Nuit de Noël 2008 ; Lc 2, 1-14

Jésus inaugure la voie d’enfance spirituelle.

Nous voici donc ce soir réuni autour de la crèche, autour de l’enfant Jésus dont nous célébrons la naissance en cette sainte nuit de Noël. Ce petit enfant né à Bethléem, c’est notre grand Dieu et Sauveur, celui que le livre d’Isaïe saluait depuis des siècles comme « merveilleux Conseillé, Dieu fort, Père à jamais, Prince de la paix ! » Quel contraste entre tant de faiblesse humaine et tant d’espérance.

En réalité, il me semble qu’il n’y a pas de moments de la vie de notre Seigneur qui nous laisse autant dans l’interrogation et l’émerveillement. Car lorsque les Évangiles nous montrent Jésus enseignant ses disciples, guérissant ceux qui s’approchent de lui, ou menaçant les scribes et les pharisiens, et même ressuscitant, tout cela, tout extraordinaire que ce fût, ne nous paraît pas, en définitive, contrevenir avec la dignité et la puissance que nous prêtons au Verbe de Dieu, à son œuvre de salut, dès lors que nous croyons en lui. Nous ne nous étonnons pas de le voir se mêler à notre vie et de manifester parmi nous sa puissance. Car s’il est venu sur terre pour nous apprendre qui nous sommes, d’où nous venons et notre destinée divine, ces manières-là d’être Dieu parmi nous, dans l’ordinaire ou l’extraordinaire, nous semble d’une certaine conforme à sa mission.

Certes, cela aboutit à la croix, au mystère pascal, qui selon l’expression de saint Paul est un scandale pour les juifs et une folie pour les païens. Néanmoins, nous parvenons à concevoir dans la foi cette suprême marque d’amour puisque Jésus le disait lui-même qu’« il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ce qu’on aime ». Que Jésus nous ait aimés jusque-là est bouleversant, mais cette folie de la croix est d’une certaine manière compréhensible. Tandis que l’enfance du Fils éternel du Père, quoi de plus stupéfiants ? Comment accueillir le Tout-Puissant qui a créé le ciel et la terre et ce petit enfant gémissant dans la mangeoire, abandonnée dans les bras de sa mère.

Il y a là comme une divine surprise. En acceptant de passer par les âges de l’enfance, Dieu se met à la merci des hommes, inoffensif, désarmés, sans défense. Dieu est devenu un bébé qui a besoin de l’homme pour survivre. L’enfant-Dieu qu’une femme peut prendre dans ses bras, comme d’ailleurs elle le saisira dans quelques années au pied de la croix. Dans l’enfant Jésus, la toute-puissance de Dieu se révèle sans agressivité ni capable de résistance, totalement vulnérable. Il ne peut lancer que quelques cris pour exprimer ses désirs et ses besoins que seuls les hommes pourront soulager. Cette vulnérabilité se manifestera particulièrement dans l’épisode du massacre des saints innocents auquel il échappera de justesse. Dieu vulnérable aussi dans son besoin d’amour, en quête d’un sourire rassurant de sa mère, d’une caresse apaisante de son père, de soins pour le garder bien au chaud. Au regard de l’œuvre de salut à réaliser, il y a une prise de risque qui manifeste, en contre-point, la confiance du Seigneur.

La divine surprise de Noël, c’est cet enfant nouveau-né, rien de plus, sachant que tout le potentiel d’amour Sauveur pour l’humanité est tout simplement entre nos mains. Il nous faut faire un certain effort non seulement de l’intelligence, mais aussi du cœur pour pouvoir percer ce mystère de l’enfance divine. C’est une véritable conversion que chaque génération de chrétiens à accomplir pour accueillir et comprendre les manières de Dieu. Dans la foi, nous cherchons à comprendre ce qui nous est enseigné là par ce mystère que l’esprit de l’homme n’avait pu imaginer.

La vie de Jésus nous manifeste deux manières d’aimer qui ne sont pas exclusifs l’une de l’autre, mais se complètent et s’enrichissent. On peut aimer et aimer jusqu’au bout, de façon visible et magnifique dans le geste du témoignage suprême de la croix, cet exemple qui a conduit bien des martyrs à la suite de Jésus lui-même. Et il y a une autre manière, celle qui consiste à donner sa vie à la manière d’un petit enfant livré aux mains de ses parents. Cette manière d’aimer est plus secrètes mais non moins bouleversante surtout lorsqu’il s’agit de Dieu. La vie de Dieu nous est ici non seulement donnée mais comme abandonnée. Il faut un amour fou et une confiance inébranlable pour oser se livrer ainsi entre les mains des hommes.

Il y a pour nous dans ce mystère une source d’étonnement et d’émerveillement qui nourrit notre prière et notre contemplation et qui nous appelle aussi à une conversion. Car l’amour appelle l’amour, l’amour ne se paye que par l’amour, mais ainsi Dieu nous enseigne par ce mystère une manière d’aimer, il nous appelle à aimer à la manière dont lui-même nous aime. Quand Jésus nous dit de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, ce n’est pas seulement en référence avec le mystère pascal, mais aussi dans son mystère d’incarnation. Si Dieu s’est fait enfant devant nous, n’est-ce pas pour inaugurer lui-même la voie d’enfance spirituelle, pour nous inviter à devenir nous-mêmes enfants puisque le royaume est à ceux qui leur ressemblent. Et notre petite Thérèse de l’Enfant-Jésus s’en fait l’écho : « Ô Jésus ! Que ne puis-je dire à toutes les petites âmes combien ta condescendance est ineffable… Je sens que si par impossible Tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, Tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie. » (Autobiographie, Fin du Ms B).

En définitive, nous ne perçons le mystère de notre foi chrétienne, le mystère de Dieu, non seulement à la lumière du mystère pascal, mais aussi à la lumière du mystère de Noël. Il s’agit d’apprendre à aimer à la manière dont le Seigneur nous a aimés et manifestés son amour dans l’enfant de la crèche. C’est-à-dire de retrouver la grâce de la dépendance, de la vulnérabilité, de la confiance, d’une pureté et d’une certaine naïveté de cœur qui sont les marques propres de l’enfant, de cet enfant de Bethléem. Nous ne serons peut-être pas compris de nos contemporains, qui nous considéreraient comme de doux naïfs. Mais la tragique naïveté n’est-elle pas plutôt celle de ceux qui pensent que l’homme est suffisant à lui-même ? Car l’homme est fait pour Dieu et en dehors de lui, il perd une dimension essentielle de son humanité. Et c’est devant Dieu et par Dieu que nous apprenons qui nous sommes, que nous devenons ce que nous sommes.

L’acceptation humble et confiante de notre dépendance, de notre état d’enfant envers notre Père du ciel, nous place dans une situation vraie envers lui et entre nous pour manifester un amour authentique. Je me remets entre tes mains Seigneur, comme tu as osé te remettre entre nos mains en cette nuit de Noël.

Fr. Antoine-Marie Leduc, o.c.d.

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