Saint Sacrement 2009

« Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson ». La nourriture et la boisson, deux choses qui nous sont familières et quotidiennes. Personne ne peut s’en passer long temps sans risquer la mort. La vie qui nous a été donnée à notre conception est entretenue par la nourriture et la boisson quotidiennes. On peut donc aisément tisser des liens symboliques entre le pain, le vin et la vie : le pain, en tant qu’aliment de base, le vin, en tant que boisson de fête, et la vie, comme don le plus précieux. Or dans l’Evangile, Jésus associe ses symboles à d’autres réalités plus crues : la chair et le sang, et même sa chair et son sang. Pourquoi rapprocher ces réalités si familières, la nourriture et la boisson, avec celles si crues de la chair et du sang ?

En Jésus, la vie divine se rapproche de l’homme par ce qu’il y de plus commun. Cette vie divine a déjà pris notre humanité pour cheminer un temps sur cette terre. Partager la nourriture et donner son sang sont des gestes qui unissent les personnes bien au-delà de la matérialité des gestes posés. Notre langue a conservé cette force du geste symbolique notamment dans les termes de compagnon et de copain où l’amitié s’exprime par cette référence au pain partagé ensemble. Partager le pain, comme toute nourriture, construit une relation d’intimité, que dire dès lors du partage du sang que se soit sur un lieu de combat ou dans la lutte contre la maladie !

Déjà dans la première alliance, la sagesse divine invitait les hommes à manger son pain et boire son vin pour acquérir l’intelligence, notamement dans le livre des Proverbes (9, 1-6). Le compagnonnage de l’homme et de Dieu dans une relation familière et intime est le lieu incontournable de la croissance spirituelle. Comme nous le dit Sainte Thérèse d’Avila dans un adage bien connu, la prière n’est ni plus ni moins que cette relation d’amitié où l’homme et Dieu s’entretiennent. Notre évangélisation passe par le compagnonnage avec le Seigneur, Père, Fils et Esprit Saint. Si Dieu n’est pas notre copain au sens vulgaire du terme, il est notre compagnon de route au sens noble. Nous répondons à son invitation à partager son pain et son vin pour entrer dans son alliance. Nous retrouvons dans nos célébrations eucharistiques cette dynamique du compagnonnage avec le Seigneur : l’écoute de la Parole de Dieu et le partage du pain et du vin nous font réaliser l’invitation du livre des Proverbes. La célébration de ce sacrement de l’Eucharistie, dans sa globalité, accomplit les promesses de Dieu pour notre salut. La Parole de Dieu écoutée, et le mystère de la foi célébré nous font entrer sur le chemin de la sagesse qui conduit à la vie éternelle.

Voilà donc une lecture, certes, juste mais quelque peu irénique au vu des mots employés par notre Seigneur dans l’Evangile. La communion interpersonnelle par le partage symbolique du pain et du vin, nous y adhérons tous facilement, paisiblement. Or les mots employés par Jésus et la foi proclamée dans nos Eucharisties renvoient à des réalités plus crues. Il ne s’agit pas de manger du pain quelconque et d’absorber un peu de vin, mais de mâcher une chair et de boire du sang. Il y a de quoi ébranler plus d’un homme vaillant, imaginons simplement un instant que la réalité spirituelle se manifeste matériellement à nos yeux qui de nous s’avancerait le premier pour communier ?

Il ne s’agit pas de tomber dans une présentation hyperréaliste de l’Eucharistie, qui serait d’ailleurs théologiquement fausse si elle aboutissait à confesser une anthropophagie. Mais nous devons aussi tenter de prendre la mesure de l’énormité de ce que nous vivons en ce moment, c’est-à-dire de la grandeur de notre Foi. « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». Il y a donc en nous une vie qui s’acquiert et se nourrit nécessairement de la chair et du sang du Christ Jésus. À côté de notre vie corporelle, physiologique, il y aurait une vie en nous dont l’aliment indispensable serait la chair et le sang du Dieu fait homme. Mais pourquoi nous faut-il recevoir cette chair et ce sang ? Et pourquoi Jésus présente-t-il cela comme une nécessité ?

La communion au corps et au sang du Christ s’inscrit dans la dynamique de notre salut, nous sommes sauvés en devenant fils adoptif de Dieu par Jésus-Christ. L’incarnation du Fils unique de Dieu, sa mort et sa résurrection conduisent tout homme qui croit et est baptisé à la filiation divine. Par Jésus, nous sommes introduits dans la vie divine. Or si cette vocation est réalisée par la foi et les sacrements, elle demande à se déployer dans toute notre vie quotidienne. Et la source de la grâce, c’est la personne même de Jésus, sa vie de la crèche à la croix.

La grandeur de notre vocation se réalise dans notre quotidien, jour après jour, ce que nous sommes est appelé à se déployer, même si elle ne s’accomplira qu’après le passage de la mort et notre résurrection personnelle. Notre participation plénière à la vie trinitaire passe par toutes ces étapes pour se réaliser. Mais pour l’instant, nous sommes encore confrontés aux grandeurs et aux servitudes de la vie quotidienne terrestre. Et nous devons vivre ici-bas des réalités d’en haut, certes, notre vie est désormais cachée en Dieu, mais nous sommes aussi bien vivants sur notre terre. Il est donc bon d’avoir à notre disposition un aliment de notre vie divine intérieur, un pain de la route spirituel, un vin de la fête des épousailles de l’humanité et de la divinité. Ce que nous recevons n’est pas étranger à ce que nous sommes, la vie divine que nous recevons nous est déjà présente, elle se nourrit et se renforce des dons de Dieu. Pour durer dans une vie de Foi, nous nous nourrissons de la vie même du Christ qui est sa chair et son sang. Pour vivre de la vie de Dieu, nous ne pouvons que la recevoir de Lui. C’est en recevant celui qui par nature est vrai Dieu et vrai homme que nous renouvelons notre grâce baptismale, vrai homme appelé à la vie divine.

Mais pourquoi avoir pris les symboles de la chair et du sang, l’Esprit du Christ n’est-il pas suffisant ? N’y a-t-il pas quelque chose de morbide ? Pour le moins, la chair et le sang lorsqu’ils sont séparés, comme sur l’autel, symbolise la mort. Quand le sang est en dehors du corps, c’est que la personne est morte. Cette réflexion est juste et justifie notre foi, car notre participation à la vie divine a comme source la Pâque du Christ. En effet, si tout homme peut désormais devenir fils adoptif par la Foi, c’est que le Christ Jésus est resté fidèle jusqu’à la mort. Par notre communion au corps et au sang de notre Seigneur Jésus, nous reconnaissons que c’est de sa mort que nous recevons sa vie. Pour revivifier notre baptême, nous sommes une nouvelle fois plongés dans la mort de Jésus, seul porte ouverte pour le salut de tous.

Ainsi en recevant le Christ en nos mains et en mangeant sa chair, nous confessons que c’est par Lui, avec Lui et en Lui que nous devenons louange de gloire pour Dieu Notre Père.

Fr. Antoine-Marie, o.c.d.

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