Baptisé dans l’Esprit Saint ! (Homélie Baptême du Seigneur )

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 103 (104) ;Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7 ; Lc 3, 15-16.21-22

Un homme face à la mort. Dans son livre-testament (Un hosanna sans fin), qu’il a fini d’écrire l’avant-veille de mourir – et sachant qu’il allait mourir – le 5 décembre dernier, l’académicien Jean d’Ormesson s’interroge : « pourquoi naissons-nous ? Notre arrivée dans ce monde est-elle prévue de toute éternité ou relève-t-elle du hasard ? ». Et de se demander, à l’autre bout de nos vies d’hommes et de femmes, ce qu’il peut bien y avoir après la mort, car, écrit-il, « depuis que les hommes sont hommes, ils se demandent ce qui les attend après la mort  ». Notre naissance, notre mort sont deux énigmes placées à chaque extrémité de notre existence, comme deux murs infranchissables, sur lesquels toute la science des hommes est impuissante. La science, si précieuse, si utile, si nécessaire au sein de nos vies d’hommes, se révèle pourtant impuissante à me dire pourquoi moi j’existe, moi qui n’ai pas voulu naître au monde par moi-même. La science qui reconnaît d’elle-même que l’origine du Big Bang, à l’origine de l’univers et de notre humanité, est un mur qu’il lui sera à jamais interdit de franchir. La science qui se heurte à la question de ce qu’il peut advenir de la vie d’un homme après sa mort.

Ce constat est celui du célèbre académicien, constat dressé après avoir convoqué dans sa pensée tous les hommes ayant marqué l’histoire de l’humanité ; tout compte fait, Platon ou Albert Einstein, Darwin ou Karl Marx, Mahomet ou Shiva, ne parviennent à éclaircir de manière certaine le mystère de cette éternité avant et après notre vie actuelle. À moins que, pressent l’académicien de manière confuse, à moins que ce ne soit quelque chose de ce mystère de notre origine et de notre fin qui vienne lui-même percer ces murs pour s’inviter dans le présent de notre vie… comme par effraction, comme par une belle surprise. Et ce quelque chose, c’est : le Baptême dans l’Esprit-Saint. Ce baptême que Jean-Baptiste, le plus grand des prophètes d’après le témoignage Jésus lui-même, annonce pour tout homme vivant en ce monde : « Il vient, celui [qui] vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu ». Cet Esprit de Vie et du Feu de l’Amour divin déborde le cadre de notre temporalité, Il était là bien avant notre origine, comme Il sera là encore bien après notre mort. Ce n’est donc pas nous qui perçons les murs du mystère, mais c’est le mystère qui perce ces murs de notre origine et de notre mort pour venir à nous, ces murs qu’avaient élevé le péché originel…

Cet Esprit-Saint déchire le Ciel, descend sur Jésus à sa prière, et se pose comme une colombe sur nos vies humaines. Les murs n’ont pas été assez haut pour empêcher le vol de la colombe, et la venue de l’Esprit murmure : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie ». Frères et sœurs, cette parole est bel et bien pour chacun d’entre nous. « L’Esprit Saint […] comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du Ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » ». Oui, cette voix est bel et bien pour nous, car ne s’adresse pas qu’au Christ seulement, mais aussi à tous les chrétiens d’hier et d’aujourd’hui, ceux qui auront accepté de suivre Jésus, comme c’est notre cas. L’Esprit-Saint murmure comme une source d’eau à l’intime de nos cœurs la voix du Père nous disant « Toi, tu es mon Fils/ma Fille bien-aimé(e) ; en toi, je trouve ma joie » ! Les Pères de l’Église, comme saint Hilaire de Poitiers, nous invitent à prendre cette parole du Ciel au sérieux : « Tout ce qui s’est passé dans le Christ nous fait connaître qu’après le bain d’eau, l’Esprit-Saint vole sur nous du haut du ciel et qu’adoptés par la voix du Père, nous devenons fils de Dieu » (Mat. 2,6)…

Nous pouvons demander à juste titre : pourquoi ? Pourquoi donc cette parole adressée à Jésus s’adresse-t-elle à nous aussi ? La réponse est que lors de son Baptême, Jésus se montre pleinement solidaire des hommes, pour les élever, ou plutôt les ré-élever à leur condition d’enfant bien-aimé du Père. En recevant le Baptême des mains du Baptiste, Jésus accepte d’être solidaire de tous ses frères les hommes, assumant leurs péchés et s’apprêtant à les sauver. C’est ainsi qu’il vient à Jean baptisant au Jourdain comme un homme quelconque, un homme parmi d’autres hommes, du sein de la foule des pécheurs. Sa solidarité l’amène à vouloir recevoir lui aussi le baptême de Jean, comme les autres hommes… alors que Lui-même est bien le seul à ne pas en avoir besoin, puisqu’il est sans péché ! Saint Paul nous le rappelle dans la deuxième lecture ; si Jésus reçoit le Baptême, c’est qu’il accepte de se « donn[er] pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes ». Baptisé avec de l’eau par Jean-Baptiste, Jésus consent à ce que ceux qui voudront bien recevoir son enseignement et le suivre, reçoivent eux aussi cette colombe venue du Ciel lui-même, colombe volant plus haut que ces murs dressés par le péché originel. Alors oui, tout agnostique qu’il se dise, Jean d’Ormesson a raison, dans sa dernière phrase, celle concluant son ultime livre : finalement, « si quelqu’un a laissé une trace éclatante, c’est bien le Christ Jésus ». Jésus, le seul homme de l’histoire de l’humanité à avoir fait percer ces murs infranchissables à la science des hommes. À nous d’être aujourd’hui des témoins de cette trace éclatante, lumineuse, de l’Esprit qui fait de nous des fils et des filles du Père éternel, trace que nos contemporains peuvent apercevoir en nous de manière confuse, certes, mais apercevoir quand même !… C’est là notre témoignage, un témoignage qui lui aussi nous dépasse, un témoignage qui ne nous appartient même pas.

Fr. Cyril Robert , ocd - (couvent de Paris)
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