepteront de Le suivre sur les chemins de l’existence. En serons-nous ?