Solennité du Saint-Sacrement : Voir son amour !

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques : Dt 8, 2-3.14b-16a ; Ps 147 ; 1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58

La solennité liturgique de ce jour, à plus d’un titre, a de quoi nous étonner. En effet, au cours de la Semaine Sainte, nous avons déjà solennellement fait mémoire de l’institution de l’Eucharistie, lors de la célébration du Jeudi Saint. De plus, chaque messe dominicale, chaque messe quotidienne, est déjà en quelque sorte la fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Alors, pourquoi fixer dans le calendrier liturgique une solennité supplémentaire ? Peut-être pas seulement pour nous donner une occasion de culte extérieur plus solennel envers l’Eucharistie, mais, plus encore, pour nous faire entrer plus profondément dans l’intelligence du mystère de notre foi. En effet, dans le cycle de l’année liturgique, la solennité du Saint-Sacrement vient à point nommé.

Souvenons-nous : le temps de l’Avent nous a permis de rejoindre l’espérance des prophètes, l’espérance du peuple élu et, dans la compagnie de la Vierge Marie et de saint Joseph, d’accueillir le mystère de Noël, la venue du Sauveur. Le grand cycle du Carême, quant à lui, a culminé dans la célébration du Triduum pascal, mémoire de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Christ, pour le salut de tout homme. Les cinquante jours du Temps pascal n’étaient pas de trop pour nous accoutumer à cette vie nouvelle du Ressuscité et pour nous préparer à recevoir lors de la Pentecôte, le don de l’Esprit Saint, lui, l’Esprit de vérité qui nous rappelle tout ce que Jésus nous a dit, qui rend présent et actuel tout ce que Jésus nous a fait vivre depuis qu’il est entré dans notre monde, dans l’existence de chacun de nous. Alors nous avons pu, dimanche dernier, célébrer la solennité de la Sainte Trinité car, depuis le début de l’Avent jusqu’au jour de la Pentecôte, Dieu n’avait cessé de se révéler à nous, dans notre histoire humaine, tel qu’il est en lui-même : Père Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu.

N’aurait-il pas mieux valu s’en tenir là, au sommet du mystère, dans les profondeurs de l’amour de Dieu ?

Peut-être, mais l’amnésie ou l’endormissement spirituels nous guettent toujours, et nous pouvons entendre pour notre propre compte, l’injonction que Moïse adresse au peuple d’Israël de la part de Dieu, dans le Deutéronome : «  Souviens-toi… N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage  ». Comme en écho, dans son Chemin de perfection (33, 2), notre Mère sainte Thérèse fait, quant à elle, une audacieuse et originale interprétation de l’institution de l’Eucharistie par le Seigneur Jésus. En effet, lorsqu’elle médite la demande du pain quotidien dans le Notre Père – « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » – elle affirme : «  Il voyait qu’attendu notre peu d’amour et de courage, il nous était nécessaire de voir son amour pour nous réveiller, et non pas une seule fois, sinon chaque jour : c’est pour cela qu’il s’est déterminé à rester avec nous  ». En effet, l’Eucharistie est le mémorial de l’amour de Jésus qui réveille notre propre amour en nous mettant sous les yeux – « voir son amour » – sa vie livrée pour nous.

Le mystère de Dieu nous a été révélé, le cycle de la liturgie nous fait revivre chaque année les événements de cette révélation ; et la solennité du Saint-Sacrement nous rappelle que chaque jour, l’Eucharistie est la mémoire vive de l’amour de Jésus pour le monde. Mémoire vive de son amour, amour qui est allé jusqu’au bout lors de sa Passion, et amour qui animait son Cœur dès son entrée dans le monde. Jésus n’a pas commencé à nous aimer le soir de la dernière Cène, il nous a aimés à chaque pas de son existence terrestre. Jésus nous a sauvés par sa Passion et sa mort sur la Croix, par sa vie tout entière, qui culmine dans l’offrande de la Croix, et qui depuis le commencement était une offrande au Père et un dévouement total à toute personne. Sa vie tout entière : son corps et son sang offerts à chaque instant de son existence, avant même que son corps ne soit livré et son sang versé dans la violence de la Passion – avant même la Passion et, bien sûr, jusque dans la Passion. Lors de la célébration de l’Eucharistie, nous avons la claire vision – dans la foi – de la vie livrée de Jésus, vie livrée par amour pour que toute personne soit sauvée, bénéficie de la communion la plus intime avec le Père dans l’Esprit.

Et cette vie livrée, elle nous nourrit, elle se mange, elle est une nourriture et une boisson. Le Seigneur vient de nous le redire : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde  ». Nous sommes-nous déjà posé au sujet du Seigneur, vraiment, la question que ses auditeurs d’autrefois se posaient : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » La solennité de ce jour est peut-être là aussi pour nous réveiller de la torpeur de notre routine. L’Eucharistie est quelque chose de normal, non ? Non ! L’Eucharistie, comme l’amour de Dieu, est quelque chose de déroutant, de bouleversant, qui nous interpelle, nous provoque : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » La question est là, mais quelle est la réponse ? Dans l’Évangile de ce jour, le Seigneur n’a pas répondu à cette question, si ce n’est en disant que la nourriture de sa chair et de son sang est une nourriture différente des nourritures que nous connaissons déjà, différente même de la nourriture donnée miraculeusement au peuple hébreu dans le désert. Il a répondu en affirmant aussi que c’est une question de vie ou de mort : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous  ». Il en va, enfin, de notre relation intime, dès maintenant et pour l’éternité, avec le Sauveur : «  Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui ».

Alors, que la solennité de ce jour vienne à point nommé pour nous, afin de nourrir dans nos vies quotidiennes la mémoire vive de notre salut, afin de renouveler notre émerveillement pour l’œuvre de Dieu en notre faveur et en faveur de toute personne, afin que notre propre vie soit transformée par la nourriture que nous recevons et assimilons à chaque Eucharistie, afin que notre propre vie soit toujours plus identifiée à celle de Jésus, une vie livrée pour l’amour du Père et de nos frères et sœurs.

fr. Anthony-Joseph de Sainte Thérèse de Jésus - (Couvent de Paris)
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